Au premier jour du procès des attentats de Paris, Salah Abdeslam choisit la défiance
- Des "kamikazes" au Stade de France, des terrasses de bars mitraillées et la salle du Bataclan prises d'assaut: six ans après les attentats djihadistes du 13 novembre 2015, la justice française replonge à partir du 8 septembre dans le déroulement de ces commandos qui ont fait ce soir-là 130 morts et 350 blessés à Paris et dans ses environs.
- Avec un dossier d'instruction de 542 tomes, près de 1800 parties civiles et une salle d'audience construite ad hoc, le procès qui s'ouvre est de tous les superlatifs. La charge émotionnelle est énorme également, après des attaques qui sont restées le point culminant d'une série d'attentats djihadistes sur sol français.
- Sous sécurité maximale, la cour d'assises spéciale de Paris va juger 20 accusés, dont Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (EI). Autour de lui, les enquêteurs sont parvenus à identifier un réseau international de planificateurs, logisticiens, convoyeurs et intermédiaires "qui ont eu une part extrêmement importante dans les faits", selon l'ancien procureur de Paris François Molins.
- Plusieurs zones d'ombres subsistent parmi les événements retracés par les investigations, à commencer par le rôle exact de Salah Abdeslam dans les attentats. Le procès, qui doit à ce stade se terminer le 25 mai 2022, tentera également de faire la lumière sur ces questions encore en suspens.
- La première journée du procès a été marquée par la présence de Salah Abdeslam, qui a choisi d'adopter une attitude de défiance face au tribunal.
Katharina Kubicek / RTS info avec les agences
La suite de l'agenda
Le planning provisoire prévoit un verdict à la fin de mois de mai 2022. Mais il est très probable que les débats nécessitent plus de temps.
Les victimes et les proches témoigneront pendant cinq semaines à partir de fin septembre. Il faudra ensuite attendre début janvier pour l'interrogatoire des accusés.
Avec cette salle de tribunal construite sur mesure pour ce procès, et avec tous les moyens engagés, il faut dire que la justice française veut être à la hauteur pour juger l'attentat le plus meurtrier jamais commis sur son sol.
Le récit de la première journée de procès
La première journée du procès des attentats de Paris a été marquée par la présence de Salah Abdeslam. En fin de journée, l'audience a été marquée par un coup d'éclat de l'accusé, qui a protesté contre ses conditions de détention. "Je suis traité comme un chien", s'est-il emporté alors qu'il n'avait pas la parole à ce moment-là.
Alors que beaucoup se demandaient en amont de ce procès comment allait agir le seul membre encore en vie des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (EI), cette première journée semble livrer la réponse.
Barbe fournie, cheveux longs, vêtu de noir, Salah Abdeslam a adopté un comportement plein de défiance, certains diront de morgue, qui s'est distingué de l'attitude des autres accusés qui se sont montrés plus coopératifs. L'un d'eux a même fait un malaise au cours de la journée.
La suite a été consacrée à la constitution des parties civiles, c'est-à-dire la défense des intérêts des victimes. Les avocats qui les représentent ont cité un à un leurs noms et il faudra encore deux jours pour établir cette liste. Derrière chaque nom, ce sont des tragédies personnelles, celles de rescapés blessés, traumatisés ou encore des personnes qui ont perdu un proche. On pourrait atteindre 1800 parties civiles d'ici vendredi.
Salah Abdeslam: "J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique"
Le procès s'est ouvert en présence de Salah Abdeslam, seul membre encore en vie des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (Daech).
Le Franco-Marocain a pris place vers 12h45 dans le box des accusés, entouré de plusieurs membres des forces de l'ordre, quelques minutes avant l'ouverture de ce procès hors normes.
Alors qu'il était invité à décliner son identité à l'ouverture de l'audience, il a déclaré: "Tout d'abord, je tiens à témoigner qu'il n'y a pas de divinité à part Allah et que Mohamed est son messager", citant la profession de foi musulmane. Interrogé ensuite sur sa profession, il a répondu : "J'ai délaissé toute profession pour devenir un combattant de l'Etat islamique".
