La secrétaire d'Etat adjointe Wendy Sherman a assuré que la délégation américaine avait rejeté sans l'ombre d'une ambiguïté les propositions russes visant à empêcher l'adhésion de nouveaux pays à l'OTAN, une préoccupation brandie par Moscou pour justifier d'avoir massé des troupes à la frontière avec l'Ukraine depuis plusieurs mois.
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Huit heures d'échanges
Evoquant huit heures d'échanges "francs et directs" avec le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov, la responsable de l'administration Biden s'est dite prête à discuter rapidement et plus en profondeur des questions bilatérales, mais à condition que Moscou entre dans une logique de désescalade.
"La Russie peut en apporter la preuve en renvoyant ses troupes dans leurs casernes", a-t-elle dit pendant une conférence de presse.
"La Russie ne menace personne"
Sergueï Riabkov a affirmé de son côté que la Russie ne "menace personne", ne "lance pas d'ultimatum", assurant qu'il est dans l'intérêt de l'Alliance atlantique de "faire un geste" pour répondre aux préoccupations de Moscou. "Si cela ne se produit pas, ce serait une erreur de la part de l'OTAN et cela porterait atteinte à sa propre sécurité", a-t-il mis en garde.
Jugeant néanmoins "possible" un accord avec les Etats-Unis, malgré des positions "aux antipodes sur ce qu'il faut faire", il a souligné que cela nécessiterait des compromis et un respect par les deux pays de leurs intérêts mutuels.
Semaine diplomatique intense
C'est la troisième fois que Wendy Sherman et Sergueï Riabkov se rencontraient à Genève depuis le sommet entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain Joe Biden en juin 2021 au bord du Léman. Cette troisième rencontre lance une semaine diplomatique intense sur la crise explosive autour de l'Ukraine.
Outre les discussions américano-russes à Genève lundi, une réunion OTAN-Russie est prévue mercredi à Bruxelles, puis une rencontre jeudi à Vienne de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour inclure les Européens, qui redoutent d'être marginalisés.
Sanctions "massives"
Cette session extraordinaire à Genève avait lieu alors que les Occidentaux et Kiev accusent les Russes d'avoir massé près de 100'000 soldats à la frontière ukrainienne en vue d'une potentielle invasion et ont menacé le président russe Vladimir Poutine de sanctions "massives" et sans précédent s'il attaquait à nouveau le pays voisin.
Des mesures qui pourraient aller jusqu'à couper la Russie des rouages de la finance mondiale ou à empêcher l'entrée en fonctions du gazoduc Nord Stream 2 cher au Kremlin. Objectif: montrer qu'ils sont plus déterminés cette fois qu'en 2014, lorsque Moscou a annexé la Crimée ukrainienne sans que l'alliance américano-européenne ne parvienne à lui faire faire marche arrière.
Moscou, comme Washington, espère aussi progresser dans les discussions sur le contrôle des armements entre les deux puissances atomiques. Après l'accord conclu il y a un an pour prolonger de cinq ans le traité New Start de limitation des arsenaux nucléaires, Washington s'est dit prêt à d'autres mesures - à condition, encore une fois, que Moscou retire d'abord ses troupes de la frontière ukrainienne.
Avertissements de l'OTAN
En marge de ces pourparlers, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a averti que l'Ukraine a "le droit de se défendre" et si la Russie décide de recourir à la force, elle aura "un coût important à payer". Il s'exprimait avant une réunion de la Commission OTAN-Ukraine avec la vice-Première ministre ukrainienne, Olga Stefanichyna.
Nous devons nous préparer à ce que la Russie, une fois de plus, choisisse la confrontation plutôt que la coopération
"Nous devons arriver à une résolution politique, éviter un conflit armé. Mais nous devons nous préparer à ce que la Russie, une fois de plus, choisisse d'utiliser la force armée, choisisse la confrontation plutôt que la coopération", a-t-il dit. Et d'enchaîner: "nous devons aussi envoyer un message très clair à la Russie que nous sommes unis et qu'il y aura des coûts sévères".
