"Trois manifestants" partisans d'un pouvoir civil ont été tués et "plus de 80 autres blessés" par des tirs de l'armée à Khartoum, a annoncé lundi un syndicat de médecins prodémocratie en plein coup d'Etat au Soudan.
La quasi-totalité des dirigeants civils des autorités de transition ont en outre été arrêtés par des militaires et le général Abdel Fattah al-Burhane, qui chapeautait les autorités de transition, a annoncé la dissolution du gouvernement et du Conseil de souveraineté.
Etat d'urgence décrété
Ce dernier a indiqué qu'il formerait un nouveau gouvernement composé de "personnes compétentes". Il a aussi décrété l'état d'urgence dans l'ensemble du pays, l'un des plus pauvres au monde.
Mais le militaire a réitéré son attachement à "la transition vers un Etat civil" et promis de créer les nombreuses institutions étatiques, comme la Cour suprême, qui auraient dû voir le jour il y a plusieurs mois, selon le calendrier de transition acté après le renversement de l'autocrate Omar el-Béchir. Le général a fait sa déclaration à la télévision d'Etat, qui avait été prise d'assaut auparavant.
Dans un pays où internet a été coupé et où les télécommunications sont de plus en plus aléatoires, seul un canal subsiste: des communiqués du ministère de l'Information mis en ligne sur Facebook.
"La plupart des ministres et les membres civils du Conseil de souveraineté ont été arrêtés" et ce, "par des forces militaires", a-t-il d'abord annoncé. Puis, a-t-il ajouté, "après qu'il a refusé de soutenir le coup d'Etat, des forces armées ont arrêté le Premier ministre Abdallah Hamdok et l'ont emmené vers un lieu non identifié".
Manifestations massives à Khartoum contre un "coup d'Etat"
Dans les rues de Khartoum, où les réseaux sociaux ne sont plus accessibles pour beaucoup, de nombreux Soudanais se sont réunis et ont conspué le général Abdel Fattah al-Burhane. Ils ont fait face à des tirs de l'armée, qui ont tué trois personnes et qui en ont blessé plus de 80, selon un syndicat de médecins prodémocratie.
Le bureau du Premier ministre soudanais, aux mains de l'armée lundi matin, avait appelé dans un communiqué diffusé par le ministère de l'Information à "manifester" contre "un coup d'Etat". "Nous appelons la population soudanaise à protester par tous les moyens pacifiques possibles", a indiqué le bureau de Premier ministre Abdallah Hamdok. L'Association des professionnels, l'un des fers de lance de la révolte de 2019, dénonçait de son côté "un coup d'Etat militaire".
Inquiétudes internationales et aide américaine suspendue
Les Etats-Unis ont réclamé lundi le "rétablissement immédiat" du gouvernement civil renversé par les militaires au Soudan et ont annoncé la suspension d'une aide financière importante de 700 millions de dollars à la transition démocratique soudanaise. "Les responsables militaires doivent libérer immédiatement tous les acteurs politiques et garantir leur sécurité", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price, demandant aussi de ne pas "avoir recours à la violence contre des manifestants".
La Commission européenne a de son côté appelé à la "libération rapide" des dirigeants civils du gouvernement et réclamé un rétablissement "urgent" des communications dans le pays. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a appelé sur Twitter la communauté internationale "à remettre la transition soudanaise sur les rails".
Enfin, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a condamné "le coup d'Etat militaire en cours" au Soudan et réclamé la libération "immédiate" du Premier ministre Abdallah Hamdok.
Une tension croissante
Le Soudan connaît une transition précaire entachée de divisions politiques et de luttes de pouvoir depuis que l'armée a poussé au départ l'ancien président Omar el-Béchir en avril 2019 après trois décennies de pouvoir sous la pression d'une énorme mobilisation populaire. Depuis août de la même année, le pays est dirigé par un Conseil de souveraineté composé pour moitié de civils et pour moitié de militaires.