Le procès s'ouvre à Paris, sous très haute surveillance
Avant la première audience qui a commencé à 12h30, un convoi ultrasécurisé a quitté - sous l'œil des caméras, la prison de Fleury-Mérogis, où le seul membre encore en vie des commandos djihadistes du 13 novembre 2015, Salah Abdeslam, est depuis plus de cinq ans incarcéré à l'isolement total.
Au bord de la Seine, les abords du palais de justice historique étaient bloqués depuis l'aube par un large périmètre de sécurité.
"Le monde entier nous regarde"
Près d'un millier de membres des forces de l'ordre seront mobilisés pour la sécurité du procès, dont 630 aux abords du palais et à l'intérieur, a-t-on appris auprès du ministère de l'Intérieur.
"Le monde entier nous regarde", a lancé au micro de BFMTV et RMC le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, pour qui le défi est double: que la justice "soit rendue conformément aux règles qui sont les nôtres depuis des siècles et que nous soyons au rendez-vous logistique". "Ce qui fait la différence entre la civilisation et la barbarie, c'est la règle de droit", a ajouté le ministre.
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Filmé pour l'Histoire, ce procès va se dérouler sur neuf mois, une durée sans précédent pour une audience criminelle en France. Il est aussi inédit par l'ampleur du dossier - 542 tomes - par son nombre de parties civiles - au moins 1800 - et par sa charge émotionnelle.
Vingt accusés
La cour d'assises spéciale doit juger au total vingt accusés, soupçonnés d'être impliqués à divers degrés dans la préparation des attentats djihadistes les plus sanglants en France.
Dix prendront place dans le box aux côtés de Salah Abdeslam, trois autres, sous contrôle judiciaire, comparaîtront libres. Six autres enfin sont jugés par défaut, dont le donneur d'ordres et vétéran du jihad Oussama Atar, et les "voix" françaises de la revendication de l'EI, les frères Fabien et Jean-Michel Clain, tous trois présumés morts en Syrie.
Les deux premières journées d'audience seront essentiellement consacrées à l'appel des parties civiles.
Gérôme Truc: "La société entière a besoin que justice soit rendue"
Invité mercredi dans le 12h30, il explique qu'une "large partie" de la société a pu s'identifier aux attentats du 13 novembre 2015, car ils visaient des personnes aléatoirement. "Beaucoup de gens se sont dit que ce soir-là, ils auraient pu être à la place des victimes ou des gens qu'ils connaissaient."
C'est la raison, selon Gérôme Truc, pour laquelle l'ensemble de la société française "a besoin que justice soit rendue". Filmé pour l'Histoire, ce procès va également être diffusé sur une webradio afin de permettre à toutes les parties civiles de suivre, avec un léger différé, les débats.
"Pour rappel, le procès des attentats du 11 mars 2004 qui s'est tenu en 2007 avait également été filmé et même retransmis en direct pour permettre que les gens puissent le suivre", explique-t-il. Pour le sociologue au CNRS, comme le procès "va rejouer les événements du 13 novembre", cela peut "raviver les tensions qui ont pu se jouer autour" à l'époque comme les théories du complot.
"On ne répare pas une tragédie par une injustice", selon François Zimeray, avocat de victimes
La justice française replonge mercredi et pour neuf mois dans l'horreur des attentats djihadistes du 13 novembre 2015. Invité dans La Matinale, le vice-président de l'Association française des victimes du terrorisme, qui représente 300 victimes, François Zimerayqualifie ce procès d'"épreuve" pour les victimes. "Car on est confronté à des faits qu'on ne voudrait pas voir; à des versions qu'on ne voudrait pas entendre; à des difficultés à faire émerger la vérité qui n'apparaîtra que par lambeau", décrit François Zimeray.
