C'est une relation pour le moins compliquée qui existe entre l'île de Taïwan - de facto indépendante mais revendiquée par Pékin - et les Etats-Unis.
Depuis la visite du président américain Richard Nixon en Chine continentale au mois de février 1972, Washington s'est rapproché du principe de "Chine unique", qui reconnaît que Taïwan est partie intégrante de la République populaire de Chine, avant de l'adopter formellement en 1979. Dans les faits pourtant, les relations officieuses ont continué à se développer avec le pouvoir de Taipei, tant sur le plan économique que militaire.
L'ambiguïté stratégique
En 1979, le Congrès américain a voté le Taiwan Relations Act, qui définit les relations qu'entretiennent les Etats-Unis et Taïwan. Cette loi permet entre autres à Washington d'avoir des rapports semblables à ceux qu'il entretient avec d'autres Etats, tout en empêchant des relations diplomatiques officielles avec l'île et en interdisant la reconnaissance de toute indépendance.
Le texte permet notamment la vente d'armes à Taïwan pour un but défensif mais ne garantit en rien une intervention militaire des forces américaines au cas où l'île venait à être envahie par le pouvoir communiste.
En cela, les experts s'accordent à dire que les Etats-Unis défendent intentionnellement une ambiguïté stratégique sur la question taïwanaise, afin d'empêcher une déclaration unilatérale d'indépendance de Taïwan aussi bien qu'une annexion par la Chine. Le but étant de préserver un statu quo.
"Les autorités taïwanaises doivent trembler"
La question principale est donc de savoir si les Etats-Unis seraient prêts à défendre Taïwan en cas d'intervention militaire chinoise. Et c'est là que la chute de Kaboul entre en jeu.
Dans les journaux officiels chinois, les commentateurs n'ont pas manqué de railler la déroute américaine en Afghanistan. Mais nombre d'entre eux ont également tiré un parallèle: le manque de détermination des Etats-Unis à stopper le retour des talibans au pouvoir serait un signe pour Taïwan: tout comme ils ont laissé tomber les Afghans, les Etats-Unis ne voleront pas à la rescousse de Taïwan.
"Après la chute du régime de Kaboul, les autorités taïwanaises doivent trembler. Ne vous attendez pas à ce que les Etats-Unis les protègent. Les responsables de Taipei doivent commander le drapeau rouge à cinq étoiles de la Chine continentale. Ce sera utile le jour où ils se rendront à l'Armée populaire de libération", a ainsi tweeté Hu Xijin, rédacteur en chef du Global Times, un média à la solde de Pékin.
"Ce ne sont pas des situations comparables"
Interviewé jeudi à ce sujet sur ABC News, le président américain Joe Biden a tenu à souligner que Taïwan et l'Afghanistan étaient "des situations fondamentalement différentes". Le démocrate s'est même avancé en suggérant que les Etats-Unis défendraient l'île si elle venait à être attaquée.
Le président a en effet comparé Taïwan à la Corée du Sud, au Japon ou à l'OTAN, expliquant qu'il y avait dans ces cas-là des engagements de défense explicites, contrairement à l'Afghanistan. Joe Biden aurait-il donc décidé de sortir de l'ambiguïté stratégique américaine vis-à-vis de Taïwan ?
Quelques heures plus tard toutefois, des officiels de la Maison Blanche ont expliqué que la politique envers Taïwan restait "inchangée", arguant même que "le président s'était mal exprimé".
Dans le détroit de Taïwan, le statu quo est donc maintenu mais la pression continue d'augmenter. Au cours des derniers mois, des avions de l'armée chinoise ont en effet violé à de nombreuses reprises l'espace aérien de l'île, et la rhétorique de Pékin semble se durcir de plus en plus dans la région.
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Enfin, le dossier afghan aura aussi provoqué une réaction à Taïwan. La présidente de l'île a estimé mercredi que "le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan" venait "renforcer la nécessité pour Taïwan" d'être plus fort et plus uni "pour assurer sa défense".
Tristan Hertig