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La route migratoire entre l'Espagne et la France est toujours plus fréquentée

Une photo de la réunion avec les migrants (de dos) des bénévoles du réseau d’aide sur la Place de la mairie à Irun. [RTS - Valérie Demon]
La route migratoire entre l’Espagne et la France toujours plus fréquentée / Tout un monde / 7 min. / le 18 octobre 2021
Le passage de la Méditerranée pour les migrants qui tentent de gagner l'Europe est connu. Mais, depuis trois ans, une nouvelle route migratoire s'est constituée entre l'Espagne et la France. Elle est toujours plus fréquentée, malgré le renforcement des contrôles français.

"Tout a commencé il y a trois ans. Nous avons remarqué un groupe de migrants important dans un bus et nous nous sommes rendus compte que cette voie migratoire existait. Depuis, elle est devenue une route migratoire habituelle. Désormais, presque tous ces migrants viennent des Canaries."

Une réunion avec les migrants et les bénévoles du réseau d'aide sur la place de la Mairie à Irun. [RTS - VALÉRIE DEMON]
Une réunion avec les migrants et les bénévoles du réseau d'aide sur la place de la Mairie à Irun. [RTS - VALÉRIE DEMON]

Deux soirs par semaine, Gari attend plusieurs bus avec des compagnons à la gare d'Irun, à la frontière avec la France. A chaque fois, des immigrés subsahariens arrivent de plusieurs villes d'Espagne. Gari est bénévole dans le réseau d'aide aux immigrés de cette localité du Pays basque espagnol.

Ce soir-là, il a récupéré un Sénégalais entré en Espagne par les Canaries. Il l'emmène en voiture au centre de la Croix-Rouge, où il pourra passer la nuit. Il lui explique aussi le chemin pour aller le lendemain vers la place de la Mairie.

Aller plus loin que l'Espagne

Chaque matin, des bénévoles installent une table et des chaises sur la place de la Mairie à l'air libre. Jon Aranguren, porte-parole de l'association, explique aux jeunes migrants leur situation, leurs droits s'ils restent en Espagne, les conditions pour demander l'asile et comment ils peuvent passer la frontière.

Rien à faire, personne ne veut rester en Espagne, la plupart rêve de la France, même si la route n'est pas sans risque. Trois migrants (africains) sont morts noyés cette année en essayant de passer la frontière à Bidasoa entre l'Espagne et la France. Et trois Algériens ont aussi perdu la vie mardi dernier, écrasés par un train du côté français de la frontière.

Nous avons essayé avec un bateau, mais la police française nous a attrapés et ramenés en Espagne. Je connais cela. En Algérie et au Maroc, c'était pareil: ils nous refoulent, nous réessayons, réessayons encore.

Ahmed, 19 ans, parti du Tchad

Ahmed, 19 ans, parti du Tchad il y a quatre ans et entré en Espagne par l'enclave de Melilla, écoute attentivement. Il est arrivé à Irun il y a deux jours et il a déjà tenté sa chance. "Nous avons essayé avec un bateau, mais la police française nous a attrapés et ramenés en Espagne, témoigne-t-il lundi dans Tout un monde. Je connais cela. En Algérie et au Maroc, c'était pareil: ils nous refoulent, nous réessayons, réessayons encore."

"Impossible" de contrôler toute la frontière

Les pas verts et la Croix-Rouge ont été peints par les bénévoles pour indiquer aux migrants le chemin vers la Croix-Rouge et la place de la Mairie. [RTS - VALÉRIE DEMON]
Les pas verts et la Croix-Rouge ont été peints par les bénévoles pour indiquer aux migrants le chemin vers la Croix-Rouge et la place de la Mairie. [RTS - VALÉRIE DEMON]

La plupart de ces migrants

sont des hommes jeunes, en grande majorité en provenance de Côte d'Ivoire, du Mali et de Guinée. Jon Aranguren, le porte-parole de l'association, calcule qu'il voit 300 migrants par mois, mais il estime que 300 autres restent invisibles. Il assure que rien n'arrêtera les migrants. Ni la rivière qui sépare l'Espagne de la France, ni la surveillance 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 par la police française des deux ponts séparant Irun de Hendaye.

"La seule chose que cela produit, c'est augmenter la souffrance des migrants, estime Jon Aranguren. Il y a 700 kilomètres de frontières. Même fermer 30 kilomètres de frontières dans les montagnes, c'est impossible. Même s'ils font un mur, les migrants feront des trous", estime Jon Aranguren.

Le contrôle renforcé et constant de la police française depuis un an et demi perturbe la vie des habitants des deux villes. La circulation est constante, beaucoup habitent à Hendaye, mais ils travaillent à Irun ou font leurs courses, tandis que les touristes vont et viennent. Les voitures roulent au pas. "Je passe tous les jours à pied. Les policiers ne me contrôlent pas, explique Carmen, qui habite juste à côté du pont. J'ai remarqué que les policiers ne contrôlent que les personnes de couleur."

