Les Etats-Unis vont redéployer des milliers de soldats à l'aéroport de Kaboul afin d'évacuer une partie du personnel de leur ambassade en Afghanistan, a annoncé jeudi le département d'Etat américain. L'ambassade va toutefois maintenir son activité.
"Il ne s'agit pas d'une évacuation totale", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, rappelant que le gouvernement américain avait commencé à rappeler une partie de son personnel de Kaboul en avril.
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Toutefois, "l'accélération des offensives militaires des talibans et la hausse de la violence et de l'instabilité qui en résulte à travers l'Afghanistan sont très préoccupantes", a estimé Ned Price. "En conséquence, nous réduisons encore davantage notre présence civile à Kaboul", a-t-il expliqué, évoquant une évacuation d'une partie des diplomates américains "dans les prochaines semaines".
Il y a actuellement, avant cette évacuation, 4200 personnes, américaines et non-américaines, à l'ambassade, selon le département d'Etat, qui a refusé de préciser combien étaient appelées à quitter le pays.
Par ailleurs, Londres a également annoncé jeudi qu'elle allait déployer des troupes pour aider l'évacuation des Britanniques, tandis que le chef de la diplomatie de l'Union européenne Josep Borrell a menacé les talibans d'un "isolement" international s'ils s'emparaient du pouvoir "par la force".
Ville d'Hérat prise au bout du siège
Les talibans avaient hissé en fin de journée leur drapeau au-dessus du siège de la police de Hérat, troisième ville d'Afghanistan située à 150 km de la frontière iranienne et capitale de la province du même nom. La cité était déjà assiégée depuis plusieurs jours, avec de violents combats à ses abords.
Peu après, un haut responsable des forces de sécurité sur place a confirmé que les insurgés avaient "tout pris". Dès le moment où ils ont pénétré dans la ville, ils n'ont rencontré aucune résistance de la part des forces afghanes, qui ont battu en retraite "pour empêcher plus de dommages dans la ville", et se sont retirées vers une base militaire dans un district voisin, a-t-il expliqué.
"Préfecture de Police d'Hérat conquise", a annoncé de son côté sur Twitter Zabihullah Mujahid, un porte-parole des insurgés. "L'ennemi s'est enfui (...) le commandement est entièrement sous contrôle. Des dizaines de véhicules militaires, d'armes et de munitions sont tombés entre les mains" des talibans, poursuit le tweet.
Plus tard dans la soirée de jeudi, les talibans ont également affirmé avoir pris la ville de Kandahar, deuxième ville du pays.
En approche de Kaboul
Selon une source sécuritaire, Qala-e-Naw, capitale de la province voisine de Badghis, a également été prise après Hérat. Les insurgés et forces afghanes y avaient instauré un cessez-le-feu le mois dernier.
Plus tôt jeudi, le gouvernement a reconnu que Ghazni, ville stratégique à 150 km au sud-ouest de Kaboul, était tombée, mais assuré que des combats y étaient toujours en cours. "L'ennemi a pris le contrôle de Ghazni (...) Il y a des combats et de la résistance de la part des forces de sécurité", a affirmé le ministère de l'Intérieur.
Ghazni, qui était déjà tombée brièvement en 2018, est la capitale provinciale la plus proche de Kaboul conquise par les insurgés depuis qu'ils ont lancé leur offensive en mai, à la faveur du début du retrait des forces étrangères, qui doit être achevé d'ici la fin août.
Négociations du gouvernement
Face à la dégradation de la situation militaire, le gouvernement de Kaboul a proposé "aux talibans de partager le pouvoir en échange d'un arrêt de la violence dans le pays", a déclaré un négociateur du gouvernement aux pourparlers de paix à Doha, sous couvert d'anonymat.
Le président afghan, Ashraf Ghani, avait toujours rejeté jusqu'ici les appels à la formation d'un gouvernement intérimaire comprenant les talibans. Mais son revirement risque d'être bien tardif, les insurgés n'ayant montré aucun signe, depuis l'ouverture des négociations de paix en septembre 2020, qu'ils étaient prêts à un compromis.
