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Les DOM-TOM vivent une catastrophe sanitaire d'envergure

Une femme pose quelques questions avant de recevoir le vaccin contre le coronavirus dans un centre de Point-à-Pitre. Guadeloupe, le 6 août 2021. [AFP - Cedrick Isham/Calvados]
Une femme pose quelques questions avant de recevoir le vaccin contre le coronavirus dans un centre de Point-à-Pitre. Guadeloupe, le 6 août 2021. - [AFP - Cedrick Isham/Calvados]
La gestion de la pandémie a été très difficile dans certains territoires de la France d'Outre-mer. La situation a d'abord été jugée critique en Martinique et en Guadeloupe; elle est encore pire en Polynésie française. Les inégalités entre les DOM-TOM et la métropoles sont criantes.

La France a "évité le pire" grâce à l'accélération de la vaccination et à la mise en place du passe sanitaire: ce sont les mots d'Olivier Véran, ministre de la santé, jeudi lors d'une conférence de presse. Les indicateurs repartent à la baisse: la pandémie n'est pas terminée mais le pic de la quatrième vague semble passé.

Mais le ministre a aussi déploré la situation dans les territoires d'Outre-mer où la défiance à l'égard du vaccin fait des ravages: taux d'incidence records, hôpitaux surchargés et nombreux décès. La situation aux Antilles et en Polynésie française, qualifiée de catastrophique, inquiète: la France a envoyé des dizaines de soignantes et soignants en renfort. Les populations sont reconfinées et placées sous couvre-feu; la rentrée scolaire a été reportée.

Variant Delta et taux faible de vaccination

Lors de la première vague les Antilles avaient été relativement épargnées, mais le variant Delta les a atteintes de plein fouet, avec des taux d'incidence jamais connus en métropole, même au plus fort de la crise: jusqu'à 2300 cas sur 100'000 personnes en Guadeloupe. En Martinique, il y a eu environ soixante décès la semaine dernière sur une population de 380'000 personnes; en métropole, cela équivaudrait à 9500 décès en une semaine.

Une partie de l'explication de ces chiffres réside dans le fait que le variant Delta est plus contagieux et que la population peu vaccinée. Depuis les premières alertes, le taux de personnes vaccinées est monté, mais il reste à ce stade en dessous des 25% pour celles qui ont reçu une double vaccination.

Selon Justin Daniel, professeur de science politique à l'Université des Antilles, le Covid-19 a mis en lumière la crise institutionnelle que vivent la Martinique et la Guadeloupe. La parole politique et, plus largement, la parole publique n'y est plus du tout entendue et encore moins crue. Surtout quand il s'agit de santé.

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Le président Emmanuel Macron lors d'un conseil de défense suite à la détérioration de la situation sanitaire dans les collectivités d'outre-mer. [Pool photo / Keystone - Eric Gaillard]Pool photo / Keystone - Eric Gaillard
Catastrophe sanitaire en France d'Outre-mer / Tout un monde / 6 min. / le 27 août 2021

Méfiance historique vis-à-vis de Paris

Les racines de cette méfiance sont à rechercher dans le contexte historique, notamment dans les promesses faites dans les années 1960, au moment où la Martinique devient un département français. Il avait par exemple été question d'une égalité citoyenne à laquelle la population martiniquaise n'a jamais réellement eu accès. Ce fut une première rupture de confiance avec la métropole et son personnel représentant.

A cela se sont ajoutés les scandales sanitaires du chlordécone, ce puissant pesticide (utilisé officiellement de 1968 à 1993) dont les autorités, notamment en métropole, ont longtemps dit qu'il n'avait pas de conséquences pour la santé. Comme si cela ne suffisait pas, plus récemment, la crise des sargasses, ces algues flottantes qui s'accumulent sur les plages avec des conséquences pour la santé, a là aussi été minimisée.

Autant de crises qui ont généré leur lot de mensonges et d'omissions et qui ont aussi mis sous les projecteurs l'impuissance volontaire ou non des autorités. C'est dans ce contexte que sont arrivés le coronavirus et le vaccin, un terreau idéal pour les réseaux sociaux et leur lot de rumeurs et de fake news. En conséquence, la défiance de la population est tellement forte, explique Justin Daniel, qu'aucune personne élue localement n'a eu dans les premiers temps l'envie de nager à contre-courant: "C'est aussi une crise de leadership. Ce n'est pas spécifique à la Martinique, mais ici on le vit peut-être de manière cruelle", dit-il au micro de La Matinale. "Il y a eu un manque de courage de la part de certains élus qui n'ont pas voulu aller à l'encontre de la population".

Ubuesque

Le tout donne une situation ubuesque en Martinique et en Guadeloupe: "La République dominicaine, qui se trouve au nord de la Martinique, qui est un territoire, certes indépendant, mais qui n'a pas le même développement, a 70% de sa population vaccinée et nous, nous sommes encore à moins de 25%!", s'exclame le chercheur. "Autour de nous, il y a des îles de la Caraïbe où l'on pourrait vraiment bénéficier de ce vaccin. Alors que nous, nous y avons accès et l'on refuse de se faire vacciner".

Cette crise sanitaire souligne aussi les inégalités entre les Antilles et la métropole, ainsi que les problèmes spécifiques de ces territoires. Une personne martiniquaise sur trois vit sous le seuil de pauvreté, un ou une jeune active sur trois est au chômage: le tout dans une société par ailleurs extrêmement inégalitaire. Donc, les jeunes partent: la Martinique souffre depuis plusieurs années d'une décroissance démographique et sa population vieillit.

Vieillissement et précarité avec des facteurs de comorbidité – comme le diabète, l'hypertension, l'asthme – tous sur-représentés en Martinique. Une population fragile économiquement, sanitairement et politiquement: un contexte explosif.

Situation encore plus inquiétante en Polynésie

Dans l'océan Pacifique, la Polynésie française inquiète aussi, car la situation y est encore plus critique. Tout comme pour les Antilles, le nombre de décès, s'il ne paraît pas impressionnant pris isolément, l'est bien si on le ramène à la population totale: dix-sept décès en 24 heures, sur une population de moins de 300'000 personnes, cela équivaudrait à plus de 3000 décès par jour en métropole.

Là aussi, le taux de vaccination est très bas. La Polynésie a été relativement épargnée lors de la première vague et elle avait un gros retard de vaccination; désormais un peu plus de 30% de la population a reçu les deux doses, avec une campagne qui s'est accéléré.

La Polynésie est moins réticente que les Antilles, mais il y existe un problème logistique. Avec cinq archipels, des dizaines d'îlots et d'atolls, le tout réparti sur une surface équivalente à l'Europe… cela explique aussi le nombre de décès, car toutes les personnes y vivant n'ont pas accès à un médecin.

Vacciner toute la population s'avère très compliqué, d'autant plus qu'il faut développer des méthodes spécifiques pour des raisons d'accès aux quartiers défavorisés et isolés des grandes villes: le personnel médical doit se déplacer vers ces populations et ne pas attendre qu'elles se déplacent. Un problème aussi rencontré dans les Antilles.

Là aussi, une précarité qui fragilise. En Polynésie, 20% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté selon des chiffres de 2015. C'était aussi le cas pour une personne sur deux à Tahiti. Et qui dit précarité, dit aussi sur-représentation des comorbidités, les mêmes que celles rencontrées aux Antilles.

Les Antilles et la Polynésie… ces lointaines îles françaises seraient soi-disant paradisiaques.

Sujet radio: Ariane Hasler

Version web: Stéphanie Jaquet

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