Beaucoup de passages

Le pont surveillé reste difficile à franchir pour les migrants. Certains passent par Hondarribia, petite ville côtière juste à côté d'Irun, où un bateau navette touristique permet d'atteindre Hendaye en une dizaine de minutes pour deux euros.

Cela arrive tous les jours qu'il y ait des essais manqués. La police n'est pas partout et les passages sont nombreux. Je pense que 98% des migrants arrivent à passer

Vincente, conducteur d'un bateau navette touristique entre Hondarribia et Hendaye

Ahmed, rencontré sur la place de la mairie d'Irun quelques heures plus tôt, a tenté deux fois de passer, en vain. La police l'attendait. La troisième fois sera la bonne dans ce jeu de cache-cache, où presque tous les migrants arrivent à franchir la frontière. "Cela arrive tous les jours qu'il y ait des essais manqués, observe Vincente, qui conduit régulièrement ce petit bateau. La police n'est pas partout et les passages sont nombreux. Je pense que 98% des migrants arrivent à passer."

Dans les rues de Hondarribia et d'Irun, la police contrôle peu ces migrants, de toute façon impossibles à expulser vers leurs pays d'origine. Et il est difficile de les convaincre de ne pas continuer leur chemin.

"Nous avons la capacité"

Xavier Legarreta, directeur des Migrations et Asile au gouvernement régional basque, réclame le respect des règles de l'espace Schengen: "A ce jour, nous ne sommes pas inquiets par le nombre de migrants qui arrivent à Irun, car nous avons la capacité de pouvoir répondre à n'importe quel scénario.

Avant d'ajouter: "Aujourd'hui ce qui nous préoccupe, c'est la situation de la frontière à Irun. La France a durci les mesures en alléguant des excuses: le Covid-19 ou les menaces terroristes. Mais nous voyons bien que depuis des mois, c'est uniquement un contrôle très serré sur les personnes de race noire qui arrivent à la frontière et ça, il faut le dénoncer."

>> Relire aussi : Zarzis, ville côtière de Tunisie, doit enterrer des centaines de corps de migrants

Valérie Demon/vajo

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Yves Pascouau: "Les murs n'empêchent pas les gens de passer"

Plusieurs pays européenne exigent de Bruxelles qu'elle finance la construction de murs pour empêcher les migrants de passer. "Les murs n'empêchent pas les gens de passer. C'est un arrêt de court terme", estime Yves Pascouau, spécialiste des migrations et chercheur senior associé à l’Institut Jacques Delors, lundi dans La Matinale. Et d'ajouter: "Une politique migratoire n'est pas qu'une politique de contrôles."

Yves Pascouau explique que la question migratoire est "plus transversale" que la "simple question" de la frontière. "Avoir une politique migratoire, c'est avoir une politique de gestion, qui concerne les ministres de l'Intérieur, et une politique étrangère, puisque le phénomène commence très loin de nos frontières."

"Absence" de vision à long terme

L'enjeu de demain, selon Yves Pascouau, est de comprendre "quelles seront les dynamiques de la mobilité humaine". "Aujourd'hui, en matière d'environnement, nous avons des projections à 2050-2100. Mais nous n'avons pas encore de projections pour la mobilité humaine vers et dans l'Union européenne. Nous sommes donc aujourd'hui dans l'absence de politique, de vision à long terme."

Pour lui, les Etats européens "gagneraient à poser un diagnostic" et une projection du type de mobilités. "Et à partir de cette évaluation de proposer une véritable politique qui prenne en considération la question de l'interdiction d'entrée, mais aussi la question de l'immigration légale, sachant que nous avons actuellement des pénuries de main-d'œuvre et que le déclin démographique de l'Europe posera des questions."

>> L'interview complète d'Yves Pascouau dans La Matinale :

Yves Pascouau, spécialiste des questions migratoires. [EPC]EPC
La situation de la politique migratoire en Europe: interview d’Yves Pascouau / La Matinale / 8 min. / le 18 octobre 2021

Douze migrants portés disparus en mer

Les secours recherchent depuis dimanche 12 migrants portés disparus en mer, au sud de l'Espagne, ont indiqué les garde-côtes espagnols. Leur embarcation a chaviré lors d'une tentative de traversée depuis l'Algérie.

Une opération de sauvetage a été lancée après qu'un voilier norvégien a annoncé avoir recueilli un migrant algérien à quelques milles nautiques des côtes de la province espagnole d'Almeria, a indiqué un porte-parole des garde-côtes.

Un hélicoptère envoyé sur zone a repéré un autre migrant à la mer et l'a secouru, selon la même source. Les deux migrants ont indiqué aux secours qu'ils avaient embarqué avec 12 autres personnes depuis une plage près d'Oran dans le nord-ouest de l'Algérie la semaine dernière, mais qu'après une panne de moteur l'embarcation avait chaviré dimanche matin. (afp)