"La situation au Xinjiang représente le plus grand internement de masse d’une minorité ethnoreligieuse depuis l’Holocauste. Cependant, ce ne sont pas des camps d’extermination de masse au sens des chambres à gaz. Au sens d’Auschwitz. Néanmoins, la comparaison est pertinente en ce qui concerne l’ampleur, la méthodologie sophistiquée avec laquelle ce crime contre les droits de l’homme est perpétré." Lorsque l’anthropologue allemand Adrian Zenz fait cette déclaration, il pèse chacun de ses mots. Son enquête et les témoignages d’anciens détenus ou employés de ces centres mettent en lumière ce qu’il se passe sur le territoire du pays organisateur des prochains Jeux olympiques qui auront lieu du 4 au 20 février prochains.
Depuis 2014, le régime communiste impose un secret absolu sur les actions qu’il mène vis-à-vis des Ouïghours. La région du Xinjiang est ainsi devenue un trou noir de l’information. Malgré cela, les accusations se multiplient, se basant sur des fuites de documents officiels, des images et de nombreux témoignages.
>> Voir le documentaire "Chine: le drame ouïghour":
Chine : le drame ouïghour
Des élèves enchaînés
La Chine nie l’existence de camps de rééducation. Elle reconnaît uniquement la construction de centres de formation professionnelle pour lutter contre l’extrémisme par l’éducation.
S’il s’agit d’un virus idéologique, il n’est pas impossible qu’on vous envoie dans un certain endroit pendant un certain temps où vous l’on dispensera un enseignement idéologique tout en vous formant à un travail.
"Si l’on compare le terrorisme à un virus, nous devons découvrir qui est porteur du virus. Nous n’allons pas les tuer mais les placer en quarantaine, explique Shen Dingli, universitaire et conseiller du gouvernement, "il faut leur donner un traitement gratuit sur place pour qu’il puisse se rétablir rapidement. Mais s’il s’agit d’un virus idéologique, il est plus difficile de savoir qui en est infecté. Que faut-il faire alors ? Et bien, il n’est pas impossible qu’on vous envoie dans un certain endroit pendant un certain temps où vous l’on dispensera un enseignement idéologique tout en vous formant à un travail."
Dans le documentaire, cette idéologie soutenue par de nombreux intellectuels chinois de l’ethnie Han se confronte aux témoignages de celles et ceux qui doivent l’appliquer ou la subissent. Kalbinur Sidik a été enseignante de chinois dans la ville d'Ouroumtsi. Membre loyal et exemplaire du parti, elle est réquisitionnée en 2017 pour enseigner dans l’un des centres de formation professionnelle.
Mes 97 élèves étaient enchaînés. Ils portaient un numéro. Nous avions l'interdiction de les appeler par leur prénom.
"Le site était entouré de hauts murs et de fils barbelés. Nous avons passé trois portiques de sécurité. Lorsque je suis entrée dans la salle, les gardiens ont crié en chinois: les cours commencent! Les portes des cellules se sont ouvertes et les élèves sont sortis. Ils avaient des chaînes aux pieds et aux mains! Je les ai comptés, il y en avait 97 et ils portaient un gilet orange sur lequel était inscrit un numéro. Nous n’avions pas le droit de les appeler par leur prénom."
Kalbinur Sidik enseigne plus d’un an dans ce centre. Elle profite d’une permission pour rendre visite à sa fille aux Pays-Bas et demander l’asile. Elle n’est plus jamais rentrée et a été une des premières à témoigner du sort des Ouïghours au Xinjiang. "Si le parti avait vraiment l’intention de les éduquer, il pourrait les convoquer le matin et les libérer le soir, pas besoin de les enchaîner ni de les torturer. Ceux qui sont enfermés là-bas n’ont rien fait de mal, leur seul crime est d’être Ouïghour", conclut en larmes l’enseignante.
En 2020, plusieurs groupes d'Ouïghours en exil ont déposé plainte pour crime contre l’humanité et génocide auprès de la Cour pénale internationale de La Haye. Les accusations de torture, de stérilisation, d'internement systématique et de travail forcé se multiplient. Xi Jinping pourrait personnellement être mis en accusation. Mais la Chine ne reconnaît pas la compétence de cette juridiction indépendante.
Entre défenseurs des droits humains et alliés de Xi Jinping, le bras de fer est de plus en plus musclé. A l’automne 2020, 39 pays occidentaux ont condamné la répression des Ouïghours au Xinjiang et exigé de la Chine qu’elle autorise la visite d’observateurs internationaux. En riposte, 45 pays alliés de la Chine se sont alignés derrière Pékin. La Chine est le principal partenaire commercial de 130 pays dans le monde dont une dizaine au sein de l’Union européenne.
La Suisse donne la priorité à sa neutralité
En 2021, la Suisse a finalement refusé de parapher cette déclaration commune à l’ONU après y avoir pourtant adhéré en 2019 et 2020.
Interrogé par la RTS sur cette défection, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a fait savoir que la Suisse était actuellement un "État hôte d’importants entretiens […] dont la tenue est dans l’intérêt de la communauté internationale". Autrement dit, la Suisse donne dorénavant la priorité à ce rôle diplomatique, plutôt que de prendre le risque de fâcher la Chine.
Excédée par les critiques, Pékin ne se prive pas de faire pression en coulisses sur ses différents partenaires pour atténuer les accusations. Malgré ces efforts, la déclaration annuelle sur le Xinjiang s'est renforcée au fil des ans. De 23 pays signataires en 2019, le nombre est passé à 43 en 2021, avec deux défections seulement: Haïti et la Suisse.
Muriel Reichenbach – Les documentaire RTS
"Chine: le drame ouïghour", un documentaire de Romain Francklin et François Reihnardt, disponible sur le Play.rts jusqu’au 2 avril 2022