Le New York Times identifie deux auteurs, loin des attentes des adeptes du mouvement. Il ne s'agit pas d'un haut responsable public américain, alors que la lettre "Q" - désignant un niveau d'habilitation dans l'administration - le laissait sous-entendre.
Derrière le personnage de "Q" se cacheraient Paul Furber, un citoyen sud-africain qui développe des sites web, et Ron Watkins, administrateur de forums américains d'extrême-droite. Ce dernier est candidat républicain au Congrès des Etats-Unis dans l'Etat de l'Arizona.
Le premier message a été publié en octobre 2017 par Paul Furber sur un site qui ne lui garantissait pas d'être le seul à utiliser sa signature. Tout le monde pouvait publier un message en prétendant être le fameux "Q".
Résultat: Paul Furber a perdu progressivement le combat pour le contrôle de ce pseudonyme au profit de Ron Watkins. Lui s'assure le contrôle de l'alias en le faisant migrer sur son propre site web. Il devient ainsi la seule personne à publier au nom de ce personnage.
Un nouvel outil
Plusieurs enquêtes journalistiques avaient déjà réduit le cercle des suspects. Mais le New York Times s'est appuyé sur un nouvel outil: la stylométrie, ou l'analyse des styles d'écriture. C'est la première fois qu'un élément aussi tangible vient consolider les soupçons sur certaines personnes.
Deux équipes d'experts, dont l'entreprise romande OrphAnalytics, sont parvenues à identifier les auteurs des publications de QAnon en les comparant avec des textes écrits par des personnes suspectées.
"Si vous fournissez des textes de suspects, on peut voir s'ils écrivent avec un style qui est similaire à celui de QAnon. Notre travail, c'est de faire de la mesure de style, mais nous ne sommes pas des enquêteurs, donc il faut nous fournir des textes. On a trouvé des personnes capables de nous fournir cela et ensuite seulement on peut se lancer", a expliqué Claude-Alain Roten, patron d'OrphAnalytics, mardi dans l'émission Tout un monde de la RTS.
Ces textes de référence ont été produits par les différents suspects. Il s'agit de publications de blogs ou sur les réseaux sociaux. Certaines ont été effacées, mais ont pu être retrouvées, précise Claude-Alain Roten.
Plus c'est long, mieux c'est...
La fiabilité de la stylométrie dépend notamment des extraits comparés. Il faut en effet que les textes soient de genres semblables, le style d'un auteur n'étant pas le même dans une lettre de motivation ou dans une poésie.
Pour Jacques Savoy, professeur à l'université de Neuchâtel en linguistique computationnelle - l'étude de la langue sous l'angle informatique -, c'est la longueur du texte qui est déterminante.
"On peut identifier l'auteur d'un texte dans des bonnes conditions. Il faut que tous les textes fassent 10'000 mots et avoir une base d'entraînement qui contient 20'000 à 30'000 mots par auteur. Dans de tels cas, on arrive à des taux de reconnaissance de 95%", souligne-t-il.
C'est un des problèmes dans le cas de QAnon: les publications sont relativement courtes et doivent être agrégées afin de créer artificiellement un long texte.
Des résultats fiables?
"Comme on fait des analyses de comparaison, on ne sera jamais sûr. Par contre, on peut obtenir des signaux pour dire que c'est fortement probable. Dans le cas d'espèce, on arrive à une fiabilité de 93%", détaille Claude-Alain Rothen.
Pour le professeur Savoy, ce chiffre est plausible. Il émet toutefois quelques réserves sur les données utilisées pour l'analyse.
"Le problème qui se pose dans cette étude, c'est de savoir si tous les suspects potentiels ont été pris en compte. Dans ce cas, je ne pense pas que c'est le cas. Ils se sont basés sur une étude qui a débuté sur la chaîne de télévision NBC, qui suspectait trois personnes, auxquelles ils ont ajouté quatre autres. C'est un des points faibles de l'étude", estime le professeur Savoy.
A contrario, l'un des points forts est la concordance de l'étude romande avec celle d'une équipe française, qui déclare que son logiciel a correctement identifié l'écriture de Ron Watkins dans 99% des tests, et celle de Paul Furber dans 98%, se démarquant de tous les autres suspects par leur similitude avec "Q". Les deux groupes ont travaillé chacun de manière indépendante.
Interrogés par le New York Times, les deux auteurs présumés nient avoir écrit sous le nom de "Q".
Philéas Authier
Adaptation web: Jérémie Favre