La reconnaissance concerne l'indépendance de deux territoires prorusses du Donbass ukrainien, bassin minier et industriel frontalier de la Russie: les "républiques" autoproclamées de Donetsk et Lougansk, dont les "dirigeants" avaient appelé lundi le président russe à reconnaître leur souveraineté.
Dans une déclaration qui a débuté lundi soir à 19h30, le président russe a commencé par rappeler les liens entre l'Ukraine et la Russie, puis dénoncé l'influence croissante de l'Occident et des Etats-Unis sur Kiev, qui menacerait la Russie.
Enchaînant les reproches, il a décrit l'Ukraine comme une colonie américaine avec un "régime de marionnette". Il a également accusé Kiev d'avoir volé du gaz russe par le passé et déclaré que ce pays n'avait jamais eu de véritable tradition d'Etat.
L'OTAN est une menace directe pour la sécurité de la Russie, a répété le président russe. Ses centres établis en Ukraine équivalent à des bases militaires de l'alliance, a-t-il estimé.
Vladimir Poutine a encore affirmé que Kiev prévoyait de créer ses propres armes nucléaires. Et si le pays reçoit des armes de destruction massive, "la situation mondiale changera drastiquement", a-t-il assuré.
C'est en conclusion qu'il a annoncé son choix de reconnaître l'indépendance des "républiques" prorusses autoproclamées de l'est de l'Ukraine. "Je juge nécessaire de prendre cette décision qui était mûre depuis longtemps", a-t-il déclaré. La télévision russe a ensuite montré le chef de l'Etat en train de signer un décret en ce sens.
>> Lire aussi notre grand format sur la région du Donbass : Dans le Donbass en Ukraine, sur le fil du rasoir
Processus de paix court-circuité
Cette mesure signe la fin d'un processus de paix moribond sous médiation franco-allemande. Il prévoyait un retour de ces territoires sous le contrôle de Kiev en échange d'une large autonomie.
Surtout, elle ouvre la porte à un déploiement militaire russe dans ces régions à la demande des autorités locales qui seraient donc reconnues comme légitimes par Moscou, au nom de la "protection" des citoyens russes y habitant.
Cette annonce intervient sur fond de multiplication des signes précurseurs d'une guerre en Ukraine, aux frontières de laquelle plus de 150'000 militaires russes, selon Washington, attendent l'arme au pied depuis plusieurs semaines.
Ordre de "maintenir la paix"
Vladimir Poutine a par ailleurs ordonné lundi à son armée d'entrer dans les territoires séparatistes de l'Est de l'Ukraine, après avoir reconnu leur indépendance.
Les deux décrets du président russe reconnaissant les "républiques populaires" de Donetsk et Lougansk, demandent au ministère de la Défense que "les forces armées de la Russie [assument] les fonctions de maintien de la paix" dans ces régions.
Aucun calendrier de déploiement ni son ampleur n'ont été précisé dans ces documents, qui tiennent chacun en une page et ont été publié sur le site de la base de données russe des textes de droit.
Accumulation des tensions
L'annonce de la reconnaissance à venir des séparatistes intervient à l'issue d'une folle journée qui a vu Moscou multiplier les accusations contre l'Ukraine: destruction d'un poste-frontalier par l'armée ukrainienne, ou encore infiltration d'une équipe de "saboteurs" dont cinq membres auraient été tués par les forces russes. Kiev a démenti en bloc ces affirmations qui, pour les Occidentaux, font partie des efforts russes visant à créer un prétexte justifiant une intervention militaire.
Les tensions, qui n'ont cessé de croître ces derniers mois, s'aggravent depuis trois jours avec la recrudescence des heurts dans l'est de l'Ukraine, où les forces de Kiev et des séparatistes s'affrontent depuis 2014.
Pourtant, Paris avait annoncé dimanche soir avoir arraché de haute lutte la promesse d'un sommet réunissant Vladimir Poutine et le président américain Joe Biden. Mais le Kremlin a douché ces espoirs lundi, qualifiant de "prématurée" une telle rencontre.
Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a néanmoins fait savoir lundi qu'il allait rencontrer son homologue américain Antony Blinken jeudi à Genève.
agences/iar/oang
Réactions occidentales immédiates
Les Occidentaux se sont efforcés, en vain, de dissuader Vladimir Poutine de prendre cette décision. Et leurs réactions ont été immédiates.
- Dans deux tweets séparés, le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, ont dénoncé au nom de l'UE "une violation flagrante du droit international, de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et des accords de Minsk". Ils ont promis que l'Europe et ses partenaires "réagiraient avec unité, fermeté et détermination". Ils annoncent des sanctions contre "ceux qui sont impliqués" dans cette décision.
- Emmanuel Macron a réclamé des "sanctions européennes ciblées" à l'encontre de Moscou, selon un communiqué de l'Elysée. Le président français a également demandé "une réunion d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies", en dénonçant "une violation unilatérale des engagements internationaux de la Russie et une atteinte à la souveraineté de l'Ukraine". L'Elysée a par ailleurs dénoncé la "dérive idéologique" et le "discours paranoïaque" de Poutine.
- Le Premier ministre britannique Boris Johnson a dénoncé "une violation flagrante de la souveraineté" de l'Ukraine et une "répudiation" des accords de paix de Minsk.
- Les Etats-Unis ont annoncé des sanctions contre les régions séparatistes concernées et ont prévenu que d'autres mesures étaient prêtes si nécessaire. Joe Biden va "publier un décret qui interdira tout nouvel investissement, échange ou financement par des personnes américaines à destination, en provenance ou dans les régions" prorusses de Donetsk et Lougansk, a indiqué sa porte-parole. Le président américain a en outre réaffirmé lors d'un appel à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky "l'engagement des Etats-Unis" au respect de "l'intégrité territoriale de l'Ukraine".
-Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré s'être entretenu avec le président américain de la décision de Vladimir Poutine. "Ai discuté des événements des dernières heures avec le président des Etats-Unis", a-t-il écrit sur Twitter dans une première réaction, juste avant le début d'un Conseil de sécurité et de défense nationale.
- "Je condamne la décision de la Russie", a déclaré le secrétaire général de l'OTAN dans un communiqué. "Les Alliés demandent instamment à la Russie, dans les termes les plus forts, de choisir la voie de la diplomatie, de renoncer immédiatement à son renforcement militaire massif en Ukraine et autour de l'Ukraine, et de retirer ses forces conformément à ses obligations et engagements internationaux", a ajouté Jens Stoltenberg.
- Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a annulé in extremis une visite en République démocratique du Congo et décidé de revenir précipitamment à New York en raison de l'aggravation de la crise.
Affrontements toujours en cours
Sur le terrain, dans l'est de l'Ukraine, les affrontements se poursuivaient lundi, Kiev faisant état d'une quinzaine de bombardements des rebelles prorusses, dans lesquels deux soldats et un civil ukrainiens ont été tués. Les rebelles ont quant à eux fait état de trois civils ayant péri dans des bombardements ces dernières 24 heures, des affirmations invérifiables de source indépendante. La Russie a assuré lundi qu'au moins 61'000 personnes avaient été "évacuées" des zones séparatistes vers son territoire.
Moscou et Kiev s'accusent d'être responsables de cette flambée de violences dans un conflit qui a fait plus de 14'000 morts depuis son déclenchement en 2014, dans la foulée de l'annexion de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie.
Les Russes se défendent de tout projet d'invasion de l'Ukraine, mais réclament l'assurance que Kiev ne rejoindra jamais l'OTAN comme condition à toute désescalade.
Plus de 3000 violations de la trêve, selon l'OSCE
Les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont enregistré en 48 heures plus de 3200 nouvelles violations de la trêve censée être en vigueur dans l'est de l'Ukraine, ont-ils annoncé dans un communiqué publié lundi.
L'OSCE a recensé 2158 violations dans la région de Donetsk et 1073 dans celle de Lougansk, tenues en partie par les séparatistes prorusses en guerre contre Kiev.