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Olivier Roy: "Les talibans doivent avoir une gestion du pays plus subtile et plus ouverte"

Le politologue français Olivier Roy. [Editions du Seuil - Jérôme Panconi]
Talibans, islamisme, terrorisme: interview d’Olivier Roy / Tout un monde / 11 min. / le 18 août 2021
Les talibans ont promis d'œuvrer à la réconciliation en Afghanistan, disant avoir pardonné à leurs adversaires et vouloir protéger les droits des femmes en accord avec la loi islamique. Selon le politologue français Olivier Roy, invité mercredi dans l'émission de la RTS Tout un monde, il est dans l'intérêt des talibans "de mettre en action ce discours" pour garder le pouvoir.

LES LIENS AVEC LES ORGANISATIONS TERRORISTES

Selon Olivier Roy, politologue et professeur à l'Institut universitaire européen de Florence, auteur d'En quête de l'Orient perdu, les talibans vont "couper les liens" avec les terroristes en Afghanistan. "Il est dans l'intérêt des talibans de mettre en action leur discours, car ils veulent le monopole du pouvoir. Ils l'ont perdu en 2001, parce qu'ils ont accordé l'hospitalité à Ben Laden et ils ont mis vingt ans à le reconquérir. Ils ne veulent pas reperdre vingt ans."

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D'après Olivier Roy, les talibans ont besoin de la paix avec les Russes, les Iraniens, les Chinois. Parce que l'Afghanistan est un pays enclavé. "Les talibans ont donné des garanties sur les Ouïghours, sur le Tadjikistan", analyse-t-il. "Ils n'arrêtent pas de nous donner des garanties et nous on leur dit: 'attention! Si vous recommencez, on vous attaque'. C'est complètement idiot. On est parti, on ne va pas revenir leur tirer les oreilles. Ce n'est pas une bonne politique. Les talibans ont gagné, on doit leur parler."

LES TALIBANS D'AUJOURD'HUI

Combattants talibans devant le ministère de l'Intérieur à Kaboul, 16.08.2021. [Reuters - STRINGER]
Combattants talibans devant le ministère de l'Intérieur à Kaboul, 16.08.2021. [Reuters - STRINGER]

Olivier Roy explique que les talibans "sont les mêmes", mais ils ont eu "une autre vie". "En 20 ans, ils ont vu d'autres sociétés et ils ont appris l'anglais, pour certains, et l'arabe, qu'ils ne parlaient pas vraiment. En 2001, ils n'avaient aucune expérience internationale."

Le politologue et professeur français souligne qu'en vingt ans le pays a changé. "Kaboul est une ville de 6 millions d'habitants éduqués et branchés, notamment sur internet. Les talibans doivent donc avoir une gestion du pays plus subtile et plus ouverte."

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Il souligne que les talibans "ne sont pas des djihadistes": "Ils veulent un Etat islamique en Afghanistan. Ils ne veulent pas l'étendre. Ils demandent des relations diplomatiques avec l'ensemble des pays du monde. Ce qui n'est pas tellement un programme djihadiste."

LE SOUTIEN DANS LE PAYS

"Les talibans n'auraient jamais repris le pouvoir à Kaboul s'ils avaient perdu la confiance d'une partie de la paysannerie afghane", analyse Olivier Roy. "Dans le sud, ils étaient très soutenus, parce qu'ils assuraient la loi et l'ordre. Et surtout, ils connaissaient les 'règles du jeu' du pouvoir local ce qui les aidaient à régler les disputes entre les clans ou la distribution de l'eau."

La guerre contre le terrorisme est un mot vide. On ne lutte pas contre une abstraction, mais contre des personnes. Il manque une dimension politique, anthropologique à ces campagnes militaires

Olivier Roy, politologue et professeur

Pour Olivier Roy, la population a donc "fait confiance" aux talibans, alors qu'à Kaboul le pouvoir était "dans la corruption la plus totale".

Selon lui, la "leçon à tirer" est "l'échec des campagnes militaires visant à éradiquer le terrorisme: l'Irak, l'Afghanistan et, qui sait, le Mali demain. (…) La guerre contre le terrorisme est un mot vide. On ne lutte pas contre une abstraction, mais contre des personnes. Il manque une dimension politique, anthropologique à ces campagnes militaires".

L'OPPOSITION À L'INTÉRIEUR DU PAYS

Pour Olivier Roy, il y a deux oppositions. "Ceux qui ont pris le pouvoir en 2001 dans la foulée de l'intervention américaine, les soutiens du commandant Massoud, les Chiites et les Ouzbeks. Ils ont été vaincus militairement. (...) Il est possible qu'il y ait des zones de résistance qui subsistent, mais elles n'ont aucun avenir."

Talibans à un point de contrôle en ville de Kaboul, 16.08.2021. [AFP - Wakil Kohsar]
Talibans à un point de contrôle en ville de Kaboul, 16.08.2021. [AFP - Wakil Kohsar]

L'autre opposition est composée par les "gens qui sont plus islamistes que les talibans", selon Olivier Roy. "C'est essentiellement Al-Qaïda, qui n'a pas d'implantation dans la population, et le groupe Etat islamique, qui sont de vrais concurrents. Ils se sont déjà combattus. Il y a même eu quelques batailles où les talibans se sont retrouvés du côté des Américains contre le groupe Etat islamique."

Et Olivier Roy d'ajouter: "Les talibans ne peuvent pas laisser cette concurrence se développer. La première chose qu'ils vont faire, c'est lutter contre les djihadistes installés en Afghanistan pour avoir le monopole du pouvoir".

Propos recueillis par Patrick Chaboudez/vajo

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