Après avoir transité par Dubaï, Tachkent ou Tbilissi, en Ouzbékistan et en Géorgie, plusieurs centaines de personnes réfugiées en provenance d'Afghanistan ont débarqué fin septembre à Shëngjin, station balnéaire réputée de la riviera albanaise, toute proche du Monténégro.
Ces élites intellectuelles de Kaboul découvrent pour la première fois la mer et ignoraient que l'Albanie serait leur destination finale, elles qui s'attendaient à être accueillies aux Etats-Unis, un visa humanitaire en poche et la certitude d'un avenir meilleur.
"Nous l'avons appris juste avant d'embarquer à l'aéroport de Mazar-e-Sharif", explique Mohammad Qaasim Yahyah, professeur d'université à Kaboul, logé avec son épouse et ses quatre enfants dans un luxueux hôtel cinq étoiles, avec piscine et accès à une plage privée. "L'accueil qui nous est réservé ici est unique au monde. Nos enfants sont scolarisés, ils bénéficient de cours d'anglais et d'albanais. Dans la rue, la population nous dit avec bienveillance: vous n'êtes pas des Afghans, vous êtes des Albanais. Vous êtes nos frères et vous êtes plus que les bienvenus dans notre pays", dit-il dans un reportage du 19h30.
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Tirana et Pristina, alliés indéfectibles de Washington
Juste après la chute de Kaboul et la prise de pouvoir des talibans, l'Albanie et le Kosovo ont officiellement annoncé leur intention d'accueillir plusieurs milliers de personnes réfugiées afghanes pour une période transitoire de douze à quatorze mois.
"Le Kosovo et l'Albanie font de la sous-traitance pour Washington et font office de sas de sécurité pour identifier de potentiels terroristes", note un ambassadeur occidental en visite à Shëngjin. "Les deux pays, d'une grande loyauté à l'égard de Washington, vouent une reconnaissance éternelle aux Etats-Unis pour leur intervention militaire lors de la guerre avec la Serbie".
Pour l'Albanie, forte d'une longue tradition d'accueil, recevoir ces personnes réfugiées était une évidence: "Il y a trente ans, nous étions les Afghans d'Europe, quand nous sommes partis vers les côtes italiennes", rappelle Edi Rama, le Premier ministre socialiste albanais, à l'appui d'un tweet montrant la photographie des centaines de personnes entassées dans un avion militaire américain à Kaboul, accolé à un cliché datant du 7 août 1991, montrant la fuite désespérée d'Albanaises et d'Albanais, prenant d'assaut un bateau pour l'Italie, après la chute de la dictature communiste d'Enver Hodja.
Au Kosovo, réfugiées et réfugiés sont reçus avec tout autant de bienveillance, mais sont moins bien lotis, cantonnés dans des bases militaires américaines.
Après la terreur des talibans, l'exil doré sous les palmiers
La bienveillance du peuple albanais et la beauté des palmiers du littoral albanais n'apaisent pas pour autant la douleur et les traumatismes de l'exil. "Si nous étions restés à Kaboul, ils nous auraient tués. Des membres de ma famille ont perdu la vie", témoigne les larmes aux yeux Haicha Domech, docteur en gynécologie, menacée de mort par les talibans. "J'aime mon pays. Un jour, ils partiront et nous reviendrons, car l'Afghanistan est notre paradis".
Entre un improbable retour au pays et le rêve de partir en Europe et aux Etats-Unis, beaucoup se préparent et s'attendent à un long exil en Albanie.
"Cela pourrait prendre beaucoup plus de temps que prévu. Rien n'est certain. On nous avait promis l'Amérique et nous voilà ici, en Albanie. Ce n'est pas ce qui était prévu", raconte un jeune homme afghan qui collaborait avec l'armée américaine et qui attend désespérément la venue du reste de sa famille, restée à Kaboul. Il contemple du bord de la piscine une réplique d'une statue de la Liberté, plantée en plein milieu du luxuriant jardin de l'hôtel cinq étoiles, réquisitionné par le gouvernement albanais pour loger 800 personnes en provenance d'Afghanistan.
Olivier Kohler/sjaq