Cinq ans après la guerre du Donbass dans l'est de l'Ukraine, les chefs de la diplomatie français et américain s'inquiètent eux aussi de la situation à la frontière. Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a fait part de sa grande préoccupation face aux activités inhabituelles de la Russie (lire encadré).
"Ces mouvements de troupes russes ne sont pas perceptibles", souligne Alexandra Goujon, spécialiste de la région, lundi dans l'émission Tout un monde de la RTS. "Par contre, ce que l'on a constaté depuis le début de l'année, c'est une intensification des bombardements le long de la ligne de contact, c’est-à-dire celle qui sépare les territoires séparatistes du territoire contrôlé par l'armée ukrainienne."
Il y a régulièrement des blessés ou des morts parmi les soldats, rappelle l'auteur de l'ouvrage "L'Ukraine: de l'indépendance à la guerre", en précisant que cette intensification est liée au fait que les séparatistes sont soutenus militairement par la Russie.
Tensions à nouveau accrues depuis janvier
De fait, le conflit dans le Donbass ne s'est jamais vraiment éteint. "Il y avait eu un léger espoir suite à l'arrivée de Zelenski au pouvoir. Et un cessez-le-feu, notamment, avait été signé et un peu mieux respecté que les précédents en juillet 2020", remarque Alexandra Goujon. "Mais les tensions se sont à nouveau accrues en janvier dernier."
Ce n'est pas la première fois que des mouvements de troupes russes sont signalés cette année. En avril dernier, on évoquait déjà 150'000 soldats russes, des forces qui ne se sont jamais vraiment retirées, selon Kiev.
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"Difficile de prévoir" ce qui va se passer
Va-t-on alors vers une nouvelle guerre après celle de 2014 suite à l'annexion de la Crimée? "Il est vraiment difficile de le prévoir", souligne cette spécialiste. "Je pense que les Occidentaux et les Ukrainiens réagissent d'ailleurs un peu différemment, mais réagissent parce qu'en 2014 l'annexion de la Crimée et le développement du séparatisme dans le Donbass ont été une véritable surprise."
Pour Alexandra Goujon, il y a une volonté de prévenir un éventuel conflit, "c'est-à-dire de montrer aux Russes que les Occidentaux sont vigilants. Et pour les Ukrainiens, de montrer à leurs partenaires occidentaux qu'il ne faut pas relâcher la pression sur la Russie, qui reste menaçante".
Eviter l'entrée de l'Ukraine dans l'UE ou l'Otan
Mais la politique de Vladimir Poutine depuis 2014 "est vraiment une politique de déstabilisation de l'Ukraine en profondeur", constate Alexandra Goujon. "L'idée est qu'après l'annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass, le pays ne contrôle plus l'intégralité de son territoire et devient donc un candidat beaucoup moins potentiel pour l'Union européenne ou pour l'Otan."
L'universitaire note qu'on a vu ces derniers temps des déclarations un peu inquiétantes. Cela a été le cas notamment cet été, lorsque - sur le site du Kremlin - Vladimir Poutine a fait paraître un essai dans lequel il parle du fait que les Russes et les Ukrainiens sont un même peuple. "Du côté ukrainien, on est très inquiets de ces déclarations, qui s'accompagnent de mouvements de troupes."
L'Ukraine ne devra peut-être compter que sur elle-même
Mais le gouvernement ukrainien pourrait-il compter sur l'Union européenne en cas de conflit? "C'est compliqué", remarque Alexandra Goujon, "parce que l'Union européenne n'est pas réellement une puissance stratégique. L'Ukraine demande aujourd'hui son entrée dans l'Otan parce qu'elle sait très bien que, si elle y était, les choses seraient beaucoup plus faciles".
Les Ukrainiens ne sont pas dupes, souligne-t-elle cependant. "Après le retrait américain d'Afghanistan, des personnes se sont demandé en Ukraine si leurs alliés allaient être fidèles jusqu'au bout. Il n'y a pas de certitudes et les Ukrainiens se disent aussi qu'ils devront peut-être ne compter que sur eux-mêmes."
Sur le but à terme de Vladimir Poutine, la maître de conférences fait deux hypothèses. "Est-ce une déstabilisation pour avoir la main sur la politique étrangère de l'Ukraine, empêcher son adhésion éventuelle à l'Union européenne ou à l'Otan?", s'interroge-t-elle. "Ou y a-t-il une réelle projection territoriale, sachant que cela pourrait engendrer un conflit extrêmement meurtrier?"
Propos recueillis par Blandine Lévite/oang
Le Kremlin dénonce une "hystérie" américaine
Le Kremlin a dénoncé dimanche une "hystérie" américaine, face aux accusations de Washington qui s'est dit la veille "sérieusement préoccupé" par les agissements et les déclarations de la Russie envers l'Ukraine où les tensions montent.
"Cette hystérie est créée de manière artificielle. Ceux qui ont fait venir leurs forces armées d'outre-Atlantique, c'est-à-dire les Etats-Unis, nous accusent d'activités militaires inhabituelles sur notre territoire", a déclaré le porte-parole de la présidence russe, Dmitri Peskov.
Le service de renseignement extérieur de la Russie a par ailleurs qualifié lundi d'"absolument fausses" les affirmations selon lesquelles Moscou préparerait une invasion de l'Ukraine.
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a réitéré samedi que les Etats-Unis avaient "de sérieuses inquiétudes sur les activités militaires inhabituelles de la Russie à la frontière avec l'Ukraine".
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