Quarante-trois cas de blessures oculaires ont été recensés en 2018 et 2019 en France durant les manifestations de gilets jaunes, alors que seuls deux étaient déclarés en 2016 et un en 2017. Parmi ces blessés, tous manifestants, neuf ont perdu un œil à cause d'une balle en caoutchouc tirée par un Flash-Ball ou de l'explosion d'une grenade de désencerclement. Les chiffres de cette étude, menée auprès des hôpitaux français et publiée dans la revue scientifique The Lancet, sont révélateurs. En France, l'action de la police s'est nettement durcie lors des manifestations des gilets jaunes.
Usage de la force en cas de nécessité seulement
Quand le sociologue Max Weber évoque "le monopole de l'usage légitime de la violence" par l'Etat, le terme "légitime" est primordial. Car si chacun peut, à ses risques et périls, faire usage de la violence, seul l'Etat en a le droit. Mais dans certaines circonstances, il en abuse. Les images parfois très dures et les témoignages poignants de "Un pays qui se tient sage" (à voir dans l'extrait ci-dessous) en sont la preuve.
Bien sûr en face, certains manifestants sont là pour en découdre et les policiers ne sont évidemment pas tous concernés par les bavures. Nombre d'entre eux ont été blessés au cours des manifestations. Reste que leur mission est le maintien de l'ordre. Dans ce cadre, le recours à l'usage de la force doit avoir lieu en cas de nécessité seulement.
Je vois une grande colère et le maintien de l'ordre, ce n'est pas de la colère.
>>Extrait de "Un pays qui se tient sage"
Des critiques qui ne passent pas
Depuis 2014, la France est déclassée dans les index de mesure de la démocratie en raison, notamment, de l'usage excessif de la force par ses forces de police. Au sein du Global Democracy Index publié en février 2021, elle fait partie de la catégorie "flawed democracy", qu'on peut traduire par "démocratie imparfaite". Dans cette même catégorie, on trouve par exemple la Colombie, les Etats-Unis ou l'Afrique du Sud.
Au pays des droits de l'homme, c'est un affront. D'ailleurs, lorsque Michelle Bachelet, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, rappelle à l'ordre la France pour sa gestion des manifestations des gilets jaunes, cela passe très mal. Même chose lorsque l'action de la police est critiquée, entre autres par les médias; c'est le président Macron lui-même qui monte au créneau et déclare que "répression" et "violences policières" sont des termes inacceptables dans un Etat de droit.
>>Extrait de "Un pays qui se tient sage"
Ne parlez pas de répression, de violences policières, ces mots sont inacceptables dans un Etat de droit
L'Etat français joue l'apaisement
Des mots inacceptables mais des violences bien réelles. Mis devant l'évidence des images filmées par les manifestants eux-mêmes, l'Etat français a quelque peu revu sa copie. En septembre 2020, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur fraîchement nommé, déclare que l'usage du LBD (lanceur de balles de défense) par les forces de l’ordre sera encadré. Chaque tir des fameux Flash-Ball devra être soumis à l'accord d'un superviseur. Quant à la grenade à main de désencerclement (ou GMD) qui a elle aussi causé des blessures graves, elle sera remplacée par un modèle "moins dangereux".
En mai 2021, c'est au tour du très controversé article 24 de la "Loi pour une sécurité globale préservant les libertés" d'être censuré par le Conseil constitutionnel. L'article en question prévoyait d'interdire, sous peine d'amende et de prison, de filmer le visage d'un agent de la police ou de la gendarmerie lorsqu'il agit dans le cadre d’une opération de police. Avec une telle disposition, impossible de prouver les éventuels faux pas des forces de l'ordre. C'en est trop pour une partie des Français qui, une fois de plus, descendent dans la rue afin de réclamer le retrait de cette loi jugée liberticide.
>>"Un pays qui se tient sage", réalisation: David Dufresne (France, 2020)
Les documentaires RTS, Franck Sarfati