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Les raisons de la lueur d’optimisme dans les discussions sur le nucléaire iranien

Les discussions sur le nucléaire iranien ont repris à Vienne. [AP - Majid Asgaripour]
Les discussions sur le nucléaire iranien ont repris à Vienne / Tout un monde / 6 min. / le 4 janvier 2022
Les discussions sur le nucléaire iranien ont repris à Vienne dans une ambiance optimiste. Les négociateurs tentent de sauver l'accord de 2015 qui limitait les activités nucléaires de Téhéran à des objectifs civils.

Cet accord avait été négocié à Lausanne. Le président américain Donald Trump l'avait déchiré en 2018. Les Américains, d'ailleurs, sont eux aussi présents à Vienne mais ils ne négocient pas directement avec les Iraniens. Les parties prenantes sont l'Union européenne, la Chine, la Russie et l'Iran.

L'enjeu, c'est la stabilité de la région et même au-delà. Il est très difficile de savoir où en sont les négociations, mais le climat est plutôt optimiste, parce que juste avant la Saint-Sylvestre, les Etats-Unis parlaient de progrès modestes. Le ministre iranien des Affaires étrangères estimait lui que les négociations étaient en bonne voie.

Demandes modérées

Cet optimisme "pourrait être lié au fait que l'Iran ait un peu modéré ses demandes", a expliqué mardi, Thierry Coville, spécialiste de l'Iran, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques, dans l'émission Tout un monde de la RTS. L'Iran reviendrait ainsi à la feuille de route établie en juin dernier, à savoir ne demander que la levée des sanctions liées directement au nucléaire.

Un point positif, c'est que du côté iranien, c'est vraiment les durs des durs qui négocient. Donc si on arrive à un accord, ils n'auront pas trop de mal à l'imposer à l'intérieur du pays.

Thierry Coville, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques

Le dossier avance donc à tout petit pas. On discute aujourd'hui du cadre de négociation, des objectifs à atteindre. On se met d'accord sur ce qui s'est dit jusqu'au printemps, juste avant le changement de gouvernement en Iran.

"Un point positif, c'est que du côté iranien, c'est vraiment les durs des durs qui négocient. Donc si on arrive à un accord, ils n'auront pas trop de mal à l'imposer à l'intérieur du pays", estime Thierry Coville. "Et compte tenu de l'ampleur de la crise économique et sociale en Iran, même si le pays joue le rapport de force, je pense que le pragmatisme joue."

Le pragmatisme face à une économie iranienne à terre, avec 38% de la population en dessous du seuil de pauvreté, précise Clément Therme, chargé de cours à l'université Paul Valéry de Montpellier. L'économie est étranglée par les sanctions américaines.

Urgence économique

"Il y a une urgence, pour la République islamique, à obtenir des concessions économiques, mais il faut présenter les concessions iraniennes comme un succès", développe Clément Therme.

"C'est là où il y a une difficulté: la position idéologique du gouvernement iranien est de dire qu'il n'y a pas de lien entre la situation économique interne et le processus de négociation qui se déroule à Vienne. Alors qu'il y a un lien, puisque l'état de l'économie est en partie lié aux sanctions économiques américaines."

L'un des défis de la négociation consiste à aller au-delà de l'accord original, car celui-ci s'appliquait à la réalité de 2015, et pas à celle de 2021.

Clément Therme, chargé de cours à l'université Paul Valéry de Montpellier

Et du côté des Occidentaux aussi, il y a une forme d’urgence. "Ces progrès sont beaucoup trop lents", a nuancé le porte-parole du Département d'Etat américain fin décembre. On approche, selon les négociateurs européens, du point où l'escalade nucléaire iranienne aura vidé le traité de sa substance, parce qu'il arrivera trop tard.

"Ce qui inquiète les observateurs, c'est que le programme nucléaire iranien continue, et avec 60% d'enrichissement de l'uranium, ils sont proches des 90% qui est l'échelle militaire", analyse Thierry Coville.

La situation a changé

La situation nucléaire de l'Iran d'aujourd'hui n'est pas la même qu'en 2015, comme le souligne Clément Therme: "Il y a eu des recherches et des centrifugeuses de nouvelle génération qui ont été installées, des progrès technologiques qui ont été effectués, et donc, on ne peut pas revenir au statu quo ante. L'un des défis de la négociation consiste donc à aller au-delà de l'accord original, car celui-ci s'appliquait à la réalité de 2015, et pas à celle de 2021."

Et il faut compter avec toutes les difficultés diplomatiques: qui, le premier, fera des concessions? Les Iraniens sur la surenchère nucléaire, ou les Américains sur le front des sanctions? Et aussi: quelles sanctions lever? Celles qui portent seulement sur le nucléaire, ou davantage?

Menaces iraniennes

Des manifestants crient vengeance après la mort du général iranien Qassem Soleimani à Magam dans la région du Kashmir. [AP Photo/Keystone - Mukhtar Khan]
Des manifestants crient vengeance après la mort du général iranien Qassem Soleimani à Magam dans la région du Kashmir. [AP Photo/Keystone - Mukhtar Khan]

Et puis en pleines négociations de Vienne, des commémorations se tiennent à Téhéran, deux ans après la mort du général Qassem Soleimani. Un général qui était plus qu’un militaire, il était sans doute le numéro trois du régime à l'époque, précise Thierry Coville. Il avait été tué par un drone américain alors qu'il visitait Bagdad. Lundi, lors des commémorations, le président iranien a menacé d'anciens dirigeants américains, dont Donald Trump, de vengeance pour la mort du général iranien.

Des commémorations qui sont aussi, pour les autorités, une façon, de présenter l’Iran comme une victime de la politique américaine. Une façon aussi de contenir la pression populaire en Iran, de calmer les ardeurs ceux dans le pays qui sont favorables à une normalisation des relations avec les Etats-Unis. "C'est une manière de jouer sur la corde du nationalisme iranien, qui reste un élément fort", relève Thierry Coville.

Les négociations se poursuivent à Vienne. Mais pour combien de temps avant un potentiel accord? Le point positif, c'est que les parties sont à la table des négociations. Et "on ne voit pas bien quel serait le plan B", souligne Thierry Coville. "Les deux parties ont intérêt à ce que les discussions aboutissent".

Sujet radio: Blandine Levite

Adaptation web: Jean-Philippe Rutz

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Les membres du Conseil de sécurité veulent éviter une course à l'armement

Les cinq membres du Conseil de sécurité de l'ONU se sont engagés lundi à prévenir une guerre nucléaire. La Chine, les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni et la France ont publié une déclaration commune appelant à éviter une course aux armements.

"Evidemment ce n'est que du déclaratoire, mais le déclaratoire a toutefois un effet normatif, peut-être sur le long terme et difficilement mesurable, mais le fait que les Etats s'entendent sur cette formulation est une chose importante", explique mercredi dans Tout un monde Tiphaine de Champchesnel, chercheuse à l'IRSEM, l'intitut de recherche stratégique de l'école militaire.

>> L'interview complète de Tiphaine de Champchesnel dans Tout un monde :

Un sous-marin capable de lancer un missile balistique testé en 2021 par la Corée du Sud. [AFP - EyePress News]AFP - EyePress News
L’équilibre nucléaire global: interview de Tiphaine de Champchesnel / Tout un monde / 8 min. / le 5 janvier 2022