Mais ces derniers jours, la tension est montée entre les deux camps. Le 16 octobre, des pro-armée ont planté leurs tentes devant le palais présidentiel où siègent les autorités de transition, partagées entre civils et militaires selon la transition qui devait s'achever en 2023. En réponse, le 21 octobre, des pro-civils sont descendus par dizaines de milliers dans les rues des différentes villes du pays, dans un joyeux festival pour, disaient-ils, "sauver" leur "révolution", le soulèvement qui a mis fin en 2019 à 30 années de dictature d'Omar el-Béchir.
Depuis, le sit-in des pro-armées a débordé ailleurs dans Khartoum. Dimanche matin, premier jour de la semaine, ils ont bloqué un des principaux ponts de la ville créant des embouteillages monstres. Et le soir, ils sont de nouveau ressortis, brûlant des pneus en travers de route.
agences/ther
Réunion d'urgence du Conseil de sécurité de l'ONU attendue mardi
Le Conseil de sécurité de l'ONU devrait tenir mardi après-midi une réunion d'urgence à huis clos sur le Soudan à la demande de six pays occidentaux, ont indiqué lundi des diplomates à l'AFP.
Cette session a été réclamée par le Royaume-Uni, l'Irlande, la Norvège, les Etats-Unis, l'Estonie et la France, a-t-on précisé de mêmes sources.
Abdel Fattah al-Burhane, le général désormais seul aux manettes du pays
Le général Abdel Fattah al-Burhane, qui était à la tête des autorités de transition avant leur dissolution, incarne aujourd'hui le pouvoir militaire dans ce pays, conspué par les uns et réclamé à grands cris par les autres.
Après avoir joué un rôle-clé mais très discret comme commandant de l'armée de terre avant qu'Omar el-Béchir ne le nomme inspecteur général de l'armée, il est sorti de l'ombre le 12 avril 2019 en prenant les commandes du Conseil militaire de transition, au lendemain de la chute du dictateur, renversé par l'armée après des mois de contestation populaire.
Deux ans de transition
Après plus de deux années de transition, il a désormais pris l'habitude des projecteurs et enfilé un costume s'apparentant à celui d'un chef d'Etat. C'est lui qui a reçu mercredi une invitation de Paris pour participer à un sommet sur la Libye prévu à la mi-novembre et c'est lui encore qui reçoit les responsables étrangers en visite au Soudan pour discuter de l'avenir du pays.
Le général Burhane, toujours en uniforme kaki, béret sur la tête et galons biens en vue, apparaît régulièrement flanqué de son numéro deux au Conseil de souveraineté, Mohamed Hamdan Daglo, dit "Hemedti", commandant des paramilitaires des puissantes Forces de soutien rapide (RSF) accusées d'être impliquée dans la répression de la révolte de 2019.
Proche des régimes voisins
Né en 1960 à Gandatu, un village au nord de Khartoum, Abdel Fattah al-Burhane a fait des études dans une école de l'armée, puis en Egypte et en Jordanie. Marié et père de trois enfants, il avait, selon des médias soudanais, coordonné l'envoi de troupes soudanaises au Yémen lorsqu'il était commandant des forces terrestres.
Depuis sa désignation à la tête des autorités de transition, il a encore renforcé ses liens avec les soutiens régionaux de l'armée soudanaise, en se rendant en Egypte, dirigée par un ancien maréchal, Abdel Fattah al-Sissi, mais également aux Emirats arabes unis et en Arabie saoudite, deux pourvoyeurs d'aides financières cruciales.
Washington "condamne" le coup d'Etat et suspend 645 millions de francs d'aide
Les Etats-Unis ont condamné fermement lundi le renversement du gouvernement civil par les militaires au Soudan et réclamé son "rétablissement immédiat". Ils ont annoncé la suspension d'une aide financière importante de 645 millions de francs à la transition soudanaise.
"Nous rejetons totalement la dissolution du gouvernement civil de transition et de ses institutions et appelons à leur rétablissement immédiat", a affirmé le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken dans un communiqué lundi soir.
"L'arrestation du Premier ministre Hamdok et d'autres dirigeants civils est inacceptable. Les forces militaires doivent garantir leur sécurité et les libérer immédiatement", a-t-il ajouté.
Washington s'est aussi dit inquiet à propos d'informations rapportant des tirs à balles réelles sur des manifestants pacifiques par les forces de l'ordre soudanaises, appelant à l'arrêt immédiat de telles violences.