Plongée dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est devenue une voie privilégiée pour des dizaines de milliers de migrants qui tentent de rejoindre l'Europe par la mer au risque de leur vie. Les agences de l'ONU et les ONG opérant en Méditerranée dénoncent régulièrement les politiques européennes de retour forcé de migrants vers la Libye, où ils sont enfermés dans des centres de détention dans des conditions très dures.
Dans son rapport, Amnesty International affirme qu'à la fin 2020, la direction libyenne de lutte contre les migrations illégales (DCIM), dépendant du ministère de l'intérieur, a "légitimé" les violations des droits fondamentaux, en prenant le contrôle de deux centres de détention gérés par des milices, où des centaines de réfugiés et de migrants ont fait l'objet de disparitions forcées ces dernières années.
Relations sexuelles contre nourriture
Dans l'un de ces centres, des témoins ont fait état de viols sur des femmes par des gardiens. Ces derniers les forçaient à avoir des relations sexuelles "en échange de nourriture ou de leur liberté", selon l'ONG.
"Ce rapport effroyable jette une nouvelle lumière sur les souffrances des personnes interceptées en mer et renvoyées en Libye, où elles sont immédiatement détenues arbitrairement et systématiquement soumises à des actes de torture, des violences sexuelles, au travail forcé et à d'autres formes d'exploitation en toute impunité", a indiqué Diana Eltahawy, directrice régionale adjointe d'Amnesty pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.
"Dans le même temps, les autorités libyennes ont récompensé ceux qui étaient [...] soupçonnés d'avoir commis de telles violations avec [...] des promotions", a-t-elle ajouté. L'ONG a appelé les autorités libyennes à fermer "immédiatement" ces centres de détention.
>> Relire les témoignages recueillis par notre correspondante Maurine Mercier sur les atrocités relatées par des personnes migrantes embarquées sur l'Aquarius : Embarqués à bord de l'Aquarius
"Complicité des Etats européens"
L'ONG a par ailleurs dénoncé "la complicité des Etats européens qui continuent honteusement d'aider les gardes-côtes libyens à capturer des personnes en mer et à les renvoyer de force dans l'enfer de la détention en Libye" (lire aussi l'encadré).
Les Etats européens "doivent suspendre leur coopération sur les migrations et les contrôles des frontières avec la Libye", et aider "de façon urgente des milliers de personnes coincées là-bas et ayant besoin d'être protégées", a indiqué Amnesty.
afp/kkub
Gardes-côtes libyens "financés par l'argent des Européens"
"Il faut être conscient que les gardes-côtes libyens sont financés et formés avec l'argent des impôts des Européens", a souligné dans l'émission Forum jeudi soir François Gémenne, chercheur à l'Université de Liège. "Ceci a permis que 15'000 migrants aient été ramenés en Libye depuis le début de l'année. Et on sait que la Libye, pour eux, est un enfer à ciel ouvert", a-t-il déploré.
Il rappelle qu'il y a quelques années, la chaîne américaine CNN avait même documenté des "marchés aux esclaves" à Tripoli.
La fin de cette subvention aux gardes-côtes libyens dépendra, selon lui, d'un "réveil" du Parlement européen. "Jusqu'ici, la politique européenne a été une politique d'externalisation. Faute de parvenir à trouver une politique commune, elle a préféré confier à d'autres pays le soin de gérer à sa place ce qu'elle ne parvenait pas à faire. Et elle n'a exercé qu'un contrôle très relatif sur le respect des droits humains par ces différents régimes", dénonce le chercheur.