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En Tunisie, le président dissout le Conseil de la magistrature, jugé partial

Le président tunisien Kais Saied. [KEYSTONE - Mohamed Messara / EPA]
En Tunisie, le président dissout le Conseil de la magistrature, jugé partial / La Matinale / 2 min. / le 7 février 2022
Le président tunisien Kais Saied, qui s'est arrogé depuis juillet les pleins pouvoirs, a décidé de dissoudre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organisme indépendant chargé de nommer les juges. Il l'accuse d'être partial et au service de certains intérêts.

"Le CSM appartient au passé à partir de ce moment", a déclaré le président dans une vidéo diffusé samedi en pleine nuit où on le voit discuter avec différents ministres. Il y accuse cet organe constitutionnel de corruption et partialité et d'avoir ralenti certaines procédures, dont les enquêtes sur des assassinats de militants de gauche survenus en 2013.

Selon les observateurs, il vise ainsi le parti Ennahdha, qui a contrôlé le parlement et les différents gouvernements depuis la révolution de 2011 et la chute du dictateur Zine El Abidine Ben Ali.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CMS) a rejeté dans un communiqué la dissolution "en l'absence d'un cadre juridique et constitutionnel autorisant" le président à le faire. Dénonçant "une atteinte à la Constitution et aux garanties d'indépendance de la justice", l'organe judiciaire a annoncé que "ses membres continueront à siéger".

Le CSM, instance indépendante créée en 2016 pour nommer les juges, est composé de 45 magistrats, pour les deux tiers élus par le Parlement et qui désignent eux-mêmes le tiers restant. "Les postes et les nominations se vendent et se font selon les appartenances", a accusé Kais Saied, en affirmant que "certains magistrats ont pu recevoir" de grosses sommes d'argent en contrepartie.

Un président tout-puissant

Kais Saied concentre tous les pouvoirs depuis le 25 juillet, quand il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement, une décision qualifiée de coup d'Etat par Ennahdha et d'autres opposants. Il a depuis nommé un gouvernement mais prend ses décisions par décrets. Mi-décembre, il a annoncé un référendum cet été pour réformer la Constitution et des élections législatives en décembre.

>> Lire aussi : Le président Kais Saied prolonge le gel du Parlement tunisien

Le "mouvement du 25 juillet", qui regroupe ses partisans, avait appelé samedi le président à dissoudre le CSM pour "purger" le pouvoir judiciaire de "magistrats corrompus". Le président a assuré "travailler sur un décret provisoire" pour réorganiser le CSM.

Il y a quelques semaines, il avait déjà retiré un certain nombre d'avantages aux membres de l'organe judiciaire, tels que le carburant subventionné et les primes de transport et de logement.

La Commission internationale des juristes (ICJ), une ONG établie depuis 70 ans, a averti que "tout décret qui aboutirait à une dissolution est illégal et inconstitutionnel" et "signifierait la fin de la séparation des pouvoirs en Tunisie".

Manifestation à Tunis

L'annonce a été à l'inverse saluée par le bâtonnier de l'ordre national des avocats tunisiens, Ibrahim Bouderbala qui participait à une manifestation à Tunis pour commémorer les assassinats, le 6 février 2013 et le 25 juillet de la même année, des militants de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

Appelant à ce que les coupables "rendent des comptes", les 500 manifestants présents ont salué dans leur majorité la décision du président. "Malheureusement, certains juges dans les tribunaux ont manipulé le dossier Chokri Belaïd", a dénoncé Kais Saied dans sa vidéo, assurant que "ce n'est pas le premier procès où ils essaient de cacher la vérité depuis des années".

Des Tunisiens et Tunisiennes scandent des slogans lors d'une manifestation à Tunis le 6 février 2022 pour commémorer le 9e anniversaire de l'assassinat du leader de l'opposition de gauche Chokri Belaïd. [KEYSTONE - Mohamed Messara / EPA]
Des Tunisiens et Tunisiennes scandent des slogans lors d'une manifestation à Tunis le 6 février 2022 pour commémorer le 9e anniversaire de l'assassinat du leader de l'opposition de gauche Chokri Belaïd. [KEYSTONE - Mohamed Messara / EPA]

Pour le politologue Abdellatif Hannachi, "la justice qui n'a pas été capable de se réformer ni de trancher dans les grands dossiers a fourni une occasion idéale" au président Saied pour taper du poing sur la table "comme il l'a fait le 25 juillet" quand il avait justifié son coup de force par des blocages socio-économiques et politiques.

Présent à la manifestation de gauche, le frère de Chokri Belaïd, Abdelmajid, a applaudi la dissolution du CSM, accusant le parti Ennahdha d'avoir "manipulé et ralenti depuis neuf ans" l'enquête "pour dissimuler les preuves de l'implication des dirigeants d'Ennahdha." A quelques centaines de mètres de là, devant le siège du CSM, une centaine de partisans du président Saied, du "Mouvement du 25 juillet", se sont rassemblés pour fustiger l'institution et se réjouir de sa dissolution.

agences/iar

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