"Le féminisme est une maladie mentale!", répètent en boucle une trentaine d'hommes face à des militantes féministes venues manifester pour le droit à l'avortement. Cette scène se déroule l'hiver dernier à Séoul, alors que l'IVG n'est pas encore décriminalisée. Les deux camps se font face. Les hommes qui organisent la contre-manifestation ne rejettent pas que l'avortement.
"Les femmes ne remplissent pas leur devoir, mais demandent des droits. En plus de tout cela, les féministes détestent les hommes", dit l'un des contre-manifestants.
Je pense que le féminisme est un cancer.
"Ce sont les femmes qui commencent le combat, qui ont souhaité commencer cette guerre", avance-t-il pour justifier la violence de ses propos. "Elles ont dit qu'elles appelaient à poignarder leur père, c'est elles qui ont débuté avec ce discours de haine. Je ne déteste pas toutes les femmes évidemment. Je déteste les féministes radicales."
Meneur habillé... en jupe
Le jeune homme aux lunettes carrées regarde avec admiration les leaders du mouvement antiféministes, deux trentenaires qui lancent des insultes depuis le toit d'un bus. L'un d'entre eux, Wangja, est vêtu d'une longue perruque blonde sur la tête et d'une petite jupe rouge.
"Pourquoi je suis habillé en femme? Parce que je veux briser les théories folles des féministes", annonce l'homme. Suivent des propos douteux sur le rapport à l'habillement et à la beauté qu'entretiendraient les féministes.
"Moi, je pense que c'est de la merde", finit par lancer le militant masculiniste. "Alors je m'habille en femme et je suis plus joli. Et même plus joli que les féministes. Je suis là, je me sacrifie pour avoir plus d'attention de la part des médias. Et nous allons les contre-attaquer à plus grande échelle, vous allez voir", assure-t-il.
Quelques mois plus tard, la promesse est tenue. Ce youtubeur rassemble près de 400'000 abonnés sur une chaîne intitulée "Solidarité masculine". Dans ses vidéos, il s'en prend aux féministes pour gagner en notoriété, les menaçant même de mort.
Harcèlement organisé
Sa cible principale se nomme Kim Juhee. Cette infirmière militante féministe a organisé un mouvement intitulé Haeil, la vague, pour faire face à la déferlante de haine qu'elle et ses amies doivent affronter.
"Mon numéro de téléphone a été publié en ligne, et je reçois des appels constamment", témoigne-t-elle. "Sur les quatre derniers jours, on parle d'une vingtaine d'appels menaçants. Les gens disent en ligne "En voyant sa tête, je comprends parfaitement pourquoi elle est féministe"."
Je suis harcelée en ligne sur tous mes réseaux sociaux.
Différentes polémiques ont révélé l'influence des antiféministes dans la société. Par exemple, les internautes sont parvenus à faire retirer des campagnes de publicité qu'ils jugeaient anti-hommes. En cause: un dessin d'une main qui serait, selon eux, une moquerie envers la taille du pénis des hommes sud-coréens.
"Les communautés masculinistes sur internet partagent leur haine, donc il suffit que l'un d'entre eux juge une campagne publicitaire trop féministe pour que des dizaines de milliers de personnes se plaignent", indique la militante Kim Juhee. "Mais cela a des conséquences plus graves. Dans une université, par exemple, il devait y avoir un cours sur les violences sexuelles. Et l'un des élèves est allé le raconter à sa communauté. Les critiques se sont mises à pleuvoir, donc l'université a annulé le cours", rapporte-t-elle.
"Ils se sentent menacés"
"En se rassemblant autant, ils arrivent à transformer leur point de vue en un fait qui devient juste", explique Kim Juhee. "C'est ainsi qu'ils ont transformé certains mots liés au féminisme pour qu'ils soient perçus uniquement de manière négative."
S'il est compliqué de trouver les causes à cette haine du féminisme, il existe plusieurs explications, parmi lesquelles le service militaire, obligatoire uniquement pour les hommes. Ji SunYun, professeur de philosophie à l'université Sejong, donne d'autres pistes de réflexion.
"Pour le moment, les jeunes hommes coréens se sentent incompétents, incapables de monter en haut de la société", avance l'académicienne. "Ils pensent qu'ils sont voués au célibat involontaire et à rester dans une situation instable du travail sans avenir, sans repère. Ils se sentent menacés, affaiblis par rapport au statut masculin qu'ils avaient avant", développe-t-elle.
Une sensation de perte de privilège qui est loin de se traduire dans les faits. En 2020, l'écart de salaire entre hommes et femmes était de 32% en Corée du Sud, ce qui en faisait le pays le moins bien classé de l'OCDE dans le domaine.
Sujet radio: Nicolas Rocca
Adaptation web: ami