Ce procès durera des mois, le minuscule tribunal pénal du Vatican ayant l'art d'espacer ses audiences. L'ancien cardinal Angelo Becciu, qui avait démissionné suite au scandale en 2020, devrait en être malgré lui la vedette médiatique.
La première étape prévue mardi est d'ordre technique, centrée autour d'un acte d'accusation complexe de 500 pages, fruit de deux ans d'enquête.
Parmi les dix inculpés (lire encadré), la moitié était au service du pape François au cours de l'achat en deux temps d'un immeuble de 17'000 m2 dans le chic quartier londonien de Chelsea, dont le pape rêve désormais de se séparer au plus vite.
Des pertes colossales pour le Vatican
L'acquisition de l'immeuble à un prix surévalué - via des montages financiers hautement spéculatifs et deux hommes d'affaires vivant à Londres - a "généré des pertes substantielles pour les finances du Vatican et puisé jusque dans les ressources destinées à l'action caritative personnelle du Saint-Père", a déploré le Saint-Siège avant le coup d'envoi du procès.
Le coup est rude pour le pape François, pourfendeur acharné de la corruption et de la spéculation financière mondiale, qui a accéléré ces derniers mois les réformes financières internes.
Une affaire à tiroirs et à rebondissements
C'est la "banque du pape" (IOR), longtemps sulfureuse, qui avait sonné l'alarme en interne à l'été 2019, pointant du doigt son propre contrôleur, le gendarme financier du Vatican (AIF) censé traquer toutes les transactions suspectes.
En 2013-2014, la Secrétairie d'Etat avait emprunté 200 millions de dollars, essentiellement auprès de Credit Suisse, pour investir dans le fonds luxembourgeois Athena d'un homme d'affaires italo-suisse vivant à Londres, Raffaele Mincione. La moitié de la somme visait à s'emparer d'une partie de l'immeuble londonien, l'autre à réaliser des placements boursiers.
Raffaele Mincione avait utilisé l'argent de l'Eglise pour "des opérations spéculatives", comme le rachat de banques italiennes en difficulté. Le Saint-Siège, qui essuyait alors des pertes et n'avait aucun contrôle sur la nature des investissements, avait décidé finalement quatre ans plus tard, fin 2018, de mettre fin à cette alliance.
Main basse sur la propriété
Mais l'affaire ne s'était pas arrêtée là: un nouvel intermédiaire, Gianluigi Torzi, avait alors été choisi pour négocier avec Raffaele Mincione, qui avait réussi à obtenir 40 millions de livres sterling (50,6 millions de francs) du Saint-Siège pour que ce dernier devienne propriétaire à 100%.
Et c'est finalement Gianluigi Torzi qui s'était adjugé le contrôle du bien (grâce à des actions avec droits de vote) à la barbe du Vatican. Il était même allé jusqu'à extorquer 15 millions d'euros (16,25 millions de francs) à la Secrétairie d'Etat (théoriquement propriétaire légitime) en négociant son départ, selon l'acte d'accusation.
afp/oang
De nombreux protagonistes
Les magistrats ont identifié deux personnages centraux qui ont aidé Raffaele Mincione et Gianluigi Torzi à s'introduire dans la bergerie du Vatican en échange de pots de vin.
Il s'agit d'Enrico Crasso, un financier de nationalité suisse et ancien de chez Credit Suisse, qui a été pendant des années un consultant de la Secrétairie d'Etat, et de Fabrizio Tirabassi, un fonctionnaire de la Secrétairie d'Etat qui s'occupait d'investissements (et touchait aussi des commissions de banques suisses selon des témoignages).
L'influent prélat Angelo Becciu était encore en 2014 "Substitut de la Secrétairie d'Etat", l'équivalent d'un ministre de l'Intérieur en contact constant avec le pape François. Il est soupçonné notamment "d'interférences" plus tardives en 2020 dans le dossier. Son ancien assistant, le père Mauro Carlino, est également dans le collimateur.
L'ancien président de cette autorité, le Suisse René Brülhart, et son ex-directeur, l'Italien Tommaso Di Ruzza, font aussi partie des prévenus. La grande question sera de savoir si l'affaire éclaboussera aussi d'autres personnalités de la hiérarchie de l'Eglise.
"Un procès historique"
Ce procès en forme de grand ménage dans les finances du Vatican, voulu par le pape François, est une première.
"C'est une chose absolument nouvelle, extraordinaire dans l'histoire du Saint-Siège", a souligné l'éditorialiste italien Marco Politi mardi dans La Matinale de la RTS.
"C'est la première fois que le pape François veut un procès public sur un grand détournement de fonds qui a causé des pertes de presque 350 millions d'euros, c'est un procès historique", a souligné ce spécialiste du Vatican.
Le dernier livre de Marco Politi, "François, la peste et la renaissance", a été publié aux éditions Philippe Rey.