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Les poissons de la Manche continuent d'envenimer les relations entre Paris et Londres

La bataille de la pêche à Jersey
La bataille de la pêche à Jersey / 19h30 / 2 min. / le 30 septembre 2021
Tout n'est pas réglé entre l'UE et Londres malgré l'accord sur le Brexit et la question de la pêche demeure au centre des tensions. Le Royaume-Uni a ainsi accordé un nombre de licences de pêche à des bateaux français que la France juge inacceptable. Paris appelle à un front européen commun.

L'accord post-Brexit conclu in extremis à la fin de l'année dernière entre Londres et Bruxelles prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition d'obtenir une licence, accordée s'ils peuvent prouver qu'ils y pêchaient auparavant.

Mercredi matin, l'île anglo-normande de Jersey a annoncé l'octroi de 64 de ces licences à des bateaux français pour pêcher dans ses eaux. Elles s'ajoutent aux 47 déjà reçues depuis le début de l'année. Dans le même temps, 75 dossiers ont été définitivement rejetés.

Les bateaux recalés devront "cesser toute activité de pêche dans les eaux de Jersey dans un délai de 30 jours", période durant laquelle le gouvernement de l'île, qui vante son "approche pragmatique, raisonnable et basée sur des éléments concrets", examinera "toute nouvelle pièce" présentée. Enfin, 31 bateaux devront eux fournir des éléments supplémentaires et se verront délivrer une licence provisoire. Ils ont jusqu'à la fin janvier 2022 pour apporter les pièces demandées.

Confiance rompue entre Londres et Paris

Ces décisions "totalement inacceptables et inadmissibles" contreviennent à l'accord qui a été signé dans le cadre du Brexit, s'est indigné le gouvernement français par la voix de son porte-parole Gabriel Attal.

Après neuf mois d'intenses négociations post-Brexit, la patience des hommes de la mer est à bout (lire encadré) et la confiance est rompue entre Londres et Paris. "Je compte sur les autres pays européens pour demander la même chose que la France, parce que ce que vit aujourd'hui la France, d'autres le vivront aussi", a déclaré mercredi la ministre de la Mer Annick Girardin à l'issue d'une réunion avec les représentants de la profession.

Ripostes en préparation

La ministre a demandé aux pêcheurs de lui laisser 15 jours pour préparer des ripostes, d'abord au niveau européen mais aussi national, expliquant que tous les ministres étaient missionnés pour "identifier les mesures de rétorsion françaises" possibles, de la "question énergétique" aux "flux commerciaux".

Le comité national des pêches français, de son côté, s'est inquiété de l'envie d'en découdre des pêcheurs. Ces derniers "ont atteint un degré d'incompréhension et de colère qui sera très difficile à apaiser avec tous les risques que ces sentiments emportent", a alerté le président du comité Gérard Romiti.

Le président du comité régional des pêches a lui évoqué des actions d'ici 2 à 3 semaines si rien ne bouge. "Je ne vais pas parler de blocage de port, mais une chose est certaine: les produits britanniques seront bloqués", a-t-il assuré.

Guernesey prolonge le statu quo

La question des quotas de pêche est particulièrement disputée à Jersey. En mai dernier, une flottille de pêcheurs normands et bretons s'était massée devant le port de Saint-Hélier pour défendre son droit de continuer à pêcher dans ces eaux. Londres avait répliqué en envoyant deux patrouilleurs pendant quelques heures.

Le gouvernement de l'île voisine de Guernesey, lui, s'est engagé à prolonger les autorisations provisoires "jusqu'au 31 janvier 2022 pour tous les navires, afin d'offrir certitude et stabilité dans l'intervalle".

Vincent Cherpillod avec af et agences

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L'UE demande des explications

La Commission européenne a demandé jeudi à la Grande-Bretagne d'expliquer pourquoi elle avait délivré un nombre "limité" de licences à des pêcheurs français opérant dans les eaux britanniques. "Tout en saluant les annonces concernant certaines de ces licences, nous regrettons que le nombre des licences délivrées soit aussi limité et qu'il ne soit toujours pas possible de clore ce dossier", a déclaré un porte-parole de la Commission.

"Nous demandons au Royaume-Uni de partager avec nous sa méthodologie et nous continuerons à discuter dans l'intérêt de nos pêcheurs afin que de nouvelles licences soient délivrées."

Les pêcheurs normands furieux

Dans le port de Granville, face à la Manche, à une heure de bateau des îles de Jersey et Guernesay, les pêcheurs français oscillaient entre colère et désespoir, à l'image de Raphaël Chayla, qui pêche depuis trente ans de la sole, de la plie, et dès lundi prochain le graal: des coquilles Saint-Jacques.

Ici, 40 à 50% de la pêche se fait aux alentours de Jersey. L'un de ses navires fait partie des 75 qui vont rester sur le carreau, car il est neuf et ne peut donc attester d'antécédents de pêche près des côtes de Jersey.  "J'ai un bateau d'un million d'euros sur le dos, une famille, une maison... je ne vais pas crever tout seul, ils crèveront avec moi! Il y a un moment où il va falloir taper du poing", s'emporte-t-il.

Dans cette ville normande de 15'000 habitants, à chaque pêcheur sont liés quatre emplois. Le cas de Jersey, c’est aussi un rapport de force qui dépasse le destin de la mer, estime le député macroniste Bertrand Sorre: "Il y a une forme de trahison. Où est la confiance? Les Anglais ont voulu le Brexit, ont signé des accords dans ce cadre, et aujourd'hui, ce sont eux qui ne les respectent pas", déplore-t-il.