Mardi, le ministère russe de la Défense a affirmé que des unités déployées près de la frontière ukrainienne étaient retournées dans leurs garnisons. Mercredi, la Russie annonçait un nouveau retrait de certaines de ses forces postées en Crimée, la péninsule ukrainienne annexée en 2014 par Moscou.
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Des annonces qui semblent de prime abord éloigner le spectre de la guerre, pourtant annoncée comme imminente par certains experts mais aussi et surtout par le gouvernement américain.
Réagissant à ces annonces, Washington et Kiev ont toutefois continué à plaider la prudence. Le président américain Joe Biden a ainsi déclaré mardi qu'une attaque russe restait une possibilité. En Ukraine, le chef de la diplomatie a quant à lui souligné que son pays jugerait la Russie "sur des actes et non pas sur des mots".
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"La Russie avait déjà réalisé quelque chose de similaire"
Invité de La Matinale mercredi, Igor Delanoë estime qu'il reste "prématuré de parler de désescalade" et préfère y voir "un geste d'apaisement".
Celui qui est également docteur en Histoire juge qu'il n'est pas encore possible de savoir s'il s'agit là d'un authentique retrait d'une partie des troupes ou plutôt d'un "redéploiement vers d'autres points le long de la frontière ukrainienne".
Et de rappeler: "La Russie avait déjà réalisé quelque chose de similaire fin décembre, à savoir qu'elle avait déjà fait reculer une partie des troupes déployées le long de la frontière russo-ukrainienne, quelques jours après qu'elle ait remis des documents à l'Otan et aux Etats-Unis, dans lesquels elle formulait des demandes en matière de sécurité."
Une dramatisation aux Etats-Unis et en Europe?
S'il reste donc encore trop tôt pour connaître les véritables intentions du Kremlin, ces derniers jours et ces dernières semaines auront été marqués en Europe et encore plus aux Etats-Unis par des avertissements très forts sur les risques d'invasion. Paradoxalement, c'est sans doute en Russie et en Ukraine, les deux pays directement concernés, que le calme aura été le plus visible.
"A Moscou et en Russie en général, la couverture médiatique n'a pas la même tonalité que celle que l'on peut retrouver en Occident, que ce soit en Amérique du Nord ou en Europe. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de dramatisation ou d'information anxiogène. On n'a pas le sentiment qu'on est à la veille d'une invasion ou d'une guerre, alors que la frontière ukrainienne n'est qu'à 400 ou 500 kilomètres de Moscou. C'est la même situation en Ukraine, si bien qu'en Russie comme en Ukraine, les deux pays concernés par la crise, on n'a pas cette sensation de dramatisation", juge Igor Delanoë.
Et d'ajouter sur le caractère contre-productif de ces mises en garde intempestives: "Les Occidentaux et les Américains ont été pris dans leur propre piège. La stratégie américaine a été de communiquer un maximum, avec beaucoup de détails révélés au fur et à mesure des jours, jusqu'à annoncer potentiellement des dates propices à telle ou telle forme d'attaque que la Russie pourrait réaliser sur l'Ukraine. Les Américains cherchaient probablement à renverser la tendance, à prendre en main le tempo de cette crise, sauf qu'il y a un effet pervers; celui de créer cette panique, notamment en Europe, ce qui a créé des divergences avec les Ukrainiens, qui appelaient à l'apaisement".
Des annonces qui auront d'ailleurs déjà eu de lourdes conséquences pour l'Ukraine, avec le départ du personnel diplomatique de nombreux pays et le retrait d'investisseurs, compensé toutefois par l'aide économique accordée tant par Washington que par les pays européens.
"Les Russes tiennent à maintenir la pression"
Sur le terrain militaire, les Russes ne sont donc pas passés à l'action, mais diverses cyberattaques visant plusieurs sites militaires ukrainiens et deux banques publiques (même s'il est toujours difficile de les attribuer à Moscou) ont sans doute rappelé que Vladimir Poutine gardait des cartes importantes dans son jeu.
"Cela montre que les Russes tiennent à maintenir la pression et qu'en réalité, la phase du rapport de force dans laquelle on s'est réengagé depuis l'année dernière n'est pas finie", juge Igor Delanoë.
"Il y a également le projet potentiel de reconnaissance par Moscou des républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk (...) cela crée une nouvelle carte dans la main de Vladimir Poutine, dans son rapport de force avec les Occidentaux. Les accords de Minsk et le format Normandie n'auraient plus leur raison d'être, puisque leur but est justement de réintégrer ces deux régions dans le giron de l'Ukraine", conclut le spécialiste.
Propos recueillis par Valérie Hauert
Adaptation web: Tristan Hertig