L'avocat estime que la vérité "est souvent décevante et pas à la hauteur de la souffrance" de chacun. "Notre rôle est de préparer les victimes, de leur dire que ce procès est nécessaire. (…) Mais on ne fera jamais justice de ces massacres."
Quand vous avez perdu un enfant dans ces conditions, quelle décision peut vous rendre justice, au sens propre? L'ambition la plus haute que l'on puisse fixer, ce n'est pas de rendre justice, c'est de dire le droit
Et d'ajouter: "Quand vous avez perdu un enfant dans ces conditions, quelle décision peut vous rendre justice, au sens propre? L'ambition la plus haute que l'on puisse fixer, ce n'est pas de rendre justice, c'est de dire le droit. Le droit, ce n'est pas la justice. Le droit, c'est la présomption d'innocence, que le doute profite à l'accusé…"
Selon François Zimeray, qui a échappé à la mort lors d'un attentat islamiste à Copenhague en 2015, alors qu'il était ambassadeur de France au Danemark, "on ne répare pas une tragédie par une injustice".
Regards tournés sur Salah Abdeslam
L'attention se porte beaucoup sur Salah Abdeslam, le seul membre encore en vie des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique. "L'attente risque d'être décevante", note l'avocat. François Zimeray rappelle que Salah Abdeslam n'est pas obligé de parler.
"S'il parle, les victimes seront déçues. S'il parle et qu'il est dans le déni, elles seront déçues. S'il parle et qu'il donne la vérité et que cette vérité est banale, médiocre, elles se diront que ce n'est que pour cela que leurs proches sont morts. Il faut aussi les préparer à ce type de déceptions."
Discours de victimisation, le "lit du terrorisme"
Pour le vice-président de l'Association française des victimes du terrorisme, la voie de la justice, du droit pour juger ces actes est la bonne: "Le terrorisme ne commence pas au moment où on achète des armes. Il commence avec le discours selon lequel la fin justifie les moyens. Le terroriste est quelqu'un qui considère qu'il a droit à une réparation, car cela est juste, parce ce qu'il se sent victime. Tout le discours de victimisation individuel ou collectif peut faire le lit du terrorisme."
Et d'ajouter: "On entend si souvent, ce n'est pas bien, mais on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. Non. On doit être les avocats des œufs."
Procès historique pour une nuit d'horreur
Un million de pages de procédure, des investigations en Europe et au-delà: en quatre ans, policiers et magistrats ont bouclé une enquête inédite qui éclaire la préparation et la réalisation des attentats du 13 novembre 2015, même si des questions restent en suspens.
La cour d'assises spéciale de Paris juge à partir du 8 septembre 20 accusés, dont Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos téléguidés par le groupe Etat islamique (EI) qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et Paris.
Autour de lui, les enquêteurs sont parvenus à identifier planificateurs, logisticiens, convoyeurs et intermédiaires.
On est dans la tuerie de masse et les investigations, hors-normes, ont pu véritablement aller au bout.
"Dans le box, on va se trouver avec des accusés qui ont eu une part extrêmement importante dans les faits. Il ne faut pas se polariser sur le seul Salah Abdeslam", souligne l'ancien procureur de Paris François Molins. "On est dans la tuerie de masse et les investigations, hors-normes, ont pu véritablement aller au bout".
"Il reste des zones d'ombre dans toutes les enquêtes terroristes (...) mais nous avons des éléments qui permettent de comprendre l'organisation, les préparatifs, le déroulement", abonde l'actuel procureur antiterroriste Jean-François Ricard.
Dossier gigantesque
Le dossier de 542 tomes est gigantesque. Il déborde d'un "nombre considérable de scellés" constitués sur les lieux des attentats, dans les trois voitures des assaillants et leurs "logements conspiratifs" en France et en Belgique, avec des recherches "systématiques" d'empreintes digitales et de traces génétiques, selon des documents consultés par l'AFP.
Ce procès titanesque - également par sa charge émotionnelle et le nombre exceptionnel de ses parties civiles (près de 1800) - a nécessité deux ans de préparation et la construction d'une salle d'audience ad hoc au coeur de l'historique palais de justice de la capitale.
