Le logiciel espion Pegasus de la société NSO Group, s'il est introduit dans un smartphone, permet d'en récupérer les messages, les photos, les contacts, et même d'écouter les appels de son propriétaire.
L'entreprise, fondée en 2011 et qui a régulièrement été accusée de faire le jeu de régimes autoritaires, a toujours assuré que son logiciel servait uniquement à obtenir des renseignements contre des réseaux criminels ou terroristes.
Mais les organisations Forbidden Stories et Amnesty International ont eu accès à une liste, établie en 2016, de 50'000 numéros de téléphone que les clients de NSO avaient sélectionnés en vue d'une surveillance potentielle. Elle inclut les numéros d'au moins 180 journalistes, 600 hommes et femmes politiques, 85 personnes militantes des droits humains, ou encore 65 cheffes et chefs d'entreprise, selon une analyse menée par 17 rédactions.
>> Relire une autre enquête menée par Forbidden Stories : Le projet Cartel pour poursuivre les enquêtes des journalistes mexicains
Journaliste abattu
Sur cette liste, figure notamment le numéro d'un journaliste mexicain Cecilio Pineda Birto, abattu quelques semaines après son apparition sur ce document. Des correspondants étrangers de plusieurs grands médias, dont le Wall Street Journal, CNN, France 24, Mediapart, El País, ou l'AFP en font aussi partie.
D'autres noms de personnalités figurant sur la liste seront divulgués dans les prochains jours par le consortium de médias qui ont mené l'enquête, dont font notamment partie Le Monde, The Guardian, et The Washington Post.
Leurs journalistes ont rencontré une partie des personnes visées et ont récupéré 67 téléphones, qui ont fait l'objet d'une expertise technique dans un laboratoire d'Amnesty International.
Elle a confirmé une infection ou une tentative d'infection par le logiciel espion de NSO Group pour 37 appareils, selon les compte-rendus publiés dimanche.
Proches de Jamal Khashoggi
Deux des téléphones appartiennent à des femmes proches du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, assassiné en 2018 dans le consulat de son pays à Istanbul par un commando d'agents venus d'Arabie saoudite.
"Il y a une forte corrélation temporelle entre le moment où les numéros sont apparus sur la liste et leur mise sous surveillance", précise le Washington Post.
Cette analyse s'ajoute à une étude, menée en 2020, par le Citizen Lab de l'université de Toronto, qui avait confirmé la présence du logiciel Pegasus dans les téléphones de dizaines d'employés de la chaîne Al-Jazeera du Qatar.
WhatsApp avait également reconnu en 2019 que certains de ses utilisateurs en Inde avaient été espionnés par ce logiciel.
NSO nie
Le groupe NSO a, comme à chaque fois, "nié fermement les fausses accusations portées" dans l'enquête.
Elle "est bourrée de suppositions erronées et de théories non corroborées, les sources ont fourni des informations qui n'ont aucune base factuelle", a-t-il écrit sur son site, en précisant envisager de porter plainte en diffamation.
NSO est loin d'être la seule entreprise israélienne à être soupçonnée de fournir des logiciels espion à des gouvernements étrangers peu regardants sur les droits humains, avec le feu vert du ministère israélien de la Défense (lire encadré).
ats/asch/sjaq
D'autres logiciels espions
Le logiciel "DevilsTongue" de la société Saito Tech Ltd, plus connue sous le nom de Candiru, a été utilisé contre une centaine de responsables politiques, dissidents, journalistes et militants, ont affirmé jeudi des experts de Microsoft et de Citizen Lab.
Des entreprises d'origine israélienne comme NICE Systems et Verint ont fourni des technologies aux polices secrètes de l'Ouzbékistan et du Kazakhstan, ainsi qu'aux forces de sécurité de Colombie, avait estimé en 2016 l'ONG Privacy International.
Mediapart et Le Canard enchaîné portent plainte
Le site d'information français Mediapart et l'hebdomadaire satirique Le Canard Enchaîné ont annoncé lundi qu'ils allaient déposer des plaintes à Paris, après des informations indiquant que les téléphones de certains de leurs journalistes ont été espionnés à l'aide du logiciel israélien Pegasus.
"Les numéros des téléphones portables de Lénaïg Bredoux et d'Edwy Plenel (cofondateur du site) figurent parmi les dix mille que les services secrets du Maroc ont ciblés en utilisant le logiciel espion fourni par la société israélienne NSO", a confirmé Mediapart dans un article publié lundi, après la publication de ces révélations dans plusieurs médias.
Dans son article, le média d'investigation explique que le but était d'essayer de "faire taire les journalistes indépendants au Maroc, en cherchant à savoir comment nous enquêtions dans ce domaine".
Le Canard Enchaîné a lui aussi assuré qu'il allait saisir la justice. "Nous allons porter plainte contre X avec constitution de partie civile", a précisé Michel Gaillard, qui préside la société d'édition du journal, ajoutant que le dossier de cette plainte était en cours de constitution.
Le Maroc et la Hongrie rejettent les accusations d'espionnage
Mis en cause, le Maroc et la Hongrie ont démenti lundi le recours par leurs services de sécurité au logiciel israélien Pegasus pour espionner des journalistes, comme l'en accusent plusieurs médias internationaux.
Le gouvernement marocain a dénoncé comme "mensongères" les informations selon lesquelles les services du royaume "ont infiltré les téléphones de plusieurs personnalités publiques nationales et étrangères et de responsables d'organisations internationales à travers un logiciel informatique".
Même son de cloche du côté du gouvernement hongrois qui dément toute coopération en ce sens avec Israël. "Le directeur général (des services secrets) m'a informé qu'aucune coopération n'a été établie avec les services de renseignement israéliens", a réagi le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto en conférence de presse.