"L’intelligence artificielle et le quantique vont totalement changer les guerres du futur"
C'est un drone qui ressemble beaucoup à ceux que l'on trouve dans le commerce pour réaliser des films vus du ciel. Mais le Kargu est un drone de guerre kamikaze, équipé d'un système d'intelligence artificielle. Il serait capable d'identifier des cibles grâce à la reconnaissance faciale. Selon un rapport de l'ONU, il aurait été utilisé en Libye en 2020. Ce serait la première utilisation documentée de ce type d'armes.
Les systèmes d'armes létaux autonomes (SALA), parfois aussi appelés "robots tueurs", sont au cœur de négociations au sein de l'ONU depuis 8 ans. Mais les Etats sont très divisés sur la question de leur régulation. Selon Paola Gaeta, professeure de droit international à l'IHEID et invitée de l'émission Géopolitis, "il y a très peu d'espoir d'avoir une réglementation effective pour interdire ces armes, mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas travailler pour aller dans la bonne direction."
Négociations à l'ONU
Une réunion de négociation s'est encore tenue en décembre à Genève, mais les Etats participants n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur la direction à suivre, ni sur la définition de ce que sont les SALA. "Quand il y a la nécessité de réglementer des armes avec un haut niveau de technologie, souligne Paola Gaeta, les Etats qui détiennent cette technologie n’ont pas un intérêt à le faire. Par contre, les Etats trouvent plus facilement un intérêt à réglementer les armes des plus pauvres, comme les mines antipersonnel."
Il existe plusieurs niveaux d'autonomie pour les robots militaires. Si les robots tueurs totalement autonomes, décidant seuls de leurs déplacements ou de leurs cibles, comme popularisé dans le film Terminator, ne devraient jamais voir le jour, des armes de plus en plus autonomes sont déjà sur le marché.
Elles posent des questions quant au respect du droit international et plus particulièrement du droit humanitaire, qui fixe des règles pour la conduite des hostilités et la protection des victimes de conflits armés. Des drones intelligents peuvent-ils vraiment différencier avec certitude des militaires et des civils? Peuvent-ils identifier les combattants blessés ou qui se rendent? Est-il possible de prévoir une supervision efficace par un être humain pour pouvoir stopper à tout moment les actions de ces robots tueurs?
"Comme vous pouvez l'imaginer, l'attitude de l’être humain envers la technologie n'est pas aussi simple, souligne la chercheuse. Parce que l'on fait confiance à la technologie, parce qu'elle est capable de traiter des données en quelques secondes. Ce que l'être humain ne peut pas faire. Même avec une fonction de supervision, on ne peut peut-être pas vraiment intervenir parce qu'on n'a pas la vitesse ou les connaissances de la technologie nécessaires."
Le pouvoir de l'intelligence artificielle
Dans cette course à la robotisation de la guerre, l'intelligence artificielle joue un rôle primordial. En 2017, Vladimir Poutine avait déjà affirmé que "le pays qui sera leader dans le domaine de l’intelligence artificielle dominera le monde". Cette technologie est particulièrement importante dans le développement d'essaims de drones de combat. A l’image des nuées d’oiseaux migrateurs à l’automne ou des bans de poissons dans l’océan, l'intelligence artificielle permettrait à des drones se déplaçant en nombre de coordonner leurs actions entre eux.
"Il est possible de développer des armes encore plus intelligentes, c'est-à-dire qui peuvent apprendre elles-mêmes dans un environnement pour prendre des décisions qui ne sont ni contrôlées, ni préprogrammées par l'être humain", s'alarme Paola Gaeta, qui souligne qu'il est plausible que des groupes terroristes puissent développer des essaims de drones, cette technologie étant relativement abordable.
Les innovations technologiques vont nous amener vers des guerres toujours plus complexes.
L'intelligence artificielle peut aussi servir lors de conflits hybrides, qui mêlent différents actes de déstabilisation hors du champ de bataille traditionnel, comme les cyberattaques ciblant des infrastructures sensibles ou l’utilisation de fake news pour manipuler l’opinion. L'une de ces techniques d'influence repose sur l'intelligence artificielle: ce sont les "deep fake", des vidéos ou des audios manipulés mais qui semblent plus vrais que nature. En 2018, dans une vidéo devenue virale, on découvrait Barack Obama insultant Donald Trump. C'était un faux, créé grâce à l'intelligence artificielle.
La révolution quantique
"Les innovations technologiques vont nous amener vers des guerres toujours plus complexes, analyse Paola Gaeta. Je pense que les développements en matière d'intelligence artificielle ou de technologies quantiques vont totalement changer les guerres du futur." Les premiers supers ordinateurs quantiques sont mis au point aux Etats-Unis et en Chine. Ils permettent d'atteindre des puissances de calcul inégalées et de résoudre des problèmes que les ordinateurs normaux ne pourront jamais résoudre.
Les technologies quantiques, appelées ainsi car elles reposent sur les principes de la physique quantique, pourraient révolutionner certaines applications militaires, par exemple en permettant de décoder les communications cryptées les plus sophistiquées. Des capteurs quantiques pourraient aussi être au cœur d’avancées majeures pour les systèmes de navigation, notamment pour les sous-marins militaires.
Elsa Anghinolfi
La course aux missiles hypersoniques
Trente-trois mille kilomètres heure. Ce serait la vitesse qu'atteindrait le missile hypersonique russe Avangard, soit 27 fois la vitesse du son. La Russie, la Chine et les Etats-Unis se sont lancés dans une véritable course pour développer ces projectiles hypervéloces, capables de changer de trajectoire et d’échapper potentiellement aux défenses antimissiles de leurs adversaires.
La Chine aurait testé, cet été, un nouveau missile hypersonique qui aurait fait le tour de la Terre, inquiétant les Etats-Unis qui investissent des milliards dans le développement de ces armes. L'armée américaine a procédé à plusieurs tests d'éléments hypersoniques cette année, pas toujours avec succès. La Russie a encore récemment testé son missile hypersonique Zircon, conçu pour équiper des navires et sous-marins de l'armée.