Tenir un procès de cette ampleur jusqu'à son terme - prévu à ce stade le 25 mai 2022 - constitue un défi inédit pour l'institution judiciaire, particulièrement en temps de pandémie et de menace terroriste toujours élevée.
Vidéosurveillance et enregistrements
Durant l'enquête, gardes à vue, auditions et perquisitions se sont multipliées. Les armes, munitions et gilets explosifs des membres du commando ont été minutieusement examinés, leur matériel informatique et leurs appels téléphoniques passés au crible.
La vidéosurveillance et les enregistrements audio retrouvés au Bataclan ont permis d'ajuster la chronologie des événements, de l'explosion du premier kamikaze à 21h16 devant le Stade de France à l'assaut de la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) à 00h18 au Bataclan.
La piste belge
Les enquêteurs - jusqu'à 1000 au début de l'enquête - et les cinq magistrats antiterroristes saisis ont rapidement établi que les attentats avaient été coordonnés depuis la Belgique.
Ils ont identifié leur commanditaire en Syrie: Oussama Atar, un Belge né en 1984 surnommé "Abou Ahmad al-Iraki". Membre important de l'EI, il est vraisemblablement mort dans une frappe de la coalition en zone irako-syrienne en novembre 2017.
Une coopération "de grande ampleur et d'excellente qualité" a été mise en place entre la France et la Belgique, avec l'appui de l'unité européenne de coopération judiciaire Eurojust et de l'agence européenne de police Europol, qui a créé pour ce dossier une task-force nommée "Fraternity".
Cette collaboration a été étendue à "quasiment tous les pays européens et plusieurs autres concernés". Les juges antiterroristes ont néanmoins dû se contenter d'"éléments sommaires" fournis par l'Irak et le Pakistan et ont déploré l'absence de coopération de la Turquie et de la Syrie.
Le 13 novembre, nuit sanglante
Le soir du 13 novembre 2015, des commandos djihadistes font 130 morts et 350 blessés à l'extérieur du Stade de France près de Paris, sur des terrasses de la capitale et dans la salle de spectacle du Bataclan.
La France vient de connaître les attentats les plus meurtriers jamais perpétrés sur son sol, les premiers commis par des kamikazes, et découvre les heures suivantes, sonnée, les détails d'une nuit d'horreur.
Explosions aux portes du Stade de France
Ce vendredi soir, François Hollande assiste au stade de France à Saint-Denis (nord de Paris) à une rencontre amicale de football entre la France et l'Allemagne. Peu avant 21H20, une forte détonation fait sursauter le chef de l'Etat et les 80'000 spectateurs.
Quatre minutes plus tard, la deuxième détonation ne laisse plus de doute à l'exécutif quant au caractère terroriste de l'attaque: trois kamikazes se sont faits exploser aux portes du stade et, près de là, un chauffeur de car a aussi été tué.
Le président Hollande est évacué discrètement, mais fait continuer le match pour ne pas déclencher de mouvement de panique chez les spectateurs confinés un long temps dans le stade. "C'est une horreur", dira-t-il quelques heures plus tard d'une voix blanche en s'adressant sur les ondes aux Français.
Terrasses mitraillées
Pendant ce temps, un autre commando de trois hommes circulant en voiture mitraille en effet des terrasses, bondées en cette douce soirée automnale, des Xe et XIe arrondissements (est) de Paris, tuant 39 personnes en une demi-heure.
Le restaurant Le Petit Cambodge et le bar Le Carillon, près du canal Saint-Martin, sont les premiers visés à 21h25, puis le bar A la Bonne bière, la pizzeria Casa Nostra et le bistrot La Belle équipe. Un des assaillants finit par se faire exploser au café Comptoir Voltaire, faisant plusieurs blessés.
