La Suède a été le premier pays au monde à reconnaître la dysphorie de genres, ce mal-être provoqué par l'inadéquation entre son sexe anatomique et son identité de genre. Depuis, le pays offre dès l'âge de 16 ou plus tôt des soins pour accompagner les transgenres dans leur démarche.
Ces derniers peuvent ainsi avoir accès à des bloqueurs de puberté ou des injections d'hormones pour s'affirmer comme un homme, alors qu'on a été désigné femme à la naissance ou inversement. Dès la majorité, certains décident d'aller plus loin en prenant le chemin d'une opération des parties génitales.
Alors pourquoi l'hôpital Karolinska, l'un des plus prestigieux du pays, a-t-il décidé de changer de politique au mois de mars dernier?
La crainte d'une contagion sociale
L'établissement s’appuie sur une compilation d’études montrant qu’il n’y a pas de preuves de l’efficacité de ces traitements pour le bien-être des patients, et sur la dangerosité des effets secondaires. Mais ce qui alarme le plus les praticiens, c’est l’emballement des courbes. En 2001, seules 12 personnes de moins de 25 ans ont été diagnostiquées avec une dysphorie de genre. En 2018, c’était près de 1900, avec une hausse spectaculaire des filles adolescentes voulant devenir des garçons.
Pour Jêran Rostam, dirigeant de l’association RFSL Ungdom, qui s’adresse à ce public, le phénomène n’a rien d’anormal: "Le société a changé, nous sommes plus visibles, il y a plus d’acceptation. Cela conduit plus de gens à se comprendre, à se déclarer, et à vouloir vivre authentiquement comme ils sont", explique-t-il mardi dans l'émission Tout un Monde.
Mais pour certains médecins, l'une des causes de cette vague tient à une sorte de contagion sociale, qui émanerait des réseaux sociaux.
"Je pensais que je serais plus heureuse avec de la testostérone"
Pour raconter ce qui est arrivé à sa fille Johanna, Åsa préfère montrer l’album où elle l’a prise en photo, chaque mois. "Ca, c’est quand elle a eu 14 ans. Elle a commencé à couper ses cheveux, puis elle est tombée malade. Quand on l’a emmenée à l’hôpital pour anorexie, on a remarqué qu’elle suivait des transgenres sur les réseaux sociaux. J’ai pleuré. Je ne pouvais pas accepter l’idée qu’elle voulait devenir un garçon. Mais elle est devenue Casper."
Et pour Johanna, c’est comme si ce choix s’imposait: "J’ai commencé à ressentir cette haine envers mon corps et je me suis dit peut-être que mon corps est complètement contrefait, que je ne suis tout simplement pas une fille. Si je faisais cette chirurgie pour enlever mes seins, si je prenais de la testostérone, je pensais que je serais plus heureuse."
Mais Casper est un cas particulier, car après avoir réfléchi pendant plus d’un an, il a décidé de redevenir Johanna, sans avoir pris de traitement ou subi de chirurgie irréversible. Mais ce n’est pas le cas de nombreux autres adolescents suédois.
Des autres pathologies chez les jeunes patients
D'après Sven Roman, psychiatre pour enfants, la majorité des patients dans cette situation souffrent d'autres maux qu'il est possible de traiter: "90% des jeunes patients que je croise souffrent d'autres pathologies qui sont en fait leur vrai problème: ils sont autistes, atteints de dépression, d'anxiété, de syndrome post-traumatique (....) Pour tous ces troubles, nous avons des traitements dont l'efficacité a été prouvé par la science, mais pas pour la dysphorie de genre quand elle touche les enfants", explique-t-il.
Et d'ajouter: "On devrait faire le travail que l'on a toujours fait dans la psychiatrie infantile: les écouter, leur parler, savoir pourquoi ils pensent ce qu'ils pensent et là, on pourrait les aider."
Trop encouragé à passer le pas ?
Pour Johanna, le rôle de la communauté trans sur youtube a joué un grand rôle dans ses choix. Mais elle en veut aussi beaucoup aux médecins.
"Ces trans sur youtube vous disent: comment savoir si vous êtes trans? Et bien, si vous êtes ici en train de regarder cette vidéo, ça pourrait déjà en être le signe (...) je voyais comme ils étaient heureux et je me disais, si je peux être aussi heureuse que ça, il faut que j'en sois. Mais ceux qui m'ont le plus encouragée, ce sont les médecins à l'hôpital. Au premier rendez-vous, on m'a dit, félicitations, vous avez fait votre coming out, c'est si courageux. Quel traitement voulez-vous faire après? De la testostérone? Une chirurgie? Dans ces cliniques spécialisées, on ne vous remet pas en question."
La jeune femme a depuis été prise en charge par un psychologue indépendant qui a su mettre d'autres mots sur son mal-être.
Des témoignages de plus en plus nombreux
Les témoignages de ceux qui regrettent leur transition, comme l'a montré un documentaire choc diffusé par la télévision suédoise, sont pourtant de plus en plus nombreux.
Dans les familles, on sait aussi que ces symptômes de dysphorie de genre disparaissent souvent au début de l'âge adulte, sans aucun traitement.
Pourtant, pour Jêran Rostam, ne pas reconnaître la diversité du phénomène est une erreur: "Je n'ai pas de pourcentages ou de chiffres précis, mais vous avez beaucoup de transgenres qui n'ont pas besoin de traitement de confirmation du genre. Ils se contentent de changer leur façon de s'habiller ou de changer de prénom. Et vous avez bien sûr ceux qui seront plus heureux avec des hormones ou ceux qui ont vraiment besoin d'une chirurgie. Vous avez tous les cas. C'est ce qui fait que ce débat est si difficile. C'est un problème compliqué et très personnel."
Contraintes de réagir à la décision unilatérale de l’hôpital Karolinska, qu’ont commencé à suivre d’autres établissements, les autorités de santé suédoises se sont données jusqu’à la fin de l’année pour établir un nouveau protocole de soins.
Sujet radio: Frédéric Faux
Adaptation web: Tristan Hertig