Les images satellites ne laissent que peu de place au doute. Depuis plusieurs semaines, la Russie déploie un important dispositif militaire le long de la frontière ukrainienne, notamment de l'artillerie lourde et des chars d'assaut. Selon Washington, 175'000 soldats russes pourraient être mobilisés, faisant craindre l'éclatement d'un conflit de grande ampleur. Moscou nie tout projet d'invasion.
Lors d'une vidéoconférence le 7 décembre, le président américain Joe Biden a averti son homologue russe Vladimir Poutine. Les Etats-Unis répondront par de lourdes sanctions économiques et un soutien militaire accru à Kiev en cas d'escalade en Ukraine.
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L'Europe en étau
Depuis plusieurs années, l’Ukraine se distancie de Moscou pour se rapprocher peu à peu du bloc occidental. Et plus encore depuis l'élection de Volodymyr Zelensky. Le président ukrainien réitère régulièrement le souhait de voir son pays rejoindre l'Union européenne et l'OTAN. Or, cette adhésion représente une ligne rouge pour Moscou. Vladimir Poutine a toujours considéré l'ancienne république soviétique comme partie intégrante de sa sphère d'influence.
Cette tension frontalière représente un enjeu de taille pour l’Union européenne, qui se trouve dans l'incapacité immédiate d’agir. "L'Ukraine ne fait pas partie de l'OTAN, donc il n’y a pas de solidarité immédiate et militaire de la part des pays d'Europe de l'Ouest et d'Europe orientale", rappelle Isabelle Ory, correspondante de la RTS à Bruxelles et invitée dans Géopolitis." Si les Européens répondent, dit-elle, ce sera avant tout par des sanctions commerciales. Il n'y a pas de défense européenne pour l'instant dans le cadre de l'Union européenne, donc ils ne vont pas envoyer des troupes."
Nouvelles orientations stratégiques
L'idée d'une défense européenne commune est régulièrement relancée au sein de l'Union. Le président français Emmanuel Macron plaide même pour la création d'une véritable armée européenne depuis son arrivée au pouvoir, et davantage encore après le retrait chaotique des troupes occidentales d'Afghanistan.
Le 15 novembre dernier, c'est le haut-représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell qui a présenté sa "boussole stratégique" devant les 27 ministres des Affaires étrangères de l'UE. L’Europe est en danger, affirme-t-il. Cette boussole, qu'Isabelle Ory qualifie de "doctrine stratégique", fixe les orientations de la politique de défense commune. Josep Borell y défend notamment la création d’une "capacité de déploiement rapide" de 5000 hommes. "L'idée est d'avoir une analyse précise des menaces stratégiques pour l'Union européenne et de réfléchir à comment y répondre sur les plans militaire et humain", précise la journaliste.
"L'Europe, un projet de paix"
Si les discussions autour d’une défense commune en Europe existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, "l'Europe a été conçue comme un projet de paix", rappelle Isabelle Ory. Elle pointe la difficulté d'un changement de mentalité: "C'est un changement de logiciel, ça ne se fait pas facilement."
Une vraie défense européenne ne se mettra pas en place.
Ce projet a du mal à susciter l’unanimité des Etats membres. Et la journaliste ne cache pas son pessimisme: "Tous les spécialistes qui suivent ces dossiers depuis des décennies sont très blasés et n'y croient pas du tout. (...) Une vraie défense européenne, je crois qu'il ne faut pas avoir d'illusions, ça ne se mettra pas en place." Selon elle, l’OTAN est déjà suffisamment compétente en la matière: "On ne va pas dupliquer ce qui existe déjà, même si les Français rêveraient d'avoir quelque chose de complètement autonome." Emmanuel Macron tentera sans doute de défendre cette idée l’an prochain, durant la Présidence française du Conseil de l'Union européenne.
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Guerre hybride aux portes de l’UE
Le bras de fer entre la Pologne et la Biélorussie a aussi fait prendre conscience à l’Europe de sa vulnérabilité. Depuis cet été, des milliers de migrants originaires principalement de Syrie, d'Irak et d'Afghanistan tentent de traverser illégalement la frontière polonaise depuis la Biélorussie. Le gouvernement polonais et l'Union européenne accusent le président biélorusse Alexandre Loukachenko d’avoir orchestré l’arrivée de ces migrants sur son sol, pour faire pression sur l'Europe, et cela en représailles des sanctions infligées pour non-respect des droits humains. Mais le président Loukachenko continue de nier toute implication. Varsovie est aussi convaincue que le président russe est à la manœuvre.
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"Ce n'est pas une crise migratoire comme les autres, ce sont des gens qui ont été amenés spécifiquement, dans un but qui est de déstabiliser l'Union européenne", commente Isabelle Ory. Et c’est un moment charnière. Les querelles internes entre Varsovie et Bruxelles sur la primauté du droit européen ne sont toujours pas réglées. Mais face à Minsk, l’Europe affiche un front commun et annonce de nouvelles sanctions. "Les Européens ont répondu assez finement sur le plan politique, en restant unis," relève la journaliste. Mais cette unité a un prix explique-t-elle: "Ils ont décidé de ne pas trop attaquer la Pologne sur ce qu'elle fait. On ne sait pas ce qu'entreprend la Pologne dans la zone frontalière, personne n'a pu y avoir accès et surtout pas les médias, alors qu'il y a des rumeurs de refoulement."
Le régime de Loukachenko a su appuyer là où ça fait mal: les divisions au sein de l’Union, et particulièrement les désaccords profonds sur la question de l'accueil des migrants. "C'est un talon d'Achille. C'est devenu un sujet politique, sur lequel les opinions publiques s'enflamment", poursuit Isabelle Ory. Pour elle, il est urgent que l'Europe accorde ses violons: "Tant que les Européens n’auront pas réussi à trouver une solution globale pour gérer la migration, ils seront confrontés à ce genre de pression."
Etienne Dussert, avec Mélanie Ohayon
Le spectre d'une sécession en Bosnie-Herzégovine
Vingt-six ans après les accords de Dayton, la guerre menace à nouveau en Bosnie-Herzégovine.
Depuis cet été, le leader des Serbes de Bosnie Milorad Dodik multiplie les provocations. Il parle notamment de recréer l'armée des Serbes de Bosnie et prône une République serbe indépendante. Le nationaliste a même ordonné aux députés serbes de boycotter les institutions bosniennes, quitte à paralyser le pays sur fond de pandémie et de crise des migrants.
En 1995, pour mettre fin au bain de sang dans les Balkans, les accords de Dayton avaient débouché sur la création de deux régions autonomes de taille à peu près identique : la République serbe et la Fédération de Bosnie-Herzégovine, qui regroupe les Bosniaques musulmans et les Croates. Le conflit le plus meurtrier en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale avait fait plus de 100'000 morts.