Cette décision intervient en conclusion d'une année marquée par la répression croissante des personnes, ONG et médias perçus comme des critiques du président Vladimir Poutine, au pouvoir depuis bientôt 22 ans. "La décision est de liquider Mémorial International et ses antennes régionales", a annoncé l'ONG sur son compte Telegram.
La juge Alla Nazarova avait dit mardi "accéder à la demande du Parquet" de dissoudre cette ONG. En cause, le non-respect d'obligations découlant de son statut d'"agent de l'étranger". Ce label, qui rappelle celui d'"ennemi du peuple" pendant l'URSS, désigne des organisations considérées comme agissant contre les intérêts russes en recevant des fonds étrangers. "C'est une décision malfaisante, injuste", a réagi l'avocate de la défense Maria Eïsmont. La décision russe a également suscité l'indignation à l'étranger.
Accusée de "créer une image mensongère de l'URSS"
Mémorial enquête depuis plus de 30 ans sur les purges soviétiques et recense les répressions contemporaines, notamment celles du régime de Vladimir Poutine. L'organisation avait affirmé avant le verdict qu'elle allait s'efforcer de continuer son travail même en cas d'interdiction.
"Liquider Mémorial International renvoie la Russie à son passé et accroît le danger de (nouvelles) répressions", avait estimé devant la cour l'avocate Maria Eïsmont. Début novembre, le Parquet avait demandé la dissolution de Mémorial, l'accusant d'avoir enfreint "systématiquement" les obligations de son statut d'"agent de l'étranger".
Accusée de propager une image mensongère de l'URSS
Devant la cour mardi, le procureur Alexeï Jafiarov s'est fendu d'une attaque en règle visant l'ONG, l'accusant de "créer une image mensongère de l'URSS en tant qu'Etat terroriste", de "salir la mémoire" de la Seconde Guerre mondiale et de chercher à "réhabiliter des criminels nazis".
Malgré le froid glacial, plusieurs dizaines de personnes s'étaient rassemblées devant le tribunal pour exprimer leur soutien à cette organisation emblématique de l'Histoire contemporaine de la Russie. Sa dissolution est une "décision honteuse" qui illustre l'"effondrement de l'ensemble du système judiciaire", s'est indignée Elena Ponomariova, l'une des sympathisantes présentes.
Le dernier d'une longue liste d'"agents de l'étranger"
Mémorial est l'une des dernières victimes de la longue liste d'ONG, d'opposants et de médias tombés sous le coup de poursuites ces derniers mois. Des dizaines de personnes, des ONG défendant les droits humains ou des minorités sexuelles et des médias indépendants ont ainsi été reconnus "agents de l'étranger" ou accusés d'extrémisme.
Moscou est aussi passée à l'offensive sur le front numérique, multipliant les blocages de sites internet jugés dissidents et les amendes contre les géants de l'Internet qui ne suppriment pas des contenus liés à l'opposition.
Pour ses activités, Mémorial subit de longue date des pressions et a déjà payé un lourd tribut. En 2009, sa responsable en Tchétchénie Natalia Estemirova avait été kidnappée puis exécutée. L'un de ses historiens, Iouri Dmitriev, a été condamné lundi à 15 ans de prison pour une affaire "d'agression sexuelle" dénoncée comme un coup monté destiné à le punir pour ses recherches sur la terreur soviétique.
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afp/aps
Deux visions de l'histoire russe
Les ennuis de Mémorial illustrent l'affrontement entre deux visions de l'histoire russe, 30 ans après la dislocation de l'Union soviétique, qualifiée par Vladimir Poutine de "plus grande catastrophe géopolitique" du XXe siècle.
Fondée au crépuscule de l'URSS par des dissidents, dont le prix Nobel de la paix Andreï Sakharov, Mémorial avait pour mission de mettre en lumière les millions de victimes des crimes soviétiques.
Pour ses défenseurs, elle subit désormais la promotion de plus en plus accentuée par le Kremlin d'une vision de l'Histoire glorifiant la puissance de l'URSS et minimisant les dérives du stalinisme.
La CEDH demande à la Russie de faire machine arrière
La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a demandé mercredi à Moscou de "suspendre" la décision de dissoudre Mémorial, la principale organisation de défense des droits en Russie.
Saisie en vertu d'une procédure d'urgence par Mémorial, la CEDH, qui siège à Strasbourg, a appelé le gouvernement russe à suspendre cette décision le temps "nécessaire pour que la Cour examine la demande" de l'ONG.