Xi Jinping fait face à l’un des plus sérieux défis diplomatiques depuis son arrivée au pouvoir. L’embarras est perceptible dans le refus de Pékin de prendre clairement position dans cette crise. Si d’une part la Chine soutient la Russie dans ses revendications sécuritaires et ses critiques d’un OTAN qualifié d’expansionniste, elle enjoint les différentes parties à trouver une issue diplomatique à la crise. "La souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectés, l’Ukraine ne doit pas faire exception", a déclaré le ministre chinois des Affaires étrangères le week-end dernier.
Dans les faits, Pékin cache à peine sa réprobation face à une invasion de l’Ukraine. Une telle intervention va à l’encontre de la doctrine internationale du Parti communiste chinois, soucieux de ne pas légitimer une stratégie susceptible de saper sa propre souveraineté. Les autorités chinoises brandissent régulièrement l’argument de l’intégrité territoriale pour se préserver des critiques internationales à l’égard de leur politique au Xinjiang, à Hong Kong, au Tibet ou encore vis-à-vis de Taïwan. Chaque Etat doit pouvoir rester maître de son territoire sans devoir subir d’ingérence extérieure. Pékin n’a d’ailleurs, à ce jour, pas reconnu l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
L'Ukraine, un partenaire important pour la Chine
L’Ukraine est en outre un partenaire important pour la Chine. Les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à plus de 15 milliards de francs en 2020. Le territoire est aussi l’une des portes d’entrée principales des nouvelles routes de la soie en Europe, le projet phare de Xi Jinping. "Depuis l’établissement des relations diplomatiques sino-ukrainiennes il y a trente ans, nos deux pays ont toujours maintenu des relations saines et stables" se félicitait encore le mois dernier le président chinois lors d’un entretien téléphonique avec son homologue ukrainien.
Difficile cependant de dénoncer ouvertement les agissements de Moscou. Peu après l’annonce de l’envoi de troupes russes dans l’est de l’Ukraine, la Chine s’est contentée de réitérer ses appels en faveur d’une solution négociée pour sortir de la crise. Malgré les exhortations occidentales à recadrer le président russe, Pékin veut éviter de froisser son partenaire stratégique le plus précieux, à l’heure où la Chine a besoin de soutien face à la dégradation de la situation sécuritaire en Asie.
A vouloir ménager la chèvre et le chou, les Chinois prennent cependant le risque d’être accusés de complicité. De quoi nuire gravement aux relations avec l’Europe, entraîner de sérieuses représailles de Washington et pousser des pays traditionnellement non alignés – comme l’Inde par exemple – dans les bras des Occidentaux. Le renforcement de l’axe Pékin-Moscou lors d’un sommet entre Vladimir Poutine et Xi Jinping le 4 février dernier, en marge de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, n’a d'ailleurs pas manqué d’alarmer les capitales occidentales.
Des autorités qui jouent la montre
Un soutien appuyé ou une réaction timorée de la Chine envers la stratégie russe est susceptible d’accroître l’inquiétude et d’encourager un rapprochement économique et militaire de ses rivaux. "En cas de guerre ouverte en Ukraine, les Européens durciront probablement encore le ton à l’égard de Pékin qui pourrait voir s’écrouler le plancher des relations avec l’UE", estime Bill Bishop, sinologue et observateur politique. "La Chine joue ici un jeu dangereux qu’elle pourrait être amenée à regretter", juge-t-il encore.
Dos au mur, les autorités chinoises semblent pour l’heure jouer la montre face à l’incertitude. Si elle devait être contrainte de choisir clairement son camp, la Chine serait perdante. "En cimentant, il y a peu, les relations avec la Russie, Xi Jinping entendait intensifier la compétition internationale pour imposer un nouvel ordre mondial", écrit dans Foreign Affairs Jude Blanchette, sinologue au centre d’études internationales et stratégiques de Washington.
Un pari censé, à terme, permettre à Pékin d’avancer ses pions – à Taïwan et en mer de Chine du Sud notamment. Mais en choisissant d’opérer ce rapprochement au milieu d’une crise provoquée par Poutine, Xi s’est exposé à des répercussions et à un coût immédiat que la Chine peut difficilement se permettre", conclut-il.
Michael Peuker/ther