Et du côté de l'Ukraine où la guerre dure depuis huit ans dans l'est du pays, ces discussions sont suivies avec un oeil à la fois attentif mais aussi sceptique. Mais on ne se fait pas d'illusions, comme l'explique au micro du 12h30 le commandant Santa, qui est un personnage emblématique des bataillons de volontaires ukrainiens.
"Ces pourparlers-là, c’est comme si je proposais de jouer aux échecs à des tricheurs. Pendant toutes ces années de guerre, la Russie n’a jamais respecté aucun de ses engagements", déplore-t-il.
jpr/fgn avec les agences
Une proximité géopolitique ineffaçable entre la Russie et l'Ukraine
Invité lundi dans La Matinale de la RTS, le spécialiste de l'Ukraine Eric Aunoble est revenu sur la très vive tension à frontière russo-ukrainienne. "Historiquement, le voisin ukrainien faisait partie de l'empire tsariste avant la révolution de 1917, puis a été intégré à l'Union soviétique après la révolution. Il y a donc une proximité géopolitique à laquelle personne ne pourra jamais rien", souligne l'historien et chargé de cours à l'Université de Genève.
Il rappelle aussi que, lorsque Mikhaïl Gorbatchev avait accepté que Moscou cesse d'intervenir dans les affaires intérieures des anciennes républiques soviétiques, c'était en échange de garanties occidentales sur le fait qu'il n'y ait pas d'extension de l'Otan. "Or, Mikhaïl Gorbatchev, qui n'est pas connu pour être un nationaliste russe enragé, soutient la politique de Vladimir Poutine depuis 2014, car il considère que les promesses faites en 1990 n'ont pas été respectées par les Occidentaux", pointe l'historien.
Mikhaïl Gorbatchev soutient la politique de Vladimir Poutine depuis 2014, car il considère que les promesses faites en 1990 n'ont pas été respectées par les Occidentaux
Il se peut aussi que Vladimir Poutine joue volontairement la carte identitaire vis-à-vis de sa propre population afin de faire oublier les problèmes économiques qui touchent le pays. "L'annexion de la Crimée, en 2014, avait déjà été un moyen de relancer sa popularité. Ce qu'on peut craindre là, c'est que tout ce discours identitaire autour de l'Ukraine soit aussi un moyen de gagner une popularité à l'intérieur", analyse Eric Aunoble.
Pas de troupes américaines sur le front ukrainien
Des deux côtés de la frontière, les dirigeants politiques sont dans des situations "où ils n'ont pas trop le choix", observe-t-il: ayant déçu sur leur programme politique, ils doivent regagner en popularité en tenant une ligne ferme.
Si les tensions devaient dégénérer en guerre ouverte, Eric Aunoble penche pour une implication directe des Etats-Unis restant limitée. "Personne ne parle d'envoi de troupes sur le sol ukrainien. Au maximum, ce serait l'envoi d'armes. On est un peu dans du discours, histoire d'essayer de marquer, sans être obligés de mettre des moyens sur le terrain".
Genève à nouveau au coeur de la diplomatie mondiale
Même si cet événement de moindre envergure n'exige cette fois la fermeture d'aucune rue, ces pourparlers organisés à Genève sont un nouveau succès diplomatique pour la Suisse. Pour Serge Dal Busco, président du Conseil d'Etat genevois, il s'agit d'un événement marquant pour la Genève internationale, la replaçant encore au centre de la diplomatie mondiale.
"Force est de constater que lorsque les grands de ce monde ont envie de discuter, ils choisissent Genève. Et cette spécificité de la neutralité suisse prend une valeur très élevée. Et je pense que ça va renforcer le pôle international de Genève", souligne-t-il lundi dans La Matinale.
Sans compter que, comme l'explique Nicolas Bideau, directeur de Présence Suisse, l'intérêt médiatique pour ce genre de rencontres étant plus fort qu'auparavant, la visibilité de la Suisse en sortira renforcée.
"L'image de la Suisse existe au travers de ses produits d'exportation classiques, comme le luxe qu'on connaît bien. Mais il y a aussi la neutralité et la Suisse de l'humanitaire. Ces aspects étaient moins forts ces vingt dernières années. Aujourd'hui ça diversifie notre image par rapport aux grands classiques", se réjouit-il.