Terreur et carnage au Bataclan
A 2 kilomètres de là, dans la salle de concerts le Bataclan, le groupe de rock californien Eagles of Death Metal se produit devant 1500 personnes enthousiastes.
Il joue le morceau "Kiss the devil" ("Embrasse le diable") lorsqu'un troisième commando fait irruption, à 21h40, et commence à tirer sur le public. Le carnage, qui durera plus de trois heures, fera 90 morts.
"Je vois du monde se plier comme un champ de blé face au vent", racontera un rescapé, alors âgé de 24 ans. Je me retourne, je vois deux personnes armées qui tirent sur tout ce qui bouge (...) Je me retrouve au sol avec tout le monde".
Quelques spectateurs parviennent à s'enfuir, d'autres se cachent dans les faux plafonds ou sur le toit, tandis que dans la fosse plusieurs personnes, terrorisées, feignent la mort parmi les cadavres enchevêtrés.
"Avec mon copain, on ne faisait que se dire qu'on s'aimait. Au point qu'un type nous a dit: 'fermez-la, vous faites trop de bruit'. Je ressentais cette urgence de dire que j'aimais", témoignera une jeune femme.
Peu avant 22h00, un commissaire de police entre dans la salle, abat un assaillant dont la ceinture explose.
Les deux autres djihadistes retiennent alors une douzaine d'otages à l'étage. "Ils disent qu'ils sont de l'organisation Etat islamique, que c'est de la faute de François Hollande", racontera l'un d'eux, âgé à l'époque de 49 ans. "Pour moi, on était morts. Je ne voyais pas comment ça pouvait bien se terminer".
Les deux preneurs d'otages meurent lorsque les forces d'élite donnent finalement l'assaut à 00h18, l'un deux en actionnant sa ceinture d'explosifs.
L'organisation Etat islamique (EI) revendique les attentats, les enquêteurs traquent les terroristes en fuite et leurs complices.
Traque de 5 jours
Deux assaillants sont en fuite, la traque s'organise. Elle durera cinq jours: une figure du djihadisme francophone en Syrie, le Belge Abdelhamid Abaaoud, est tué le 18 novembre lors d'un assaut policier dans un appartement de Saint-Denis, de même qu'un complice qui se fait exploser et la cousine qui leur avait trouvé cette planque.
Alors que la France pleure ses morts, ferme ses frontières et décrète l'état d'urgence, une enquête tentaculaire commence, avec l'étroite collaboration de la justice belge.
Le seul membre des commandos encore en vie, le Franco-marocain Salah Abdeslam, est arrêté quatre mois plus tard à Bruxelles, en compagnie d'un complice tunisien.
Un donneur d'ordre en zone irako-syrienne contrôlée par le groupe Etat islamique (EI), des commandos entraînés dans les camps djihadistes, une cellule dormante à Bruxelles... Les attentats perpétrés le 13 novembre 2015 en France ont été minutieusement préparés.
Les informations collectées par l'agence européenne de police Europol, l'unité européenne de coopération judiciaire Eurojust, la police française et plusieurs services de renseignement étrangers ont permis de dérouler l'écheveau de l'opération.
Dès le soir des attaques, des morceaux de faux passeports syriens sont découverts près des corps de deux des trois kamikazes du Stade de France. Ces deux hommes - de nationalité irakienne - sont entrés en Europe par l'île grecque de Leros le 3 octobre 2015 et faisaient partie d'un groupe de 198 migrants illégaux.
Sur la route des migrants
Dans ce même groupe de migrants, la police repère deux ressortissants, l'un algérien, l'autre pakistanais, brièvement incarcérés à leur arrivée en Grèce.
Tous deux sont interpellés dans un foyer pour migrants en Autriche en vertu d'un mandat d'arrêt européen délivré le 10 décembre 2015. Interrogés, ils reconnaissent avoir été envoyés en mission-suicide en France par le groupe État islamique.
À la faveur de leurs investigations, les enquêteurs découvrent que la plupart des membres du commando djihadiste sont arrivés de Syrie en Europe en se faisant passer pour des réfugiés.
