Lutter contre le changement climatique, modérer la hausse des températures et devenir un modèle pour le monde entier en la matière: le Vieux continent a pris une décision historique avec ce projet qui durcit le ton contre les énergies fossiles.
Le plan de la Commission européenne prévoit de réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre (GES) d'au moins 55% d'ici à 2030, par rapport aux niveaux de 1990, avec l'ambition affichée d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2050.
Pour parvenir aux objectifs que veulent atteindre les 27 dirigeants des Etat membres, la Commission européenne a présenté une dizaine de lois et règlements, dont la fin de la vente de voitures propulsées avec des énergies fossiles, l'introduction de taxes sur le transport aérien, ou encore l'instauration d’un système complexe pour inciter les entreprises les plus polluantes - ciment, électricité et acier notamment - à décarboner (lire l'encadré pour le détail des mesures).
Le principe cardinal du projet européen est de renchérir le coût de la pollution tout en favorisant le recours aux alternatives respectueuses de l'environnement pour les quelque 25 millions d'entreprises européennes.
De nombreux désaccords persistent
Ce "green deal" européen pourrait être adopté en 2023, le temps de régler les nombreux désaccords qui subsistent encore entre les différents Etats membres.
Un bras de fer oppose notamment les principaux pays producteurs automobiles (Allemagne, France, Espagne, Italie) à ceux qui n'ont pas de constructeurs nationaux comme l'Autriche, le Danemark ou les Pays-Bas.
Interrogée mercredi dans Forum, la directrice de l'Institut Europe Jacques Delors Geneviève Pons se dit "épatée" par ce plan qui est "au niveau adéquat d'ambition". Le "green deal" européen comporte une "nécessaire complexité" qu'il va falloir combiner avec la "nécessité d'expliquer les mesures aux citoyens", estime celle qui dirige le think tank dédié à la recherche sur le développement durable et la politique environnementale européenne.
Certaines de ces propositions vont peser sur les citoyens. Par exemple, celles qui vont toucher les carburants, utilisés pour le chauffage domestique, et le transport.
"Il faut leur faire prendre conscience de cette nécessité et exprimer cette complexité le plus simplement possible. Il faut également être juste et équitable. Certaines de ces propositions vont peser sur les citoyens. Par exemple, celles qui vont toucher les carburants, utilisés pour le chauffage domestique, et le transport. Elles vont toucher les plus pauvres. Mais le fonds social devrait permettre de financer la rénovation de ces logements et aider l'achat de véhicules plus propres."
Dans le 19h30, Martin Beniston, climatologue et professeur honoraire à l'Université de Genève, salue également les propositions européennes. "Ce n'est pas forcément des mesures très innovantes, mais c'est enfin un signal politique fort. Il y a une volonté de supprimer des routes les véhicules à moteurs thermiques d'ici 2035... L'aviation civile est également concernée par ce plan."
Et d'ajouter: "Il y a énormément de mesures intéressantes. Si elles sont mises en oeuvre dans le laps de temps qui est préconisé, on arrivera à tirer le reste de la planète avec nous."
Si l'UE peut le faire, la Suisse aussi "doit pouvoir le faire"
Le projet européen aura aussi des conséquences sur la Suisse. ONG, écologistes et activistes du climat l'observent avec beaucoup d'intérêt. "On a vu de nouveau lors de la votation sur la loi sur le CO2 que la Suisse est à la traîne", a réagi mercredi dans le 12h30 de la RTS le président de la section vaudoise de l'Association transport et environnement David Raedler.
>> Lire aussi : Le peuple suisse enterre la loi sur le CO2 avec 51,6% de non
"Si un très grand partenaire économique de la Suisse comme l'UE prend des mesures très fortes alors que les lobbys, notamment de l'automobile, y sont extrêmement puissants, ça veut dire qu'en Suisse, on doit pouvoir le faire! On a souvent cette habitude de suivre. Là, on peut espérer que non seulement on suivra, mais qu'on pourrait être sur les devants en s'inspirant de ce que fait l'UE" , plaide l'écologiste.
"On n'est pas prêts encore à utiliser de l'argent public en Suisse"
Pour Philippe Thalmann, professeur d'économie de l'environnement à l'EPFL, la Suisse a quelque chose à tirer de ce projet européen, de la façon de faire, après l'échec de la révision de la loi sur le CO2.
"L'un des éléments importants est un accompagnement, une aide pour sortir des énergies fossiles financée dans un premier temps par des aides publiques", souligne-t-il jeudi dans La Matinale. "Et je crois qu'en Suisse, on n'est pas prêts encore à utiliser de l'argent public pour faciliter cette transition - ou alors, en toute petite quantité".
Pour Vincent Subilia, député au Grand conseil genevois et directeur général de la Chambre de commerce de Genève, il y aura des incidences pour la Suisse, car l'Europe reste notre principal partenaire économique, avec un franc sur deux échangé avec Bruxelles.
L'industrie suisse devra-t-elle ainsi montrer patte blanche pour commercer avec l'UE ? Parmi les mécanismes qui devront être votés par les pays de l'Union, il y a des "permis de polluer" ou des certificats qui "doivent faire en sorte que seuls des produits qui soient environnementalement admissibles puissent circuler sur le territoire de l'Union européenne", explique-t-il.
Vincent Cherpillod/agences
Les principales mesures annoncées
- Fin de la vente de voitures neuves à moteur essence ou diesel en 2035, au profit de motorisations 100% électriques. Bruxelles propose de réduire à zéro les émissions de CO2 des voitures neuves dans l'UE à partir de 2035. L'Europe avait déjà imposé dès 2020 un plafond moyen de 95 grammes de CO2 par kilomètre aux constructeurs automobiles, qui devait être encore abaissé de 15% en 2025 et de 37,5% en 2030.
- Taxation progressive (sur 10 ans) du kérosène utilisé par les avions pour les vols à l'intérieur de l'Union européenne pour les vols commerciaux. Le transport de marchandises et l'aviation d'affaire ne seraient pas concernés. Pour l'heure, l'ensemble du carburant aérien bénéficie d'une exemption complète de taxes. Les compagnies aériennes se disent alarmées du risque d'une "distorsion de concurrence" avec le reste du monde.
- Taxation des importations dans l'Union européenne dans cinq secteurs très polluants (acier, aluminium, ciment, engrais, électricité). Dans ces secteurs, les produits importés seraient soumis aux mêmes règles que la production européenne, avec achat obligatoire de "certificats d'émissions" carbone.
- Introduction d'un ""permis de polluer" que devront acheter les fournisseurs de carburants pour le transport routier ou de fioul domestique pour le chauffage résidentiel pour compenser leurs émissions. Son coût devant logiquement être répercuté sur le consommateur, ce point du projet est déjà contesté par plusieurs élus européens. Certaines ONG environnementales pointent elles du doigt le risque d'injustice sociale et d'un effet "gilets jaunes" face au renchérissement prévisible de la facture des ménages.
- La Commission veut aussi relever considérablement la part d'énergies renouvelables visée en 2030, y compris en incluant la biomasse extraite des forêts. La plantation de trois milliards d'arbres à travers l'Europe d'ici à 2030 est prévue.
- Les objectifs en matière de réduction de la consommation d'énergie seront relevés. Le secteur public sera tenu de rénover 3 % de ses bâtiments chaque année .