Dans un rapport au constat accablant, la Commission sur les ingérences étrangères du Parlement européen appelle l'Union européenne à ouvrir les yeux et à se ressaisir face à des puissances malveillantes comme la Russie ou la Chine. Le document, écrit au terme de dizaines d’auditions, sera soumis au vote des eurodéputés en février prochain.
Interrogé mercredi dans l'émission Tout un monde de la RTS, son président, le socialiste français Raphaël Glucksmann, décrit des conclusions "assez effrayantes".
"Ce rapport va d'abord dresser un constat de la guerre hybride que mènent les régimes autoritaires contre l'Union européenne", détaille-t-il. "Des cyberattaques aux captations d'élites, via la corruption ou les campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, il y a une véritable tentative de déstabilisation de l'Union européenne par des acteurs étrangers".
"Comment qualifier un régime qui s'attaque à nos hôpitaux?"
Raphaël Glucksmann pense notamment aux cyberattaques. "En pleine pandémie, des armées de hackers s'en sont pris soit à l'Agence européenne du médicament soit au système hospitalier en Irlande", rappelle l'eurodéputé.
"On a réussi à remonter leur trace et ils travaillent pour les services secrets russes. Comment qualifier un régime qui attaque nos hôpitaux civils en pleine pandémie?", s'interroge l'eurodéputé.
Les entreprises chinoises comme cheval de Troie
La Chine, elle, profite d’autres faiblesses européennes. "Le modus operandi des autorités chinoises est d'utiliser les grandes entreprises chinoises, extrêmement riches, pour investir dans des secteurs stratégiques européens", relève-t-il.
"Un exemple fameux est celui du port du Pirée [à Athènes]. Et ces investissements stratégiques empêchent ensuite les pays qui en ont bénéficié de prendre des positions contraires aux intérêts de la Chine", explique Raphaël Glucksmann. "Quand des sanctions sont décidées contre de hauts dignitaires chinois, les pays qui ont reçu des investissements sont ceux qui posent problème au Conseil européen pour adopter ces sanctions".
"Prendre conscience que le monde promis n'existe plus"
Or jusqu'ici, déplore l'eurodéputé, "l'Union européenne a fait preuve d'une naïveté confondante". Ce rapport est donc d'abord une rupture avec cette naïveté, explique-t-il. Il nous fait "prendre conscience que le monde que l'on nous avait promis dans les années 90, celui de la fin des grands conflits, des grandes adversités, n'existe plus. On est dans un monde beaucoup plus brutal, violent".
Ce constat une fois mis sur la table, il faudra ensuite proposer des solutions. Il s'agira, pour l'Europe, d'avoir "une capacité de dissuasion face à ces régimes qui l'attaquent et qu'elle puisse aussi construire des démocraties beaucoup plus solides, qui puissent résister à ces attaques", poursuit Raphaël Glucksmann.
La pandémie pour réveiller les consciences en Europe
Mais les Européens commencent à prendre la mesure du défi, analyse-t-il. Et un évènement inattendu a contribué à leur déciller les yeux: le coronavirus, qui a montré la dépendance extrême de l’Europe à la Chine, devenue l’atelier du monde globalisé.
"Il y a eu un retournement de situation lié notamment à la pandémie, qui a fait voler en éclats beaucoup de dogmes", note le président de la commission sur les ingérences étrangères. "Elle aura des conséquences à la fois sur les questions commerciales, sur les questions de souveraineté industrielle et de souveraineté tout court. On s'est rendu compte qu'on n'était plus capables de produire des masques, du curare pour nos hôpitaux (…) Il y a une prise de conscience que, si on n'arrive pas à assumer une forme d'autonomie stratégique, on n'aura plus notre mot à dire et on ne fera plus l'Histoire".
"Aucun pays producteur ne peut se passer de l'UE"
L’UE doit se servir de sa puissance commerciale pour contrer des régimes hostiles, souligne le rapport. "L'Europe, aujourd'hui, est le premier marché du monde, aucune multinationale et aucun pays producteur ne peuvent s'en passer", constate encore Raphaël Glucksmann. C'est notre grande force et on peut construire dessus une puissance politique".
Et le socialiste français montre un certain optimisme. Au Parlement européen, dit-il, "il y a une prise de conscience transpartisane qui fait qu'aujourd'hui la priorité est de définir nos priorités stratégiques et de suivre une politique qui mette le commerce au service de ces intérêts stratégiques. Et ça, c'est une évolution fondamentale".
A l'échelon des gouvernements, Raphaël Glucksmann va suivre de près la nouvelle coalition en Allemagne, qui annonce sa volonté d’accroître la souveraineté stratégique de l’Europe.
Propos recueillis par Alain Franco/oang