Il flotte comme un parfum de nostalgie en Allemagne à l’approche du départ de cette femme d'exception. Elue pour la première fois en 2005, son destin politique épouse étroitement celui de cette Allemagne réunifiée, dans la foulée de la chute du Mur de Berlin. Angela Merkel a grandi en Allemagne de l’Est et a étudié la physique à Leipzig. A la tête de la première puissance économique européenne, Angela Merkel s’est affirmée comme une dirigeante forte et déterminée, influente sur la scène internationale.
La philosophie d'Angela Merkel: 'On ne ment pas, on ne promet pas, on trace son chemin.'
"Ce qui frappe chez cette dirigeante littéralement hors du commun c’est qu'elle est différente en toute chose. Son style est totalement éloigné des stratégies de communication, de l'apparence, tout ce qui s'apparente aux attributs du pouvoir", analyse dans Géopolitis la journaliste Marion Van Renterghem, autrice de deux livres consacrés à Angela Merkel. "Ses valeurs, le travail et le devoir, sont héritées de son père pasteur: 'on ne ment pas, on ne promet pas, on trace son chemin'", poursuit-elle.
Angela Merkel a été jugée parfois trop intransigeante quand elle a imposé une cure d'austérité drastique à la Grèce, le mauvais élève de l’Union européenne. Humaniste et ouverte au monde, elle accueille sans sourciller en 2015 un million de réfugiés fuyant la tragédie syrienne. Un geste et une phrase qui restera ancrée dans les annales de l’histoire: "Wir schaffen das!" ("Nous y arriverons!")
"Ce geste d'humanité tout à fait remarquable renvoie à leur lâcheté la plupart des autres dirigeants européens de l’époque, à l'exception notable des Suédois et des Autrichiens. Ce geste de tendre la main à plus d'un million de migrants en détresse qui fuyaient la guerre et la barbarie (...) Elle a fait ce qu'un dirigeant digne de ce nom devait faire", estime la journaliste.
L’Allemagne en proie avec ses vieux démons
Ce geste courageux a aussi mis la chancelière en danger, accusée notamment de calcul politique pour pallier le déficit démographique d’une Allemagne vieillissante. Lors des élections de 2017, elle est difficilement réélue et doit composer avec l’émergence d’un nouveau venu sur la scène politique allemande. Le parti d'extrême droite Alternativ für Deutschland (Afd) réalise une percée spectaculaire dans les Länder de l'est de l’Allemagne.
"Né au moment de la crise grecque, ce mouvement anti-euro est devenu un mouvement protestataire de grande ampleur qui a fait son entrée au Bundestag pour la première fois en 2017. La première fois depuis la période du nazisme et la Deuxième Guerre mondiale", explique Marion Van Renterghem. "L’entrée de l'AfD au Parlement a réveillé de très mauvais souvenirs en Allemagne. Un épisode qui a bouleversé la société allemande."
Ses adversaires lui reprochent d’avoir été une gestionnaire de crise, incapable d’engager de grandes réformes politiques.
Personnalité charismatique, considérée par beaucoup d’Allemands comme une figure maternelle, protectrice de la nation, la "Mutti" Angela Merkel hérite en 2005 d’un pays en proie au doute, considéré comme "le vieil homme malade de l’Union européenne". Merkel guide alors l'Allemagne dans une monde et une Europe en crise, affirmant le pays en grande puissance économique mondiale.
"Angela Merkel s'est trouvée face à une succession de crises européennes et mondiales à gérer", souligne Marion Van Renterghem. "Les grandes réformes qui étaient nécessaires à l'Allemagne, qui étaient assez difficiles et brutales et non sans violence pour une partie de la population, ont été faites avant elle par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder."
Abandon du nucléaire et transition énergétique
C’est précisément ce que lui reprochent ses adversaires, la jugeant parfois prudente et attentiste, dénuée d’inventivité politique, incapable de réduire la fracture sociale, alors que le nombre de millionnaires a doublé depuis son arrivée au pouvoir.
Ses partisans répondront qu'elle fait preuve d'un courage politique quand, après la catastrophe de Fukushima, elle abandonne le nucléaire et engage un ambitieux plan de transition énergétique.
Le pari est sur le point d’être tenu. Les dernières centrales nucléaires allemandes seront débranchées d’ici fin 2022. Le pays, sixième plus gros pollueur de la planète, a déjà investi plus de 500 milliards d’euros dans sa "Energiewende", son tournant énergétique, avec des investissements massifs dans le l’éolien, le biogaz et le solaire. L’an dernier, l’éolien devenait pour la première fois la première source d’électricité du pays, devant le charbon et le nucléaire.
Un paysage politique morcelé
L’ombre de la chancelière, toujours aussi populaire auprès des Allemands, va planer le 26 septembre sur l'élection très ouverte et incertaine de son ou sa remplaçante. Son dauphin de la CDU, Armin Laschet, est largement distancé dans les sondages. La candidate des Verts Annalena Baerbock a été discréditée pour avoir enjolivé son CV et accusée de plagiat. Elle était considérée comme la mieux placée pour succéder à Angela Merkel.
Largement en tête dans les sondages, les sociaux-démocrates pourraient bien créer la surprise et placer leur leader Olaf Scholz à la tête d’une coalition "à gauche toute" (avec les Verts et le parti d'extrême gauche Die Linke) ou d’une "coalition Kenya" (en référence aux couleurs du drapeau kenyan), incluant la CDU, les Verts et le SPD, ou d'une coalition incluant les Libéraux, les Verts et les sociaux-démocrates. Après seize de gouvernance Merkel, le vent du changement et de l'alternance politique semble souffler sur l’Allemagne.
Et que fera Angela Merkel après quatre mandats au pouvoir? "Je suis convaincue qu'elle n'acceptera jamais un poste de représentation politique", assure Marion Van Renterghem. (...) Je pense qu'elle va voyager et prendre le temps d'une liberté qu'elle n'a jamais eue."
Olivier Kohler