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Jean-Paul Rouiller: "La menace terroriste demeure, mais elle a muté"

Jean-Paul Rouiller, ancien agent fédéral et spécialiste de l’antiterrorisme, GCSP (Geneva Centre for Security Policy). [DR]
Le défi terroriste global avec le retour des talibans: interview de Jean-Paul Rouiller / Tout un monde / 9 min. / le 31 août 2021
Si les Etats-Unis ont quitté l'Afghanistan, ils ne cesseront pas pour autant d'être présents sur place. Notamment via des unités spéciales infiltrées, explique le spécialiste du terrorisme Jean-Paul Rouiller. Pour lui, "la menace terroriste globale demeure mais n'est plus la même".

Le dernier avion militaire américain vient de quitter l'Afghanistan, dans les conditions chaotiques que l'on sait. Sauf qu'il va falloir y retourner, c'est du moins ce que laissait entendre récemment sur NBC Leon Panetta, ancien ministre américain de la Défense et directeur de la CIA.

"On ne peut pas juste dire: 'Au diable l'Afghanistan!'. Pour pourchasser le groupe Etat islamique comme le veut le président Joe Biden, il faudra des opérations antiterroristes", a-t-il déclaré. Et même chose avec Al-Qaïda: "Notre travail en Afghanistan n'est pas terminé. Al-Qaïda va se rétablir avec les talibans", a-t-il ajouté.

A l’entendre, la mission première des Américains, qui consistait à neutraliser les groupes terroristes comme Al-Qaïda et l'EI, ne semble donc de loin pas accomplie et le fait que l'armée américaine ne soit plus sur place va fortement compliquer son action.

>> Le suivi de la situation en Afghanistan : Les talibans paradent dans l'aéroport de Kaboul après le retrait américain

Une menace globale différente

Pour Jean-Paul Rouiller, directeur du groupe d'analyse du terrorisme au Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP), ce changement de stratégie des Américains peut se justifier par le fait que la menace terroriste, si elle demeure, a fondamentalement changé ces dernières années.

"On n’est plus dans la situation qui était celle où l’Etat islamique contrôlait une partie de la zone syro-irakienne, ou plus tôt encore en 2001 quand Al-Qaïda avait des bases arrières encore très solides en Afghanistan. L’un comme l’autre groupe ont survécu aux échecs, qui ont été la prise de contrôle de l’Afghanistan par la coalition en 2001 et la perte du sanctuaire syro-irakien par l’EI il y a deux ans. Ils ont survécu et muté. La menace globale demeure, mais n’est pas la même", a expliqué le spécialiste mardi dans l'émission Tout un monde.

Et si les Etats-Unis ont décidé de partir officiellement de la région, Jean-Paul Rouiller insiste sur le fait qu’ils ne la quitteront pas totalement. "Les USA pourront toujours, par différents moyens, lancer des frappes préventives ou punitives", souligne-t-il, rappelant d'ailleurs que c’est ce qui a été fait après l’attentat à l’aéroport de Kaboul la semaine dernière.

L'utilité des drones

Même son de cloche du côté des services de renseignement à Washington. Ancien responsable des opérations spéciales contre le terrorisme au sein du Département de la défense sous Barack Obama, William Wechsler, qui dirige aujourd'hui le centre Rafic Hariri du think-tank Atlantic Council, estime qu'il sera désormais plus difficile de surveiller des groupes terroristes comme Al-Qaïda et l'EI.

"Pour avoir des renseignements, il faut des partenaires sur le terrain, qui font remonter des informations ou qui mettent par exemple des téléphones sous écoute. Donc là, il est probable qu'on ait moins de renseignements."

William Wechsler précise cependant qu'il y aura toujours la possibilité d’intervenir depuis l'extérieur, notamment avec des drones. "L’idée des drones, c’est de surveiller une cible potentielle pendant longtemps afin de déterminer le moment opportun pour organiser une frappe", explique-t-il dans La Matinale.

Certes, ce procédé sera désormais plus compliqué, mais pas impossible. "Il va falloir envoyer des drones depuis le Qatar ou les Emirats arabes unis, en survolant d’autres pays qui n’ont peut-être pas envie qu’on les survole. A la fin, il va falloir soit déployer plus d’appareils pour ce type de mission, soit accepter de prendre plus de risques", conclut William Wechsler.

>> Ecouter l'interview complète de William Wechsler :

William Wechsler, directeur du centre Rafic Hariri du think-tank Atlantic Council. [https://www.atlanticcouncil.org/]https://www.atlanticcouncil.org/
Retrait américain d'Afghanistan: interview de William Wechsler / La Matinale / 2 min. / le 31 août 2021

Des forces spéciales en infiltration

Si les Etats-Unis seront toujours présents sur place, ce sera forcément de manière moins massive. "L'idée d'avoir des dizaines de milliers de soldats sur place est exclue. On parle désormais de forces spéciales, d’unités spécifiques qui seront envoyées en infiltration, en reconnaissance, en recherche de renseignements sur différentes zones de l’Afghanistan", poursuit Jean-Paul Rouiller, assurant que les Américains ne perdront donc pas leurs yeux et leurs oreilles sur place.

"Il va y avoir une baisse de cette capacité de renseignement, mais dans l’absolu cette capacité demeure. Ce qu’il s’est passé ces derniers jours, c’est entre autres le résultat d’interceptions téléphoniques, de surveillance électronique, des éléments faits par différents types de plateformes qui n’ont pas besoin d’être au sol pour pouvoir être mises en œuvre."

Propos recueillis par Eric Guevara-Frey et Jordan Davis

Adaptation web: Fabien Grenon

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Des attentats en Europe ne sont pas exclus

Reste le risque que des terroristes en puissance se soient cachés parmi ceux qui ont fui l'Afghanistan. Jean-Paul Rouiller ne peut l'exclure.

"La possibilité est réelle, mais que représente-t-elle de manière effective? C’est toute la question", s'interroge-t-il. Avant d'ajouter: "On sait aussi que des ressortissants européens qui ont combattu au sein de l’Etat Islamique en Syrie ont ensuite migré en direction de l’Afghanistan. Imaginez que ces gens veuillent s’immiscer dans le flux des réfugiés rentrés en Europe. C’est envisageable, le risque existe et il doit être pris au sérieux pour l’éviter au maximum."

Selon l'expert, l'Union européenne fait tout ce qu'elle peut pour exclure au maximum tout risque, se reposant notamment sur le passé. "L'UE a renforcé toutes les formes de contrôles possibles et imaginables sur les frontières extérieures, mais à l’intérieur aussi. Elle a essayé de fluidifier la transmission des informations, notamment les informations techniques, comme les empreintes digitales et tout ce qui permet d’identifier sérieusement un individu", explique-t-il.

"Malgré tout, il faut être réaliste, si les individus qui veulent rentrer le font par voie terrestre, cela va être difficile d’empêcher que l’un ou l’autre réussisse. Mais la proportion sera très faible", conclut-il.