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"Kaboul, les derniers jours avant minuit", le reportage poignant de la RSI

Philippe Blanc et Roberto Antonini ont vécu, aux côtés de quelques habitants de Kaboul, les derniers jours précédant l’arrivée des talibans. Leur documentaire poignant "Kaboul, les derniers jours avant minuit", diffusé depuis ce mercredi sur la RTS et la RSI, donne la parole à des écolières, médecins, journalistes, photographes et artistes.

>> Voir aussi la page spéciale "De Guantanamo à Kaboul" avec 3 documentaires, diffusés ce 15 septembre sur RTS Un et en ligne sur Play.rts

"Nous communiquons par téléphone avec Habiba, 12 ans, écolière qui témoigne dans notre documentaire, explique Philippe Blanc. Elle est aujourd’hui cloîtrée chez elle et nous demande de l’aider. Elle n’est plus autorisée à se rendre en classe. Sa grande sœur nous décrit des scènes violentes qui se déroulent dans son quartier. Les deux filles n’osent plus sortir."

Kaboul, les derniers jours avant minuit
Kaboul, les derniers jours avant minuit / Sur les Docs / 47 min. / le 15 septembre 2021

Habiba nous appelle depuis chez elle, accablée. Elle était la plus douée des 7000 élèves de son école. Elle n’a plus le droit d’y aller.

Philippe Blanc, réalisateur de la RSI

Habiba est non seulement la plus douée des 7000 élèves de son école, elle est aussi championne de jiu jitsu. Dans le documentaire, on la voit se déplacer avec des béquilles. Elle est rescapée de l'explosion de deux bombes posées à la sortie des cours dispensés aux filles qui ont causé la mort de 85 personnes, dont la majorité de ses camarades de classe. Aux yeux des talibans, Habiba cumule toutes les tares: femme, membre de la minorité hazara, chiite et étudiante.

Quoi qu'elle fasse, Habiba met sa vie en danger.

Roberto Antonini, journaliste de la RSI

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"Le triste constat que nous faisons, c’est que pour qu’Habiba puisse trouver refuge en Suisse, il n’y a aucune solution qui ne mette sa vie en danger." Depuis 2012, il n’est plus possible de déposer une demande d’asile en Suisse via une ambassade à l’étranger. La demande d’Habiba doit être déposée sur sol hélvétique. Pour s’y rendre, elle a deux options.

La première est de rejoindre un pays voisin, comme le Pakistan et faire une demande officielle de visa humanitaire auprès d’une représentation suisse. Mais pour motiver cette demande, Habiba doit emporter ou envoyer des documents qui peuvent attester des risques ou menaces qu’elle encourt.

Sur la route, où des viols et des tueries sont perpétrés, elle ne peut se permettre d’avoir ce type de papiers sur elle car ils signeraient son arrêt de mort. Elle doit donc s’arranger pour envoyer ces documents depuis chez elle.

L’autre option pour rejoindre, la Suisse, est de prendre la route vers la Méditerranée et d’embarquer sur un bateau comme des milliers d’autres personnes.

Habiba sur un banc de son école. [RTS]
Habiba sur un banc de son école. [RTS]

Ce que nous retenons de cette expérience, c’est le sentiment des Afghans et des Afghanes d’avoir été abandonnés à leur sort.

Roberto Antonini et Philippe Blanc, auteurs de "Kaboul, quelques jours avant minuit"

"Pour nous, c’est un choix impossible. Nous ne pouvons prendre la responsabilité d’envoyer une fille de 12 ans dans l’une ou l’autre direction, c’est un immense risque. Nous ne savons pas quoi lui dire. C’est vraiment déchirant", admettent les auteurs du documentaire. "Ce que nous retenons de cette expérience aux côtés des Afghanes et des Afghans de Kaboul, c’est ce profond sentiment d’abandon. Ils ont l’impression d’avoir été abandonnés."

L’équipe de la RSI a tout de même pu faire sortir du pays, in extremis, son fixeur (interprète). Lui et sa famille ont été menacés pour avoir travaillé avec des journalistes occidentaux. Il aura fallu cinq tentatives d’approche de l’aéroport, avec deux petites filles en bas âge, pour qu’ils puissent prendre l’avion.

