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Quelle menace représente le groupe Etat islamique en Afghanistan?

Un combattant du groupe Etat islamique brandit le drapeau de l'organisation dans les rues de Mossoul, 23 juin 2014. [Reuters - STRINGER Iraq]
Un combattant du groupe Etat islamique brandit le drapeau de l'organisation dans les rues de Mossoul, 23 juin 2014. - [Reuters - STRINGER Iraq]
Alors que le groupe Etat islamique a revendiqué l'attentat de jeudi aux abords de l'aéroport de Kaboul, des questions se posent pour comprendre qui sont ces djihadistes et quelle est leur importance en Afghanistan. Le point à travers les six dernières années de l'EI sur territoire afghan.

L'EI était considéré par les Américains comme une menace à l'encontre des milliers d'Afghans et Afghanes qui attendaient impatiemment à l'aéroport de Kaboul de fuir vers l'Occident. Ces craintes ont été confirmées par le double attentat suicide survenu jeudi après-midi à l'une des portes de l'aéroport.

>> Le suivi de la situation en Afghanistan : Près de 90 morts dans le double attentat à l'aéroport de Kaboul

Le mouvement djihadiste entretient aussi une haine tenace à l'encontre des talibans, devenus les nouveaux maîtres de l'Afghanistan.

2015: A la source du groupe Etat islamique en Afghanistan

Abu Bakr al-Baghdadi, le chef de l'Etat islamique. [AFP]
Abu Bakr al-Baghdadi, le chef de l'Etat islamique. [AFP]

Peu après la proclamation par l'EI d'un "califat" en Irak et en Syrie en 2014, d'anciens membres du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP, les talibans pakistanais) ont proclamé leur allégeance au chef du groupe, Abou Bakr al-Baghdadi.

Ils ont ensuite été rejoints par des Afghans déçus par les talibans. Début 2015, l'EI a officiellement reconnu la création de sa province (wilaya) du Khorasan.

Le Khorasan est l'ancien nom donné à une région qui englobait des parties de l'Afghanistan, du Pakistan, de l'Iran et de l'Asie centrale actuels.

L'ISKP, l'Etat islamique au Khorasan, (EI-K en français n.d.r.l.) a établi sa tête de pont en 2015 dans le district montagneux d'Achin, dans la province orientale de Nangarhar, la seule où il parviendra à s'implanter durablement avec celle voisine de Kunar.

Partout ailleurs, le groupe s'est heurté aux talibans, même s'il a réussi à former des cellules dormantes dans d'autres lieux en Afghanistan, notamment dans la capitale, et au Pakistan, selon les Nations unies.

Les dernières évaluations de ses effectifs varient d'un minimum de 500 à quelques milliers de combattants, selon un rapport du Conseil de sécurité de l'ONU paru en juillet.

2015-2019: Le règne de la terreur

La salle où se déroulait le mariage a été dévastée. [Reuters - Mohammad Ismail]
La salle où se déroulait le mariage a été dévastée. [Reuters - Mohammad Ismail]

L'ISKP a revendiqué certaines des attaques les plus meurtrières commises ces dernières années en Afghanistan et au Pakistan. Il a massacré des civils dans des mosquées, des hôpitaux et dans d'autres lieux publics.

Le groupe a surtout ciblé des musulmans qu'il considère comme hérétiques, en particulier les chiites. En août 2019, il a revendiqué un attentat contre des chiites lors d'un mariage à Kaboul, dans lequel 91 personnes ont été tuées.

>> Lire à ce sujet : Un attentat lors d'une cérémonie de mariage fait plus de 60 morts à Kaboul

Il a aussi été fortement soupçonné d'avoir été derrière une attaque en mai 2020 contre une maternité d'un quartier majoritairement chiite de la capitale qui a coûté la vie à 25 personnes, dont 16 mères et des nouveaux-nés.

Dans les provinces où le groupe s'est implanté, sa présence a laissé des traces profondes. Ses hommes ont tué par balle, décapité, torturé et terrorisé des villageois et ils ont également laissé des mines partout.

2019: L'EI perd du terrain?

Même si les talibans et l'EI sont deux groupes sunnites radicaux, ils ont des divergences en termes de théologie et de stratégie. Ils sont aussi en concurrence pour incarner le djihad. Signe de la forte inimitié qui les oppose, l'EI a qualifié les talibans d'apostats dans des communiqués.

L'ISKP s'est heurté à la répression des talibans et s'est révélé incapable d'étendre son territoire, contrairement à ce qu'avait réussi à faire l'EI en Irak et en Syrie.

En 2019, l'armée gouvernementale afghane, après des opérations communes avec les Etats-Unis, avait annoncé que le groupe Etat islamique avait été vaincu dans la province de Nangarhar, le berceau de l'ISKP.

