Dans l'Utah, le Grand Lac Salé porte désormais bien mal son nom puisqu'il a perdu près de la moitié de sa superficie.
Dave Shearer, le capitaine du port de plaisance, a hissé le drapeau rouge, car il attend une tempête. Mais personne ne prendra le large de toute façon. Les voiliers sont garés au sec sur le parking et le port est presque vide. "On a dû sortir les bateaux, le lac était descendu trop bas. Vous voyez là-bas, ce mât couché ? Quelqu'un n'a pas retiré son bateau à temps et maintenant il est échoué dans la boue", explique-t-il.
"Le niveau le plus bas du lac a été atteint cet été. Depuis, il a remonté un tout petit peu mais globalement, le lac n'a jamais été aussi bas de l'histoire documentée", ajoute-t-il.
Vingt ans de sécheresse et des inquiétudes pour l'avenir
Dave Shearer est un natif de l'Utah. Son visage buriné raconte une vie passée sur ce lac. Aujourd'hui, il vit dans une roulotte au bord de l'eau, qu'il utilise comme logement de fonction.
Aux abords du lac, une énorme plage blanche s'étend, mais on est pourtant loin des Caraïbes. Il s'agit du fond qui devrait être recouvert d'eau, l'illustration du Grand Lac Salé qui s'évapore peu à peu.
"Je me souviens encore des années 1990. On s'inquiétait alors de la montée des eaux. Depuis, on a vécu 20 ans de sécheresse (...) Le manque d'eau m'inquiète, on ne peut que se demander vers quoi on va", détaille Dave Shearer.
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Déviation de l'eau de la fonte des neiges
Lynn de Freitas dirige l'association amis du Grand Lac Salé. Elle essaie de fédérer tous les acteurs du lac pour sa sauvegarde. Elle dénonce la décision des autorités de Salt Lake City qui dévient l'eau issue de la fonte des neiges pour abreuver une population en pleine croissance, sans grande considération pour le Grand Lac Salé, situé en aval.
"C'est comme si on lui mettait un corset. Depuis la fondation de l'Etat de l'Utah, le lac a perdu 48% de sa superficie. Ce système a été très négligé", dénonce-t-elle.
L'assèchement du lac amène son lot de problèmes, comme les tempêtes de sable, qui sont de plus en plus fréquentes. "Le lit du lac exposé à de tels vents génère de la pollution de particules fines, c'est un risque pour la santé, sans parler des problèmes de visibilité", ajoute-t-elle.
Ce vent qui souffle et qui transforme la zone en un endroit englouti par une poussière jaunâtre est selon les scientifiques ce qui attend la région si le lac continue de disparaître.
Pour Laura Vernon, coordinatrice du Grand Lac Salé, un nouveau poste créé pour défendre les intérêts du lac auprès de l'administration et du grand public, la situation pourrait péjorer l'activité économique. Pour elle, l'une des solutions serait de freiner la consommation d'eau dans l'Etat.
"On ne peut pas avoir de tempêtes de sable, les entreprises ne vont pas vouloir venir s'il y a des risques de santé (...) nous sommes l'un des Etats les plus arides du pays et pourtant nous sommes parmi les plus gros consommateurs d'eau. Nous n'avons pas besoin de pelouses vertes partout. Si on pouvait réduire juste un peu cette utilisation, on pourrait laisser davantage d'eau partir dans le Grand Lac Salé", détaille-t-elle
Des craintes pour l'écosystème
Sur le Grand Lac Salé, la chasse au canard est pratiquée depuis plus d'un siècle. Jack Ray et Jeff Richards perpétuent cette tradition mais sont aussi membres de l'association des oiseaux aquatiques.
D'après eux, l'assèchement de l'eau pourrait dérégler tout un écosystème: "Si on perdait ces marécages et tout l'écosystème du Grand Lac Salé, les oiseaux migrateurs de tout le continent, de l'Arctique jusqu'à l'Argentine, seraient touchés. Ils iraient où sinon? Entre la Californie et le Mississippi, il n'y a rien d'autre", s'inquiète Jack Ray.
Au plus haut niveau politique, l'administration Biden semble pourtant avoir bien compris l'importance du changement climatique. Le locataire de la Maison Blanche affiche sa volonté de devenir le leader mondial dans ce dossier et les objectifs climatiques sont vus comme l'une des pierres angulaires de son programme domestique. Mais le démocrate ne dispose pas de la majorité confortable nécessaire pour mettre un programme ambitieux en vigueur. Les lobbys énergétiques gardent aussi une présence massive à Washington, qui ralentit considérablement les avancées dans ce domaine.
Dans une économie encore très dépendante des routes et de la voiture, les sondages montrent d'ailleurs mois après mois l'étendue du problème. Seuls 3 à 4% des Américains et des Américaines jugent actuellement la question de l'environnement et du climat comme étant leur priorité numéro un.
Jordan Davis/ther