Ils y seront sans doute encore moins enclins après avoir avancé à un rythme effréné ces derniers jours.
Dix des 34 capitales provinciales
En une semaine, ils ont pris le contrôle de 10 des 34 capitales provinciales afghanes, dont sept situées dans le nord du pays, une région qui leur avait pourtant toujours résisté par le passé.
Ils ont aussi encerclé Mazar-i-Sharif, la plus grande ville du nord, où Ashraf Ghani s'est rendu mercredi pour tenter de remobiliser l'armée et les milices favorables au pouvoir.
Mardi soir, les talibans avaient conquis Pul-e-Khumri, capitale de la province de Baghlan, à 200 km au nord de Kaboul. Ils se rapprochent ainsi donc de la capitale à la fois par le nord et par le sud.
afp/ther
"Pas un message" aux talibans
Le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price a martelé que les autorités américaines n'avaient "pas été prises au dépourvu" face aux offensives des insurgés. Il a aussi tenté de gommer l'impression d'une série d'évacuations qui sonneraient comme une résignation face à l'avancée rebelle.
"Cela ne doit pas être interprété comme un quelconque message aux talibans", a-t-il dit. Il rappelle que "le message que les talibans doivent recevoir est celui qui vient de Doha", où les acteurs internationaux affirment qu'ils "ne reconnaîtront aucune entité qui tenterait de prendre l'Afghanistan par la force".
Le Pentagone a aussi assuré que l'aéroport Hamid Karzaï de Kaboul ne servirait pas de base américaine pour lancer des frappes contre les talibans.
Washington frustrée par la faiblesse des forces afghanes
Les Etats-Unis affichent de plus en plus leur frustration, voire leur agacement, face à l'incapacité des forces afghanes à contrer l'offensive des talibans. Cette situation est révélatrice d'un certain échec de Washington après 20 ans de présence en Afghanistan.
Tout en assurant qu'il ne regrettait pas sa décision de retirer ses troupes du pays en guerre, le président américain Joe Biden a adressé mardi un avertissement clair aux autorités de Kaboul. Les Afghans "doivent avoir la volonté de se battre", "pour eux-mêmes, pour leur nation", avait-il lancé.
Il a affirmé que les Etats-Unis d'Amérique avaient "dépensé plus de 1000 milliards de dollars en vingt ans, entraîné et équipé [...] plus de 300'000 militaires afghans" qui sont "plus nombreux que les talibans", des effectifs surestimés aux yeux de nombreux observateurs.
Le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price, a renchéri en jugeant que l'armée afghane avait "le potentiel" pour "infliger des pertes plus importantes", contestant "cette idée que l'avancée des talibans ne peut pas être arrêtée".
Donald Trump s'attaque à Joe Biden
L'ex-président américain Donald Trump a tenu jeudi Joe Biden pour responsable des avancées militaires des talibans en Afghanistan, estimant que la situation actuelle était "inacceptable". "Si j'étais président actuellement, le monde saurait que notre retrait d'Afghanistan était soumis à des conditions", a-t-il affirmé dans un communiqué.
C'est sous son autorité que les Etats-Unis ont le 29 février 2020 signé un accord avec les talibans dans lequel Washington s'engageait à retirer l'ensemble des forces américaines d'Afghanistan avant le 1er mai 2021. En contrepartie, les talibans s'engageaient à entamer des négociations de paix avec le gouvernement afghan, à s'abstenir d'attaquer les forces américaines et leurs intérêts en Afghanistan et à couper tout lien avec Al-Qaïda.
"Cela aurait été un retrait bien différent et un retrait bien plus réussi et les talibans le savaient mieux que quiconque", a-t-il ajouté. Selon Donald Trump, les talibans "avaient compris que ce qu'ils font aujourd'hui n'aurait pas été toléré". Donald Trump, qui avait fait du retrait des troupes et ressources américaines à l'étranger l'un de ses principaux axes de campagne en 2016, n'a pas précisé comment il aurait empêché les avancées des insurgés.