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TOLOnews, le média qui lutte pour son indépendance en Afghanistan

Interview sur le plateau de TOLOnews en octobre 2019. [TOLOnews/YouTube]
Tolonews, un média en continu qui fait de la résistance à Kaboul / Tout un monde / 5 min. / le 21 décembre 2021
Depuis le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, certains médias font de la résistance. La chaîne d'info en continu TOLOnews, notamment, tente de maintenir son indépendance éditoriale et n’hésite pas à engager des femmes malgré tous les risques.

Créée en 2010, TOLOnews était rapidement devenue la première chaîne TV afghane d’information en continu. Pour entrer dans sa rédaction, située en plein cœur de Kaboul, il faut d’abord traverser un portique de sécurité et deux portes blindées gardées par du personnel de sécurité, comme l'explique l'envoyé spécial de la RTS Wilson Fache mardi dans l'émission Tout un monde.

Ce dispositif a été mis en place après les nombreuses menaces et attaques dont la chaîne d’info a fait l’objet ces dernières années.

Un "mémorial" aux collègues tués

Dans les locaux, une vitrine contient des caméras cassées et des micros brûlés. "C'est notre mémorial", explique le rédacteur en chef Zirak Faheem. "Ces dernières années, nos collègues ont été tués dans des explosions qui les visaient. Nous avons perdu un journaliste et un caméraman, et ça c'est leur équipement qui a été endommagé dans cette attaque".

Et aujourd'hui, il est plus difficile encore de faire du journalisme dans un pays contrôlé par les talibans, ceux-là même qui ont mené plusieurs attaques contre TOLOnews.

"Il y a un grand changement entre aujourd’hui et avant", souligne Zirak Faheem. "Avant, nous utilisions le mot 'talibans', mais maintenant ils nous ordonnent de les appeler 'l'Emirat islamique'. C'est la réalité, maintenant ils sont au pouvoir. Il y a d’autres expressions et mots que nous utilisons pour ne pas être contre eux. Et il y a des règles que nous devons suivre".

Des interviews d'activistes critiques

Jusqu'à présent, la chaîne d'information estime ne pas avoir perdu son indépendance. Et elle a su garder une certaine liberté de ton, comme le démontre une interview en direct avec une activiste afghane qui critique vertement les talibans pour avoir suspendu l’éducation secondaire pour les filles du pays.

"Pourquoi ne laissent-ils pas les filles aller à l'école et étudier?", interroge-t-elle. "Quel est leur problème à cet égard? Pourquoi est-ce un problème pour eux d'ouvrir les écoles? Ils doivent clarifier leur position. Ils ont dit qu'ils y travaillaient, mais ils doivent clarifier. Ils sont au pouvoir depuis 100 jours et rien n'est clair".

La rédaction désertée avec l'arrivée des talibans

Au moment de la chute de Kaboul, 90% des employés de la chaîne avaient fui le pays, à l’exception d’une poignée de salariés dont une membre de la direction, un présentateur et un caméraman.

Malgré l’exode des journalistes de la rédaction, les quelques irréductibles étaient parvenus à monter un journal pour couvrir cette journée historique d'août dernier.

Femmes journalistes désormais plus nombreuses

Et fait surprenant, il y a plus de femmes employées à TOLOnews aujourd’hui qu’avant le retour au pouvoir des talibans. Le média en a engagé à tour de bras pour remplacer les journalistes qui ont fui le pays et elles sont aujourd’hui huit, dont deux présentatrices.

Parmi elles, Tahmina Ousmani, 22 ans, présente la Matinale et deux journaux courts à 11h00 et 13h00. "Il ne fait aucun doute que ma famille a peur et s'inquiète pour moi", reconnaît-elle. "Mais ils sont aussi d'accord pour dire que, si nous arrêtons de travailler et d'apparaître à la télévision, alors la représentation des femmes dans les médias disparaîtra et les autres filles n'auront pas le courage de continuer dans cette voie-là".

Des doubles cibles face aux menaces

Mais sa position de présentatrice fait d’elle une double cible dans un pays où les journalistes sont menacés, censurés, intimidés, et où les femmes sont n’ont plus les mêmes libertés qu’avant.

Avant de quitter les studios, Tahmina Ousmani prend du reste soin de se démaquiller et d’enfiler un masque chirurgical. C'est pour se protéger du Covid, dit-elle, mais surtout pour qu’on ne puisse pas la reconnaître dans la rue.

Wilson Fache/oang

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Plus de 80% de femmes journalistes au chômage

Depuis l'arrivée au pouvoir des talibans, 43% des médias du pays ont fermé, mettant au chômage 60% des journalistes afghans et l'essentiel des femmes journalistes afghanes, a révélé lundi une étude de Reporters sans frontières (RSF).

"Sur les 543 médias recensés au début de l'été, seuls 312 fonctionnaient encore fin novembre", détaille RSF dans cette étude réalisée avec l'Association des journalistes indépendants d'Afghanistan (AJIA).

"Plus de 4 médias sur 10 ont disparu et 60% des journalistes et collaborateurs de médias sont désormais dans l'incapacité de travailler", souligne l'association de défense de la liberté de la presse. Les femmes sont les plus touchées: 84% d'entre elles ont perdu leur travail.

La région de Kaboul, où la concentration de médias était la plus forte, a perdu plus de la moitié de ses médias (51%): sur 148 organes de presse recensés avant la mi-août, 72 exerçaient fin novembre.

Une crise humanitaire dramatique

L’Afghanistan serait au seuil de l'une des pires crises humanitaires au monde. Selon les Nations unies, plus d’une personne sur deux pourrait bientôt se retrouver en situation d'insécurité alimentaire aiguë.

L’hiver arrive, l’économie est en berne et les aides internationales ont été gelées.

Dans la ville d’Hérat (nord-ouest du pays), la crise humanitaire provoque des déplacements de population et la malnutrition frappe les plus jeunes.

>> Le reportage de Wilson Fache dans La Matinale :

Distribution de repas à Hérat, en Afghanistan, en octobre 2021. [AFP - Hoshang Hashimi]AFP - Hoshang Hashimi
Crise humanitaire dramatique à Hérat en Afghanistan, reportage / La Matinale / 2 min. / le 21 décembre 2021

>> Lire aussi : Dominik Stillhart: "L'Afghanistan est face à une crise extrêmement grave"