L'histoire ukrainienne est imbriquée au grand récit russe depuis plusieurs siècles. Au milieu du 18e siècle, l'impératrice Catherine II prend possession d'une grande partie du territoire ukrainien actuel, à l'exception de la Galacie, dans l'ouest du pays, qui sera cédée à l'Autriche.
A l'invitation de l'impératrice, les grandes steppes du sud sont alors colonisées par des paysans venus de toute la Russie mais aussi d'Allemagne et des Pays-Bas. Le territoire consolide alors son rôle de poumon économique de l'empire mais aussi et surtout de grenier à blé de l'Europe et de la Russie.
Une brève indépendance et le rattachement à l'URSS
A la faveur des révolutions russes de février et d'octobre 1917, l'Ukraine proclame son indépendance et sa séparation de la Russie. Dans les faits pourtant, les autorités ukrainiennes ne parviennent pas réellement à maîtriser le territoire, envahi d'abord par les troupes allemandes puis devenu le champ d'affrontement entre l'armée rouge, les Russes blancs, restés fidèles à l'empire tsariste, et les forces françaises et britanniques.
Par manque de moyens, les troupes anglo-françaises se retirent en 1919 et, dans les mois qui suivent, les bolchéviques l'emportent. L'Ukraine est à nouveau conquise et devient partie intégrante de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), créée en 1922.
L'Ukraine communiste
Dès lors, et à l'exception la période d'occupation de l'Allemagne nazie entre 1941 et 1943, l'Ukraine restera membre à part entière du bloc soviétique jusqu'au démantèlement final de celui-ci en 1991.
Durant ces décennies, la république socialiste d'Ukraine est livrée au bon vouloir des autorités de Moscou. Sous Joseph Staline, la collectivisation des terres à marche forcée, associée à une mauvaise récolte, engendre une famine sans précédent entre 1931 et 1932, qui fera entre 3 et 7 millions de morts. Un drame qui reste encore dans la conscience de nombreux Ukrainiens et qui est désormais considéré par les autorités du pays comme un génocide.
Comme dans les autres républiques, l'Ukraine est aussi traversée par de nombreuses campagnes de "russification" voulues par le Kremlin. Moscou décide en effet de pousser à l'apprentissage du russe, en lieu et place de l'ukrainien. Une décision qui impacte fortement certaines populations de l'ouest du pays, alors qu'à l'est et dans la partie centrale du territoire, la langue russe est perçue depuis longtemps comme un gage d'ascension sociale.
Pour le pouvoir russe, l'Ukraine est néanmoins considérée comme la pièce maîtresse du bloc soviétique. Après la grande famine, la république redevient peu à peu le grenier à blé de l'URSS. Elle gardera aussi un rôle central dans l'industrie soviétique, notamment en ce qui concerne la production d'acier et de charbon.
La fin de l'URSS et l'avancée de l'OTAN
La chute du mur de Berlin au mois de novembre 1989 et l'éclatement final de l'URSS en 1991 rebattent les cartes. Les républiques socialistes soviétiques gagnent leur indépendance. L'Ukraine devient un Etat souverain le 24 août 1991.
La nouvelle fédération de Russie entre quant à elle dans des années noires, essuyant une crise économique et politique sans précédent. N'ayant plus les moyens de ses ambitions, Moscou se résout à reconnaître l'intégrité territoriale des ex-républiques. Elle réussit cependant à négocier en contrepartie l'abandon par Kiev de son arsenal nucléaire.
Les années qui suivent voient toutefois les inquiétudes monter à Moscou. En effet, alors que Mikhaïl Gorbatchev, dirigeant de l'URSS de 1985 à 1991, avait obtenu l'assurance que l'OTAN ne s'étendrait pas à l'est, l'élargissement de l'alliance militaire prend peu à peu forme. Ainsi, en 1999, les demandes d'adhésion de la République Tchèque, de la Pologne et de la Hongrie sont acceptées.
>> Lire aussi : Podcast – Est-ce que l'Ukraine est vraiment au bord d'un conflit armé?
En 2004, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie rejoignent à leur tour l'alliance. En 2009, c'est au tour de l'Albanie et de la Croatie. Enfin, en 2017 et en 2020, du Monténégro et de la Macédoine du Nord.
En Russie, l'impression d'un véritable encerclement de la part des forces occidentales est de plus en plus partagée. La classe politique s'insurge et dénonce une volonté de nuire aux intérêts sécuritaires russes. Elle omet toutefois de préciser que ces adhésions se font à la demande de pays souverains, qui souhaitent justement être militairement protégés de la Russie.
L'Ukraine, la ligne rouge
Mais si Moscou semble avoir compris que son influence sur la Pologne, la République Tchèque ou encore l'Estonie était de l'histoire ancienne, il n'en va pas de même pour l'Ukraine.
