La police haïtienne a reçu la semaine dernière des preuves de vie du groupe de missionnaires et membres de leurs familles enlevés mi-octobre à Port-au-Prince, en Haïti. Le gang à l’origine de ce kidnapping réclame 17 millions de dollars de rançon, soit un million par otage. Tous sont Américains, sauf un. Les Etats-Unis assurent qu'ils feront "tout leur possible" pour libérer les missionnaires.
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Les exemples ne manquent pas de missionnaires enlevés, kidnappés, parfois tués. La missionnaire bâloise Béatrice Stöckli, enlevée il y a cinq ans au Mali, a finalement été tuée par ses ravisseurs. En France, ce début de semaine, Paris a vivement critiqué l'initiative "irresponsable" de l'ex-otage française Sophie Pétronin, de retour au Mali, un an après sa libération - cette dernière assurant de son côté être "chez elle" dans ce pays à la situation politique instable.
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Risques inutiles
Pour Brett Bruen, ancien diplomate américain, les missionnaires dans les zones à risque représentent un problème. "On donne des conseils très clairs aux citoyens américains pour les pays dangereux où ils ne doivent pas voyager. Mais il y a bien sûr les personnes qui travaillent dans les organisations humanitaires et les missionnaires, et ces dernières prennent des risques parfois inutiles. A cause de cela, je me suis moi-même trouvé plusieurs fois dans des situations où on a dû leur venir en aide parce qu'elles n'ont pas suivi les règles", explique celui qui a travaillé au Conseil de sécurité national à la Maison Blanche sous Barack Obama, et s’est retrouvé personnellement impliqué dans la libération de missionnaires en Côte d’Ivoire.
S'il y a des milliers de missionnaires de toute nationalité disséminés sur la planète, les Américains en représentent toutefois une importante proportion. Rien que les Mormons, basés à Salt Lake City, seraient 54'000 en mission pour évangéliser le monde. L’un deux, Joshua Holt, a passé deux ans en prison au Venezuela entre 2016 et 2018. Autre exemple, en 2018, un jeune chrétien américain de 27 ans, John Chau, a succombé sous les flèches d’une tribu autochtones sur un archipel au large de la Birmanie. Il espérait convertir les membres de la tribu.
Noms d'emprunt
Au vu de la dangerosité de certaines destinations, le Service de Missions et d'Entraide (SME) de la Fédération romande des églises évangéliques prend quelques précautions avec ses envoyés, dont certains sont actifs dans des régions compliquées comme le Liban, Myanmar, le Bangladesh, etc. "Certains de nos envoyés se trouvent dans des zones à risque politique. Leurs noms sont des noms d'emprunt, nous ne publions pas leur photo", détaille Sylvie Balverde, secrétaire générale du SME, qui soutient les envoyés sur le terrain.
Le terme "missionnaire" n'est d'ailleurs plus de mise au SEM: on dit "envoyés", car ils ne font pas directement de prosélytisme et les projets humanitaires qu'ils développent sont financés en partie par des fonds publics de la Direction du développement et de la coopération (DDC).
Sylvie Balverde dit rester en contact, tous le mois, avec ses envoyés sur le terrain. Des procédures d’évacuation sont élaborées, des plan A et B discutés aussi avec les ambassades de Suisse sur place. Et si parfois des diplomates doivent intervenir pour aider des membres de congrégations religieuses sur le terrain, il est à relever aussi que ces missionnaires ou envoyés peuvent être des relais utiles sur le terrain pour les gouvernements.
"Nous avons affaire aux locaux, nous entendons les choses plus vite que le temps qu'il faudrait pour qu'elles arrivent jusqu'à la capitale", explique Sylvie Balverde. "On peut être un apport pour informer rapidement de la réalité sur le terrain", estime-t-elle.
La rançon, ligne rouge
Si une complémentarité des missionnaires peut exister à la représentation diplomatique, les relations entre les deux restent complexes. Brett Bruen, l’ancien diplomate qui n’appréciait guère de devoir aller chercher des missionnaires américains dans des zones de conflit, admet leur utilité à demi-mot.
"Bien sûr, ils voient des choses, ils parlent avec des gens auxquels nous n'avons parfois pas accès en tant que diplomate ou officiel. Mais ce ne sont pas des agents du renseignement", nuance-t-il.
Dans le cas du kidnapping en Haïti et de la rançon de 17 millions, tous les moyens diplomatiques sont mis en œuvre par les Etats-Unis pour libérer les personnes détenues. Mais la politique américaine est très claire sur les rançons.
"Le gouvernement américain ne va jamais céder à cette demande de rançon. Il est essentiel pour la sécurité - des missionnaires, des diplomates, des citoyens - qu'on garde cette politique", souligne Brett Bruen.
Et ce, pour éviter de mettre un prix sur la tête de citoyens américains. Quant aux volontaires ou missionnaires, Sylvie Balverde explique que dans un monde de plus en plus complexe et dangereux, les vocations, au sein des Eglises évangéliques, se font parfois assez rares.
Raphaël Grand/kkub