Trois milliards et demi de personnes, soit presque la moitié de la population mondiale, se connectent chaque mois sur Facebook, WhatsApp, Instagram ou encore Messenger. Ces quatre plateformes numériques ont permis à la société Meta (anciennement Facebook Inc.), dirigée par Mark Zuckerberg, d'engranger des bénéfices record - 9,2 milliards de dollars au troisième trimestre 2021. Mais le géant américain se voit aussi concurrencé par des nouveaux venus comme le réseau social chinois TikTok, au succès grandissant auprès des plus jeunes. Depuis 2020, c'est l'application la plus téléchargée au monde.
Une concurrence qui n'avait pas été anticipée, selon Anouch Seydtaghia, journaliste au Temps et invité de l'émission Géopolitis. "C'était une très grande surprise que TikTok émerge ainsi, avec près d'un milliard d'utilisateurs", explique ce spécialiste des nouvelles technologies. "Mais il y a encore un potentiel immense pour le groupe Meta pour capter de nouveaux utilisateurs, pour lancer de nouveaux services." Un potentiel de développement qui devrait permettre à Facebook de rester largement devant TikTok.
Les promesses du métavers
C'est sur le métavers que mise Mark Zuckerberg pour conquérir de nouveaux utilisateurs et de nouveaux marchés. Le métavers, c'est un univers virtuel en trois dimensions, fictif et interactif. Grâce à des lunettes ou des casques connectés, les utilisateurs pourront participer à des conférences, des concerts virtuels, ou rencontrer d'autres utilisateurs, connectés à l'autre bout du monde. Avec Horizon Worlds, Meta a mis en ligne une première version de démonstration de son monde virtuel, mais cette technologie ne devrait pas être opérationnelle avant plusieurs années.
Pour Anouch Seydtaghia, le métavers va permettre de créer un monde virtuel mais aussi de le contrôler. "En fixant ses propres règles, en déposant ses propres brevets, comme ceux déposés par Facebook pour la couleur de peau des avatars par exemple, il y aura une maîtrise totale de cet univers, des transactions qui y sont faites et évidemment de toutes les données des utilisateurs", souligne le journaliste.
Contre-attaque des Etats
Mais les ambitions de croissance de Meta, comme celles d'autres géants américains, pourraient être freinées par la volonté de plus en plus marquée des Etats de poser des limites plus strictes aux réseaux sociaux les plus importants. Facebook, Instagram, mais aussi Youtube ou Twitter sont accusés de propager fausses informations et théories du complot, d'offrir une caisse de résonance aux contenus haineux ou encore de nuire à la santé psychique des plus jeunes. L'offensive la plus ambitieuse vient de l'Union européenne, qui a lancé deux projets de régulation pour empêcher que les géants du numérique n'abusent de leur position dominante et pour renforcer la lutte contre les contenus illégaux, comme l'apologie du terrorisme, le harcèlement en ligne ou les discours discriminatoires.
Plusieurs textes sont aussi sur la table aux Etats-Unis, notamment dans le cadre de la régulation antitrust ou de la protection des mineurs. Cet automne, les révélations de la lanceuse d’alerte et ancienne employée de Facebook Frances Haugen ont apporté un nouvel éclairage sur les pratiques des réseaux sociaux et sur les moyens qu'ils mettent en oeuvre pour modérer les contenus sur leurs plateformes.
Selon Frances Haugen, son ancien employeur était conscient des effets potentiellement néfastes de ses réseaux sociaux sur la santé psychique des mineurs. Elle lui reproche aussi de ne pas avoir déployé les moyens nécessaires pour empêcher la radicalisation de certains supporters de Donald Trump sur Facebook, avant l'attaque du Capitole, en janvier 2021. Ce ne sont que les derniers scandales en date aux Etats-Unis. Facebook était aussi au coeur de l'affaire Cambridge Analytica, du nom de la société à qui le réseau social avait vendu les données de millions d'utilisateurs. Ces données avaient été utilisées pour tenter d'influencer les électeurs américains lors de la présidentielle de 2016.
L'impasse américaine
Les élus de tous bords font monter la pression sur les patrons des grandes entreprises du numérique, sommés de s'expliquer sur leurs pratiques. Mais républicains et démocrates n'arrivent pas à s'entendre sur les mesures concrètes à adopter. Paradoxalement, les Etats-Unis n'auraient pas forcément avantage à trop cadrer leurs géants de la tech. "Facebook est un champion national et mondial pour les États-Unis, relève Anouch Seydtaghia. Ils n'ont pas trop d'intérêt à l'affaiblir par rapport à des concurrents comme TikTok ou d'autres réseaux qui pourraient émerger dans d'autres pays." Donald Trump avait d'ailleurs très clairement ciblé TikTok dans le bras de fer qu'il avait engagé avec Pékin. En 2020, il avait menacé d'interdire l'application aux Etats-Unis, l'accusant d'être un outil d'espionnage au service du pouvoir chinois.
De leur côté, les géants du numérique font la promotion de leurs initiatives d'auto-régulation. Youtube, propriété de Google, a retiré plus de 130'000 vidéos de désinformation sur les vaccins contre le Covid, en un an. Instagram a mis en pause son projet de réseau social pour les moins de 13 ans et promet une meilleure protection des adolescents. Facebook a créé sa propre "Cour suprême", à laquelle peuvent s’adresser les utilisateurs qui contestent les décisions de la plateforme. Ce groupe d’experts a d’ailleurs confirmé l’exclusion de Donald Trump du réseau social, à la suite de l'attaque du Capitole, en janvier 2021. Facebook affirme aussi avoir désactivé plus de 5 milliards de faux comptes en 2020. Mais pour Anouch Seydtaghia, "c'est juste une goutte d'eau par rapport à ce qui devrait être fait. C'est énormément de travail de communication de la part de ces réseaux sociaux pour dire : 'Regardez! On fait quelque chose. Ne nous régulez pas.' Mais c'est quelque chose de vraiment insignifiant."
Elsa Anghinolfi