Après la dissolution de l'URSS, la Fédération de Russie a certes reconnu l'intégrité territoriale ukrainienne mais n'a jamais renoncé à garder un rôle prépondérant dans la région. C'est donc d'un très mauvais oeil qu'elle a vu l'Ukraine vouloir se rapprocher de plus en plus de l'Union européenne.
Cette volonté s'est matérialisée une première fois de manière très concrète lors de l'élection au poste de président de Viktor Iouchtchenko en 2005. Ce dernier, jouant la carte du libéralisme et des valeurs européennes, a pu compter sur l'appui des électeurs, principalement dans l'ouest du pays. Au contraire, son score a été beaucoup plus faible dans le Donbass, dans l'est et le sud du pays, où les votants ont favorisé Viktor Ianoukovytch, ex-Premier ministre et candidat pro-russe. Une ligne de démarcation politique claire qui ne tardera pas à devenir militaire.
Car en 2010, c'est bien Viktor Ianoukovytch qui accède à la présidence. Outre sa gestion de l'économie considérée comme erratique, le renforcement du pouvoir présidentiel, le rapprochement avec Moscou et la suspension de l'accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne provoquent un mouvement de contestation sans précédent au mois de février 2014. Ce dernier se transformera en révolution et finira par le pousser à l'exil.
C'est dans ce contexte qu'éclate la guerre civile du Donbass, qui continue actuellement d'être un conflit de basse intensité. Les populations ukrainiennes de l'Est ainsi que celles de Crimée (Sud) refusant la légitimité de ce nouveau pouvoir et dénonçant un coup d'Etat.
Moscou n'aura alors de cesse de soutenir de manière officieuse ces forces séparatistes pro-russes. Un soutien qui aboutira à l'invasion et au rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie en 2014.
La situation actuelle
Mais si la situation restait tendue depuis plusieurs années, les dernières semaines ont dévoilé une nouvelle dégradation, avec des troupes russes présentes en nombre aux frontières et la menace d'une invasion.
Les raisons qui expliquent la temporalité de cette mobilisation restent encore difficiles à éclaircir mais Vladimir Poutine s'est évertué à mettre publiquement sur le table ses revendications. Le locataire du Kremlin demande un engagement officiel à ne jamais faire entrer l'Ukraine dans l'Otan. Une demande rejetée par les Etats-Unis au grand dam de Moscou.
Pour la plupart des experts, il reste également compliqué de pronostiquer si les troupes russes franchiront réellement la frontière ou s'il ne s'agit là que d'un grand coup de bluff. Une invasion de toute l'Ukraine paraît par ailleurs inenvisageable tant la Russie est impopulaire à Kiev et dans la partie occidentale du pays. Un scénario plus réaliste serait celui d'une annexion du Donbass, où la population est beaucoup plus favorable à Moscou. Mais là encore, les conséquences pourraient s'avérer terribles pour le Kremlin. Déjà lourdement sanctionnée après la reprise de la Crimée, la Russie pourrait essuyer de nouvelles sanctions sans précédent et même ne plus être autorisée à faire des échanges en dollars, ce qui serait un coup extrêmement dur pour son économie.
>> Lire également : Les Etats-Unis ont remis leur réponse à la Russie sur l'Ukraine, les négociations continuent
D'un autre côté, la crainte de voir l'Ukraine rejoindre l'Otan et d'avoir un jour potentiellement des armes nucléaires à ses frontières est vue par Vladimir Poutine comme une menace existentielle. L'histoire qui lie la Russie à l'Ukraine est aussi singulière et permet au Kremlin de défendre sa vision nationaliste. Pour Vladimir Poutine, accepter de perdre ce lien et cette influence avec ce grand voisin slave n'apparaît pas acceptable.
C'est donc un jeu géopolitique à plusieurs bandes qui s'est engagé en Ukraine. Le pays est divisé, avec un camp pro-occidental et un camp pro-russe. Moscou cherche quant à elle à garder tout ou partie du pays dans son giron d'influence. Aux Etats-Unis enfin, le soutien à l'Ukraine est interpartis mais peu à Washington semblent réellement prêts à se lancer dans une nouvelle guerre pour protéger l'Ukraine. Les moyens nécessaires pour stopper une invasion russe pourraient s'avérer gigantesques et avoir un impact direct sur le redéploiement militaire américain voulu en Asie pour contrer la menace chinoise.
Tout le monde semble au final avoir ici beaucoup à perdre. Les négociations devraient donc selon toute vraisemblance se poursuivre dans les prochains jours, sans toutefois aucune garantie de succès.
Tristan Hertig