Selon des évaluations des Etats-Unis et des Nations unies, le groupe djihadiste n'a depuis plus largement opéré qu'au travers de ses cellules dormantes dans les villes, pour des attaques fortement médiatisées.

2020: "L'Afghanistan, une des provinces de l'EI les plus dynamiques"

L'EI s'était montré très critique à l'égard de l'accord de retrait des troupes américaines et étrangères d'Afghanistan conclu en février 2020 à Doha entre Washington et les talibans. Le groupe a accusé ces derniers d'avoir renié la cause djihadiste.

Après leur entrée dans Kaboul et leur prise du pouvoir le 15 août 2021, les talibans ont reçu les félicitations de plusieurs groupes djihadistes, mais pas de l'EI.

Cependant, le groupe Etat islamique pourrait profiter de l'effondrement de l'Etat afghan. "Mr. Q", un spécialiste occidental de ce groupe qui publie sous ce pseudonyme ses recherches sur Twitter, a ainsi relevé 216 attaques de l'ISKP entre le 1er janvier et le 11 août, contre 34 l'an passé sur la même période.

"Cela fait de l'Afghanistan une des provinces de l'EI les plus dynamiques", a-t-il déclaré la semaine dernière. "Tout n'est pas directement lié au retrait américain, mais la victoire des talibans donne aussi de l'air à l'ISKP", a-t-il rajouté.

"L'effondrement de l'armée afghane est une étrange réminiscence de ce que nous avons vu en Irak en 2011. Je crains que la même situation ne se reproduise en Afghanistan, avec simultanément le développement de l'EI et la résurrection d'Al-Qaïda", explique Colin Clarke, le directeur de recherche du Soufan Center, un groupe de réflexion new-yorkais sur la géopolitique.

26 août 2021: Du risque présumé à l'acte accompli

Les Etats-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni avaient appelé dans la nuit de mercredi à jeudi leurs ressortissants à s'éloigner au plus vite de l'aéroport, en raison de menaces "terroristes".

Ces derniers jours, des avions de transport militaires ont quitté Kaboul en lâchant des leurres, notamment destinés à détourner des missiles. La zone était aussi exposée aux tirs de mortier et aux attentats-suicide selon les estimations des experts.

Plusieurs analystes dont ExTrac, un groupe privé spécialisé dans le traitement de données sur les groupes djihadistes, relèvent que l'activité de l'ISKP s'est brutalement arrêtée depuis 12 jours.

Or, les filiales de l'EI ont tendance à se faire discrètes lorsqu'elles entrent "en mode survie" ou quand elles préparent une opération d'ampleur, commente ExTrac sur Twitter. Les analystes écartent, a priori, la première option.

"Il y a beaucoup de cibles idéales en ce moment", estime le groupe dans une série de tweets. L'aéroport de Kaboul, avec des milliers de soldats américains et alliés et entouré d'une énorme foule d'Afghans voulant quitter leur pays, représentait une cible très vulnérable.

"Ce silence intrigue mais peut se comprendre", a-t-il expliqué. "Le groupe peut analyser la situation après la prise de pouvoir des talibans ou bien préparer une potentielle grosse attaque, pour montrer au monde entier l'incapacité des nouveaux dirigeants afghans à sécuriser le territoire", précise "Mr. Q".

aps avec afp

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Une présence avérée dans la capitale

"Il est très difficile de faire la différence entre tous les hommes armés aux abords de l'aéroport de Kaboul. Sont-ce des talibans, des hommes de l'Etat islamique?", souligne Jean-Pierre Perrin, journaliste et spécialiste de l’Afghanistan, en commentant dans La Matinale le double attentat commis jeudi. "C'est une situation très difficile à gérer, avec des milliers de personnes rassemblées à cet endroit."

Alors que le groupe Etat islamique a revendiqué l'attentat, Jean-Pierre Perrin rappelle sa présence avérée dans la capitale afghane, avec des attentats sur une maternité et sur une école de jeunes filles. "Mais son implantation doit beaucoup à certaines factions des talibans ou à des réseaux extérieurs, notamment le réseau Haqqani. L'enquête sera très difficile à mener du fait des nombreuses passerelles entre ces factions", relève-t-il.

>> L'interview de Jean-Pierre Perrin dans La Matinale :

De la fumée est visible depuis l'extérieur de l'aéroport de Kaboul, où une explosion a eu lieu et aurait fait plusieurs victimes. [Keystone - Wali Sabawoon]Keystone - Wali Sabawoon
Double attentat à Kaboul: Interview de Jean-Pierre Perrin, journaliste / La Matinale / 8 min. / le 27 août 2021