"C’était un cauchemar, explique Philippe Blanc. Dans la cohue, plusieurs personnes sont mortes autour d’eux. Notre fixeur était sur le point de renoncer quand finalement la situation s’est débloquée grâce aux forces spéciales suisses et allemandes qui ont réussi à négocier avec les talibans. La direction de la SSR a également dû intervenir pour attester de son travail pour la RSI et motiver une demande officielle de visa humanitaire." La famille est depuis arrivée dans un centre de requérants d’asile à Zurich.

Accueillir des femmes afghanes serait un excellent investissement pour la Suisse.

Roberto Antonini, journaliste RSI

"En ce qui concerne les réfugiés, bien entendu, on ne peut pas accueillir tout le monde, mais je trouve que notre pays n’est pas très généreux. Pour les catégories de personnes les plus vulnérables, comme les femmes journalistes, nous pourrions assouplir nos critères d’accueil. Ce serait d’ailleurs un excellent investissement pour le pays car ces femmes sont instruites, courageuses et ont une grande capacité d’intégration", affirme Roberto Antonini.

Le nombre de femmes journalistes en activité à Kaboul a drastiquement diminué depuis l’arrivée des talibans. Selon Reporter sans frontière (RSF), il est passé de 700 à 100 après le 15 août 2021. Hors de la capitale, RSF fait le même constat : "Dans les provinces où la quasi-totalité des médias privés ont mis fin à leurs activités au fur et à mesure de l’avancée des troupes talibanes, la plupart des femmes journalistes ont été contraintes de cesser leur activité professionnelle."

Journalistes torturés

"Les journalistes que nous suivons dans notre documentaire sont, aujourd’hui, quasi toutes et tous en fuite. On ne sait pas exactement où", constate Philippe Blanc. L’une d’entre elles, Anisa Shaeed, a publié récemment sur les réseaux sociaux des photographies de ses collègues hommes torturés pour avoir couvert une manifestation de femmes à Kaboul.

Les Documentaires RTS - Muriel Reichenbach

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L'ange de Kaboul

Surnommé "l’ange de Kaboul", Alberto Cairo travaille en Afghanistan depuis 30 ans. Il est physiothérapeute pour le CICR. On découvre son équipe dans le documentaire "Kaboul, quelques jours avant minuit". "Dans notre centre orthopédique, des Afghans de tous bords collaborent. Le point commun des soignants comme des patients : ils ont tous été amputés."

Dans le pays, entre 80'000 et 100'000 personnes ont été amputées, en grande partie à cause des mines. "Alberto Cairo est un être à part. Humble", témoignent les réalisateurs. "Il vit presque comme un ermite et ne sort pratiquement pas de son hôpital."

Se sentir utile

Aux louanges, le physiothérapeute répond simplement: "C’est le travail que je fais qui me motive. Je me sens utile, j’ai beaucoup de satisfaction et je vois des gens heureux ou du moins pas malheureux grâce à notre travail, à notre équipe. Tout cela me pousse à rester." Interrogé récemment par la RSI sur les besoins actuels de la population, Alberto Cairo relaie le sentiment d’incertitude totale de la population face à l’effondrement économique du pays. "Je vois beaucoup de gens pauvres qui craignent l’hiver qui approche et ont peur de ne pas avoir les moyens de survivre." Autre élément dont on parle peu, mais qui inquiètent les Afghans: l’exode du personnel qualifié.

Dans l’entourage du physiothérapeute de nombreuses personnes ont quitté le pays. Alberto Cairo ne croit pas à leur retour. "Il faudra un certain temps pour former la relève. Dans notre centre orthopédique aussi, certaines personnes clés sont parties. Je les comprends, chacun a le droit de partir. Et pour n’importe quelle raison. "

Les auteurs de "Kaboul, quelques jours avant minuit"

Roberto Antonini est journaliste depuis 1984. Reporter en Afrique et au Moyen-Orient, il a été correspondant à Washington pour la RSR, de 1995 à 2001. Il travaille pour le magazine d’investigation "Falò" de la RSI.

Philippe Blanc est réalisateur. Il est l’auteur du documentaire primé "Pont de Gênes: une catastrophe évitable ?" et de l’enquête "Pandémie. Sur les traces du virus". Depuis 2011, il travaille pour l’émission "Falò" de la RSI.

Opération de la Chaîne du Bonheur

La Chaîne du Bonheur a lancé un appel aux dons pour financer les besoins humanitaires en Afghanistan, accentués depuis l'arrivée des talibans. Les dons peuvent être adressés sur le CP 10-15000-6 ou sur www.bonheur.ch.