Publié

Les Etats-Unis et la Russie entament des pourparlers "compliqués" à Genève

Vifs échanges à propos de l'Ukraine entre Russes et Américains à la veille des pourparlers officiels à Genève.
Vifs échanges à propos de l'Ukraine entre Russes et Américains à la veille des pourparlers officiels à Genève. / 19h30 / 2 min. / le 9 janvier 2022
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères a déclaré avoir eu une discussion "compliquée" dimanche soir avec son homologue américaine. Cela marque le début d'une semaine diplomatique à haut risque pour tenter de désamorcer la crise explosive qui se joue autour de l'Ukraine.

"La discussion a été compliquée, elle ne pouvait pas être simple", a dit le vice-ministre russe Sergueï Riabkov, cité par l'agence Interfax, après un dîner de travail de deux heures à Genève avec la secrétaire d'Etat adjointe Wendy Sherman.

Sergueï Riabkov a qualifié la discussion de "sérieuse". Une journée de négociations doit suivre lundi. "Je pense que demain nous ne perdrons pas notre temps", a ajouté le Russe. Les Etats-Unis et la Russie se sont fermement positionnés avant ces négociations. Washington a prévenu d'un risque de "confrontation" et Moscou a exclu toute concession.

Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken a pressé la Russie d'éviter une nouvelle "agression de l'Ukraine" et de choisir la voie diplomatique, tandis que le Kremlin, sous pression pour retirer ses troupes de la frontière ukrainienne, demande aux Occidentaux des garanties sur la sécurité en Europe, dont celle que l'OTAN ne s'étendra pas plus à l'Est.

Durant le dîner de travail, Wendy Sherman "a souligné le soutien des Etats-Unis aux principes internationaux de souveraineté, d'intégrité territoriale, et à la liberté des pays souverains de choisir leurs propres alliances", selon un communiqué du département d'Etat américain.

>> L'interview dans Forum de Sylvie Bermann, diplomate, ambassadrice de France en Russie de 2017 à 2019 :

Rencontre entre les États-Unis et la Russie: interview de Sylvie Bermann
Rencontre entre les États-Unis et la Russie: interview de Sylvie Bermann / Forum / 6 min. / le 9 janvier 2022

Sanctions "massives"

Les Occidentaux et Kiev accusent les Russes d'avoir massé près de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne en vue d'une potentielle invasion, et ont menacé le président russe Vladimir Poutine de sanctions "massives" et sans précédent s'il attaquait à nouveau le pays voisin.

Des mesures qui pourraient aller jusqu'à couper la Russie des rouages de la finance mondiale ou à empêcher l'entrée en fonctions du gazoduc Nord Stream 2 cher au Kremlin. Objectif: montrer qu'ils sont plus déterminés cette fois qu'en 2014, lorsque Moscou a annexé la Crimée ukrainienne sans que l'alliance américano-européenne ne parvienne à lui faire faire marche arrière.

Le président Poutine, qui s'est entretenu à deux reprises avec son homologue américain Joe Biden depuis le début de cette nouvelle crise, a prévenu que de nouvelles sanctions seraient une "erreur colossale" et a menacé à son tour d'une réponse "militaire et technique" en cas "de maintien de la ligne très clairement agressive" de ses rivaux.

Exigences "inacceptables"

Surtout, il a imposé et obtenu d'élargir le dialogue à plusieurs de ses exigences, pourtant vues comme autant de lignes rouges par l'Occident. Car le Kremlin affirme que c'est l'Occident qui provoque la Russie en stationnant des militaires à ses portes ou en armant les soldats ukrainiens qui combattent des séparatistes prorusses dans le Donbass, dans l'est de l'Ukraine.

Il réclame donc un grand traité excluant l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN et le retrait des soldats américains des pays les plus orientaux de l'Alliance atlantique. Or, non seulement les Américains assurent ne pas être prêts à réduire leurs effectifs en Pologne ou dans les pays baltes, mais ils menacent au contraire de les renforcer si les Russes passent à l'offensive.

"Le risque d'un nouveau conflit est réel", a prévenu vendredi le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg. "Cela fait certainement partie de leur stratégie de présenter une liste d'exigences absolument irrecevables et ensuite prétendre que l'autre camp ne joue pas le jeu et utiliser cela comme une justification pour une agression", a renchéri Antony Blinken.