Leur parcours est souvent le même. Avec de faux passeports syriens, ils arrivent en Grèce, traversent avec des voitures de location la Hongrie, l'Autriche et l'Allemagne ou passent par les Balkans, avant de rejoindre la Belgique.
Cellule "Copex" de l'EI
Utiliser "la route des migrants" pour rejoindre l'Europe est une idée de la cellule des opérations extérieures (Copex) de l'EI, dédiée à la perpétration d'attentats en Europe.
La Copex a été créée en juin 2014. Chapeautée par le numéro 2 de l'organisation, Abou Mohammad Al-Adnani, elle est dirigée par le Belgo-Marocain Oussama Atar dit "Abou Ahmad al-Iraki".
En septembre 2014, pour répondre à la coalition militaire internationale et aux frappes aériennes occidentales sur les implantations et les troupes de l'EI, Abou Mohammad Al-Adnani a appelé les musulmans à réagir face aux "croisés" et leurs alliés.
La France dans le viseur
La France fait l'objet d'une vindicte particulière: "si vous pouvez tuer un incroyant américain ou européen - en particulier les méchants et sales Français - alors comptez sur Allah et tuez-le de n'importe quelle manière", exhorte-t-il. "Frappez sa tête avec une pierre, égorgez-le avec un couteau, écrasez-le avec sa voiture, jetez-le d'un lieu en hauteur, étranglez-le ou empoisonnez-le".
"Ce discours était fondateur d'une nouvelle stratégie visant à porter le combat contre les 'mécréants' sur leur propre sol et singulièrement en France, avec l'objectif avoué d'y répandre la terreur", analysent les enquêteurs français.
Plusieurs individus, agissant seuls ou en petits groupes, radicalisés et fascinés par la propagande de l'organisation djihadiste, ont répondu à ces appels au meurtre en commettant des attentats sanglants en France, souvent ensuite revendiqués par l'EI.
Les hommes venus de Syrie arriveront en Belgique à partir de la fin août 2015. Munis de fausses cartes d'identité belges, ils y resteront cachés dans ces planques louées par les frères Bakraoui.
La période août - novembre sera mise à profit par les djihadistes "pour acquérir les produits nécessaires à la fabrication du TATP (peroxyde d'acétone, un explosif fabriqué à base de produits vendus dans le commerce, ndlr) et très vraisemblablement se procurer les fusils d'assaut utilisés le 13 novembre 2015", estiment les enquêteurs.
Salah Abdeslam, prisonnier le plus surveillé de France
Seul membre encore en vie des commandos djihadistes du 13 novembre, Salah Abdeslam est depuis plus de cinq ans incarcéré à l'isolement total, suivi 24h sur 24 par vidéosurveillance. Cela fait de lui le détenu le plus surveillé de France. La cour d'assises spéciale de Paris replongera à partir du mercredi 8 septembre et pour près de neuf mois dans l'horreur de ces attentats djihadistes.
Capturé en Belgique le 18 mars 2016 après quatre mois de cavale, Salah Abdeslam a été transféré en France en vertu d'un mandat d'arrêt européen un mois plus tard, le 27 avril, et placé en détention provisoire à Fleury-Mérogis, la plus grande prison d'Europe.
Il est incarcéré dans cette maison d'arrêt du sud de Paris sous le régime très strict de l'isolement, seul dans une cellule et avec la particularité que celle-ci est équipée, une première en France, d'un dispositif de vidéosurveillance fonctionnant 24h sur 24.
Eviter une "chaise vide au procès"
Le ministre français de la Justice de l'époque, Jean-Jacques Urvoas, s'était engagé sur cette mesure avant le transfèrement de Salah Abdeslam en France, afin de garantir "qu'il n'y ait pas de chaise vide au procès".
D'abord sans base légale, ce placement sous l'oeil constant des caméras du suspect-clé des attentats de Paris et Saint-Denis a fait l'objet d'un arrêt ministériel a posteriori, le 9 juin 2016, et a ensuite été voté par le Parlement. Ce dispositif exceptionnel de vidéosurveillance a également été validé par le Conseil d'Etat.
