Les statistiques établies sur cette période par le service de renseignement de l'ex-RDA (Stasi) ont été longtemps considérées comme perdues. Mais elles ont finalement été retrouvées et la chercheuse Ellen von den Driesch les a analysées. Elle en a fait un ouvrage, publié en avril dernier.
Ces données mettent tout d'abord en avant un constat: les suicides étaient particulièrement nombreux en Allemagne de l'Est entre les années 1950 et la chute du Mur.
"Dans les années 1970, le taux de suicide est-allemand était le plus élevé d'Europe", souligne Ellen von den Driesch dimanche dans le 12h30 de la RTS. C'est la principale raison pour laquelle la Stasi s'efforçait de dissimuler ces informations.
Dans l'ombre de Moscou
Une autre raison était que ces informations étaient tenues secrètes depuis bien plus longtemps encore chez le grand frère soviétique, dont la RDA était très proche. C'était donc une affaire d'image: à l'Est, on redoutait que l'Ouest ne se serve de ces informations comme d'un outil de propagande négative, qui soulignerait les failles du système politique.
En fait, la recherche a montré que la plupart des suicides répertoriés par la Stasi n'avaient pas de motif politique.
Le pouvoir est-allemand craignait du reste cette corrélation. Mais c'était à tort, comme le montre le travail de cette chercheuse du centre de WZB pour les sciences sociales et de l'Institut fédéral de recherche sur la population de Berlin.
Des facteurs pratiques
Ellen von den Driesch souligne les fortes disparités régionales au sein de la RDA et relève que des facteurs purement pratiques avaient un effet sur le taux de suicides. Cela a été le cas par exemple lorsque que le gaz de houille, lourd en monoxyde de carbone et souvent utilisé pour se donner la mort, a été remplacé par le gaz naturel: les suicides ont diminué.
"En fait, la recherche a montré que la plupart des suicides répertoriés par la Stasi n'avaient pas de motif politique", relève Ellen von den Driesch. "C'est d'autant plus remarquable", poursuit-elle, "que c'était le rôle de la Stasi de traquer les aspects politiques de la société".
Théorie contre-intuitive
En théorie, les sociologues s'attendent plutôt à ce qu'en temps de guerre, de crise politique ou de répression, il y ait une cohésion nationale. Les crises peuvent donc mener à une baisse du taux de suicide, ce qui est contre-intuitif.
Mais cela ne se produit que lorsqu'il y cette forte cohésion sociale. C'est ce qui s'est produit lors de la crise qui a secoué la RDA dans les années 1980. Et pour la chercheuse, les fluctuations des taux de suicides sont à chercher dans les transformations sociales, qui mènent à des pertes des points de repères habituels, plutôt que dans la sévérité du régime.
L'ouvrage "Unter Verschluss - Eine Geschichte des Suizids in der DDR 1952-1990" ("Sous clé - Une histoire du suicide en RDA de 1952 à 1990") a été publié en avril dernier aux éditions Campus.
Katja Schaer/oang