>> Les précisions d'Annabelle Durand dans le 19h30 :

Situation en Ukraine : les explications d'Annabelle Durand journaliste à la RTS.
Situation en Ukraine : les explications d'Annabelle Durand journaliste à la RTS. / 19h30 / 1 min. / le 9 janvier 2022

L'Europe veut participer

Pour John Herbst, ex-ambassadeur américain en Ukraine, le déploiement militaire russe est un "gigantesque bluff" de Vladimir Poutine pour décrocher des concessions. "Tant que l'administration Biden reste au moins aussi ferme qu'actuellement", a dit cet expert du cercle de réflexion Atlantic Council, "cela devrait suffire à retenir Poutine d'envahir l'Ukraine, mais je n'exclus pas une opération plus limitée".

Au-delà de la crise ukrainienne, Washington espère profiter des pourparlers pour remettre sur les rails les relations américano-russes, au plus bas depuis la fin de la Guerre froide. Et peut-être obtenir des progrès sur d'autres dossiers, comme le désarmement.

Mais de Paris à Berlin en passant par Bruxelles, les appels se sont multipliés pour faire une vraie place à la table des négociations aux pays du Vieux Continent, et notamment l'Union européenne, face au Kremlin qui semble vouloir privilégier le tête-à-tête russo-américain. Un test pour les Etats-Unis de Joe Biden, qui, malgré les promesses de concertation, ont échaudé leurs alliés européens en donnant l'impression de faire cavalier seul sur l'Afghanistan ou la stratégie anti-Chine.

ats/gma

Publié

Une proximité géopolitique ineffaçable entre la Russie et l'Ukraine

Invité lundi dans La Matinale de la RTS, le spécialiste de l'Ukraine Eric Aunoble est revenu sur la très vive tension à frontière russo-ukrainienne. "Historiquement, le voisin ukrainien faisait partie de l'empire tsariste avant la révolution de 1917, puis a été intégré à l'Union soviétique après la révolution. Il y a donc une proximité géopolitique à laquelle personne ne pourra jamais rien", souligne l'historien et chargé de cours à l'Université de Genève.

Il rappelle aussi que, lorsque Mikhaïl Gorbatchev avait accepté que Moscou cesse d'intervenir dans les affaires intérieures des anciennes républiques soviétiques, c'était en échange de garanties occidentales sur le fait qu'il n'y ait pas d'extension de l'Otan. "Or, Mikhaïl Gorbatchev, qui n'est pas connu pour être un nationaliste russe enragé, soutient la politique de Vladimir Poutine depuis 2014, car il considère que les promesses faites en 1990 n'ont pas été respectées par les Occidentaux", pointe l'historien.

Mikhaïl Gorbatchev soutient la politique de Vladimir Poutine depuis 2014, car il considère que les promesses faites en 1990 n'ont pas été respectées par les Occidentaux

Eric Aunoble, historien spécialiste de l'Ukraine, chargé de cours à l'Université de Genève

Il se peut aussi que Vladimir Poutine joue volontairement la carte identitaire vis-à-vis de sa propre population afin de faire oublier les problèmes économiques qui touchent le pays. "L'annexion de la Crimée, en 2014, avait déjà été un moyen de relancer sa popularité. Ce qu'on peut craindre là, c'est que tout ce discours identitaire autour de l'Ukraine soit aussi un moyen de gagner une popularité à l'intérieur", analyse Eric Aunoble.

Pas de troupes américaines sur le front ukrainien

Des deux côtés de la frontière, les dirigeants politiques sont dans des situations "où ils n'ont pas trop le choix", observe-t-il: ayant déçu sur leur programme politique, ils doivent regagner en popularité en tenant une ligne ferme.

Si les tensions devaient dégénérer en guerre ouverte, Eric Aunoble penche pour une implication directe des Etats-Unis restant limitée. "Personne ne parle d'envoi de troupes sur le sol ukrainien. Au maximum, ce serait l'envoi d'armes. On est un peu dans du discours, histoire d'essayer de marquer, sans être obligés de mettre des moyens sur le terrain".

>> Ecouter l'interview d'Eric Aunoble dans La Matinale :

Eric Aunoble commente la rencontre entre Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève (vidéo)
Eric Aunoble commente la rencontre entre Vladimir Poutine et Joe Biden à Genève (vidéo) / La Matinale / 7 min. / le 10 janvier 2022

Propos recueillis par Romaine Morard
Adaptation web: Vincent Cherpillod