Contestant une atteinte excessive à sa vie privée, Salah Abdeslam avait saisi la haute juridiction administrative, qui avait considéré que "le caractère exceptionnel des faits terroristes" pour lesquels il est poursuivi "impliquait que toutes les précautions soient prises pour éviter son suicide et son évasion".
Concrètement, Salah Abdeslam est détenu sous la surveillance ininterrompue de caméras scrutant chacun de ses faits et gestes, dans sa cellule et lors de ses promenades quotidiennes, qu'il effectue seul sur une cour aérienne.
Plus de 466'000 francs par an
Le coût de la détention du prisonnier le plus surveillé de France a récemment été chiffré par la Chancellerie. Dans une réponse à un parlementaire, parue au Journal officiel le 2 février, le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti indique qu'il s'élève à plus de 430'000 euros annuels (466'000 francs), dont précisément "397'340" euros (431'278 francs) au titre des dépenses de personnels.
Près de 190'000 euros (206'000 francs) ont également été nécessaires pour le brouillage anti-téléphones portables à proximité de sa cellule et plus de 16'000 euros (17'300 francs) pour la mise en place du système de vidéoprotection, des dépenses "désormais amorties" selon le ministère.
Outre la cellule occupée par Salah Abdeslam, quatre autres sont mobilisées: l'une est dédiée à l'installation du dispositif de surveillance, une autre - également vidéosurveillée - est équipée d'un rameur et d'un vélo, et les deux dernières sont laissées libres par sécurité, précisait la Chancellerie.
Zones d'ombres et angles morts
Après quatre ans et demi d'instruction, une enquête internationale qui a mobilisé 19 pays, et des centaines de milliers de pages de procès-verbaux,l'enquête tentaculaire autour des attentats parisiens du 13 novembre a réussi à retracer le parcours des assaillants "entre l'été 2014 et les attentats. La chronologie et le rôle de chacun sont bien établis", notent des connaisseurs de l'affaire.
Certaines questions restent néanmoins sans réponse, et des zones d'ombre subsistent. A commencer par le rôle exact de Salah Abdeslam, 26 ans à l'époque. Depuis cinq ans, il oppose aux juges français un silence obstiné. Ses seules explications, sommaires, ont été réservées à une magistrate belge juste après son interpellation en mars 2016.
Selon ses affirmations, le soir du 13 novembre 2015, il dépose les trois "kamikazes" au Stade de France où ils se feront exploser. Puis il roule au hasard, gare sa voiture - "quelque part, j'ignore où", dit-il, alors qu'elle sera retrouvée dans le XVIIIe arrondissement de Paris - et prend le métro. Il en ressort deux stations plus loin et rejoint la banlieue sud, où deux comparses belges le récupèrent le lendemain matin.
L'homme s'est débarrassé de son gilet explosif dans une rue de Montrouge (Hauts-de-Seine). "Lors des attentats, j'avais une ceinture d'explosifs. Toutefois, je n'ai pas voulu la faire exploser", avance-t-il devant la magistrate belge. C'est tout.
Pourquoi pas dans le métro et à l'aéroport de Schipol?
Dans sa revendication, l'EI a mentionné le XVIIIe arrondissement comme un des lieux ciblés par le commando. Or, dans un ordinateur retrouvé dans une poubelle de Bruxelles le 22 mars 2016, quatre mois après les attentats de Paris - un ordinateur abandonné par trois membres encore actif de cette cellule terroriste qui s'apprêtaient à se faire exploser à l'aéroport bruxellois de Zaventem dans un attentat qui a fait 32 morts - les enquêteurs ont déniché un organigramme avec un dossier intitulé 'groupe métro'. Pour les juges d'instruction, Salah Abdeslam a pris le métro pour y commettre un attentat mais sa ceinture explosive, défectueuse, n'a pas fonctionné.
