La réalité des discussions entre les autorités et certains groupes djihadistes était connue des experts bien avant que l'ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, renversé en août 2020 par les militaires, ne reconnaisse en février 2020 l'existence de contacts.
Tout en se disant favorable au dialogue, la junte désormais au pouvoir à Bamako et le gouvernement de transition qu'elle a installé étaient jusqu'alors restés plutôt discrets sur la question.
Le ministère des Affaires religieuses a donné la semaine passée une tournure plus formelle à ce dialogue. Dans un communiqué publié le 13 octobre, son ministre Mahamadou Koné a indiqué que ses services avaient été chargés d'une "mission de bons offices en direction des groupes armés radicaux".
Un dialogue qui n'est pas nouveau...
"Cela fait des années que le peuple malien appelle à des discussions avec ces groupes", disait récemment dans Jeune Afrique le Premier ministre Choguel Kokalla Maïga. "En Afghanistan, les Américains ont bien fini par discuter avec les talibans", rajoutait-il. Interrogé sur l'existence de négociations, notamment pour la libération d'otages, il répondait: "Bien sûr, nous continuons à travailler pour libérer les otages. Mais nous n'avons pas besoin de le hurler sur tous les toits".
Lui-même a chargé le Haut conseil islamique du Mali (HCIM) de leur mise en oeuvre "sur le terrain" lors d'une rencontre le 12 octobre. Les pouvoirs publics fixeront "des lignes rouges à ne pas dépasser dans le cadre des négocations", a-t-il dit.
... mais des rôles devenus officiels...
"Depuis plusieurs mois, le Haut conseil islamique du Mali jouait le rôle confié à lui par les hautes autorités: engager le dialogue avec les groupes radicaux. Ce n'est pas nouveau", a pour sa part affirmé le chef de cabinet du ministère des Affaires religieuses Dame Seck. Ce qui est nouveau, c'est qu'"administrativement il est clair désormais que c'est notre ministère qui a le dossier en main et qui suit de près la démarche du Haut conseil islamique".
Le dialogue avec les djihadistes a jusqu'alors paru devoir concerner principalement les deux chefs djihadistes Amadou Koufa et Iyad Ag Ghaly et leurs groupes affiliés à Al-Qaïda, et non pas l'organisation Etat islamique.
Répondant aux propos de l'ancien président Keïta sur l'ouverture d'un dialogue en 2020, Iyad Ag Ghaly dit y être disposé, mais l'avait conditionné à un départ préalable des soldats français. Il avait réaffirmé son attachement à la charia.
... au grand dam de la France
La France, principal alliée du Mali, a toujours refusé ce dialogue. Les relations entre Bamako et Paris traversent leur plus grave crise depuis le début de l'engagement français en 2013. Le Premier ministre malien a dénoncé comme un "abandon en plein vol" la décision française de réduire ses effectifs au Sahel d'ici à 2023 (lire aussi l'encadré).
Paris, de son côté, estime que le recours possible de Bamako à la société russe de mercenaires Wagner est incompatible avec la présence française au Mali.
>> Lire à ce sujet : Berlin et Paris inquiets des discussions du Mali avec des mercenaires russes
afp/aps
La position de la France "n'est plus viable"
La décision du Mali s'explique par le manque de solutions du côté de la France. La position de Paris n’est plus viable, a estimé la spécialiste des mécanismes africains de gestion des conflits Niagalé Bagayoko dans La Matinale de la RTS jeudi.
Pour elle, "la victoire militaire face aux groupes djihadistes est difficile à obtenir" pour deux raisons. La première est la sous-estimation du pouvoir de ces groupes qui sont "mieux dotés stratégiquement et opérationnellement que ce que l'on a pensé".
La seconde est que "l'on s'aperçoit que combattre le terrorisme n'a pas réellement de sens, car c'est un ennemi avec un agenda politique [...]. Dans la mesure où on n'offre pas une réponse politique au projet qui est promu par les armes des djihadistes, on se retrouve en grande difficulté", remarque Niagalé Bagayoko.
Propos recueillis par Ariane Hasler
Adaptation web: aps