Peng Shuai a ressurgi ce week-end sur les réseaux sociaux internationaux dans des photos et des vidéos publiées par les médias d’Etat chinois. Peng Shuai à la maison, Peng Shuai au restaurant, Peng Shuai entourée de juniors lors d’un tournoi de tennis organisé à Pékin: autant de "preuves de vie" orchestrées par le pouvoir pour tenter de rassurer la communauté internationale.
Point d’orgue de cette opération, l’appel vidéo dimanche avec des responsables du Comité international olympique, dont son président Thomas Bach. Il s’agit – a priori – du premier échange direct entre la joueuse et des interlocuteurs situés hors de Chine.
Dans un communiqué lacunaire, le CIO fait état d’une conversation de 30 minutes au cours de laquelle Peng Shuai a déclaré aller bien et se trouver en sécurité chez elle, à Pékin. Elle a également invoqué le respect de sa vie privée, expliquant vouloir à présent privilégier ses relations avec ses amis et sa famille.
Un responsable olympique a en outre indiqué au New York Times que Peng Shuai était assistée d’un ami lors de cet entretien. Ce dernier l’aurait aidée avec son anglais, même si la championne de double féminin maîtrise la langue, après 15 ans de carrière sur le circuit professionnel.
Le CIO ne se positionne pas sur l'accusation de viol
Si l’entrevue a permis de localiser la femme de 35 ans, le communiqué officiel du CIO n’évoque à aucun moment le cœur de "l’affaire Peng Shuai", à savoir le viol dont elle dit avoir été victime de la part de Zhang Gaoli, ancien vice-Premier ministre chinois, membre permanent jusqu’en 2017 du bureau politique du Parti communiste, le cœur du pouvoir politique en Chine.
Ces accusations ont été rapidement censurées. Si les médias d’Etat et des personnalités proches du gouvernement postent des images et s’activent pour étouffer l’affaire sur les réseaux sociaux étrangers, pas un mot sur l’internet chinois. Le nom de Peng Shuai et les termes se rapportant à son nom sont soigneusement filtrés.
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Le CIO élude également toute question relative au traitement réservé à l’athlète suite à ses révélations explosives. A-t-elle été détenue? Fait-elle l’objet de menaces ou d’intimidations de la part des autorités? Dans quelle mesure est-elle réellement libre de ses mouvements? Face aux nombreuses questions non évoquées par l’instance olympique mondiale, le scepticisme est de mise.
La France, par la voix de son ambassade en Chine, a réitéré ces dernières heures sa préoccupation quant au sort de Peng Shuai.
Steve Simon, le très critique patron de la WTA, se montre de son côté perplexe et exige davantage de transparence en s’étonnant de ne pas avoir pu joindre Peng Shuai malgré de nombreuses tentatives. Frontale, l’association de tennis féminin refuse de se taire, prenant le risque de voir se fermer le lucratif marché chinois. Au contraire, elle menace aujourd’hui de quitter la Chine.
Une réaction qui a sans doute surpris Pékin
Pris de court, le Parti communiste n’avait pas anticipé une telle détermination. Le traitement infligé à Peng Shuai n’est pas inhabituel en Chine, qui réprime fermement tout affront à l’autorité ou transgression de tabou. Jack Ma, le fondateur d’Alibaba ou Fan Binbing, célèbre actrice accusée de fraude fiscale, ont tous deux récemment disparu avant de réapparaître assagis.
D’autres ont cependant moins de chance et sont broyés par l’appareil répressif. La témérité de la WTA, la solidarité des sportifs du monde entier, la mobilisation de l’ONU et de nombreux gouvernements internationaux à trois mois des Jeux olympiques d’hiver de Pékin plonge le gouvernement chinois dans l’embarras. En proie aux critiques persistantes pour son traitement des minorités musulmane au Xinjiang, la répression au Tibet et à Hong Kong, la Chine a vu soudainement les appels au boycott renforcés dans le sillage de l’affaire Peng Shuai.
Une affaire qui plonge aussi le CIO dans la gêne. Depuis quelques jours, l’organisation brille par sa discrétion dans le concert d’indignation internationale. Une attitude dénoncée: des voix se sont récemment élevées pour exiger une réaction plus affirmée de la part du Comité international olympique. En participant à ce que certains dénoncent comme une opération de propagande, le CIO tente donc de faire baisser la pression et d’éteindre l’incendie.
Michael Peuker/ther