Dans le même organigramme figurait un dossier 'groupe Schipol', du nom de l'aéroport d'Amsterdam. La présence dans la ville néerlandaise le soir du 13 novembre 2015 de deux membres de la cellule belge a convaincu les enquêteurs qu'un attentat était planifié à Schipol. Pourquoi n'a-t-il pas été mis à exécution?
"Abou Omar" dans l'angle mort
L'autre "grand mystère" du dossier, selon un de ses connaisseurs, tourne autour d'Abdelhamid Abaaoud, le "chef opérationnel" des commandos tué lors de l'assaut du Raid à Saint-Denis le 18 novembre. L'apparition de ce Belgo-Marocain de 28 ans sur les caméras de vidéosurveillance d'une station de métro de l'est parisien, baskets orange aux pieds et accompagné d'un complice, après avoir mitraillé les terrasses, estomaque les enquêteurs.
La "neutralisation" de cet homme - surnommé "Abou Omar" en Syrie, où il avait rejoint les rangs de l'EI début 2013 - était pourtant "une priorité urgente" de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) depuis septembre 2015.
Alors que les services de renseignement le croyaient en Syrie, il regagne l'Europe en se mêlant au flux des réfugiés et arrive en Belgique le 6 août. Qu'a-t-il fait jusqu'au 12 novembre, lorsqu'il prend place dans une des trois voitures des commandos qui quitte Charleroi (Belgique) pour un appartement à Bobigny ?
D'autres cellules dormantes?
Ses empreintes génétiques n'ont été retrouvées que sur un aspirateur et une fenêtre de l'appartement de Charleroi, ce qui suggère qu'il n'y est pas resté longtemps et n'a fréquenté aucune autre planque connue de l'équipe en Belgique.
Le témoin qui l'a identifié dans sa cache d'Aubervilliers affirme qu'Abdelhamid Abaaoud s'est vanté d'avoir emprunté le chemin des migrants vers l'Europe avec "90 djihadistes" prêts à frapper la France.
S'il est avéré que l'EI a envoyé des combattants en Europe, ceux qui étaient liés à la cellule belge ont été identifiés. Mais il reste un doute sur l'existence d'autres cellules.
L'enquête a conduit à l'arrestation, dans un centre de réfugiés en Autriche le 10 décembre 2015, d'un Algérien et d'un Pakistanais. Tous les deux ont reconnu avoir été missionnés avec deux kamikazes du Stade de France par "Abou Ahmad al-Iraki" pour une action en France. Bloqués en Grèce vingt-cinq jours à cause de leurs faux papiers syriens, ils n'ont pu rejoindre la Slovénie qu'au lendemain des attentats parisiens, et l'Autriche le jour suivant.
Pour les enquêteurs, ils n'ont jamais renoncé à l'idée de commettre un attentat et sont restés en lien avec Oussama Atar pendant leur séjour à Salzbourg. Dans l'attente de renforts? Là non plus, l'enquête n'a pas permis de répondre à cette question. Pour des connaisseurs du dossier, il est peu probable que les accusés éclaircissent ces zones d'ombre lors du procès.
"Les ombres du Bataclan"
Le documentaire "Les ombres du Bataclan" propose une enquête qui met notamment en lumière les dysfonctionnements politiques, policiers, judiciaires qui ont abouti à la nuit tragique du 13 novembre 2015.
Le réalisateur Francis Gillery s'est penché sur les travaux de la commission d'enquête parlementaire qui a épluché en 2016 le dossier des attentats et pointé des failles.
Comment les auteurs des attentats du Bataclan, du Stade de France et des terrasses des 10e et 11e arrondissements parisiens ont-ils pu échapper à la vigilance des services de renseignement et de sécurité?
Ce documentaire rappelle aussi les faits, les ramifications des réseaux terroristes de l'époque, les initiatives individuelles qui ont permis de sauver des vies, comme la courageuse interposition des vigiles du Stade de France.