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En Afghanistan, le fléau de l'opium continue à faire des ravages

Des Afghans dépendants de l'héroïne et des méthamphétamines se rassemblent pour prendre de la drogue à Kaboul, en Afghanistan, le 14 décembre 2021. [KEYSTONE/EPA - Maxim Shipenkov]
Le fléau de l'opium en Afghanistan / Tout un monde / 5 min. / le 23 février 2022
L'Afghanistan est le premier producteur mondial d'opium et son premier marché se trouve... en Afghanistan. Le pays compte en effet près de 4 millions de toxicomanes, soit 10% de sa population. Revenus au pouvoir, les talibans ont fait savoir qu'ils ne comptaient pas empêcher le trafic. Dans les centres de réhabilitation, la situation se détériore. Reportage.

En plein coeur de Kaboul, c'est une grande bâtisse de trois étages avec une cour intérieure qui s'élève. Il s'agit d'un centre de réhabilitation réservé aux femmes et aux enfants toxicomanes. Une cinquantaine de patients y sont pour l'instant hébergés pour un traitement qui va durer 45 jours.

La lumière du jour a du mal à pénétrer au rez-de-chaussée mais le froid mordant, lui, oblige les patientes à se réfugier sous des couvertures épaisses et sales.

"Cette chambre est réservée aux patients en période de désintoxication. Quand ils arrivent dans notre centre, ils dorment d'abord ici, c'est la première étape. Les chambres à l'étage bénéficient de la lumière du jour mais oui, ici, en hiver il fait très froid", explique la docteure Shaista Hakim, qui dirige ce centre.

Manque de moyens flagrant

L'établissement n'a tout simplement plus les moyens de payer la facture d'énergie, car les fonds viennent à manquer depuis le retour au pouvoir des talibans et la chute de la République. Le personnel n'a pas été payé depuis le mois d'août. Pourtant, les aides-soignantes, docteurs et psychiatres continuent à répondre à l'appel pour venir en aide à ces femmes et à ces enfants.

Beaucoup des patientes présentes ici ont été rendues dépendantes aux drogues par leur mari ou leur père, qui parfois les prostituent pour pouvoir s'acheter une dose. L'emprise de la drogue se traduit donc également par une emprise des hommes sur les femmes de la famille.

Cette histoire est celle de Zeinab, une adolescente de 14 ans. A l'étage, cette jeune fille partage une chambre avec sa soeur et une demi-douzaine d'autres patientes. Accro depuis ses 13 ans, c'est son père qui l'a rendu dépendante à l'héroïne. Intelligente et espiègle, Zeinab sourit beaucoup mais son regard s'assombrit quand elle évoque son père toxicomane.

"Aujourd'hui, mon père pourrait mourir, ça ne me concernerait pas"

"Je n'accorde plus d'importance à mon père, car il veut que nous soyons tuées des milliers de fois par la drogue. C'est une personne négligente, il essaie toujours de nous rendre dépendantes. Ma soeur était excellente à l'école et elle a fini par devenir enseignante mais quand mon père a vu ça, il n'a rien trouvé de mieux à faire que de la droguer. Aujourd'hui, mon père pourrait bien mourir, ça ne me concerne pas, au moins il ne serait plus dans nos vies", explique-t-elle, désabusée.

Le père de Zeinab s'appelle Abdullah. Âgé de 55 ans, le crâne rasé, le regard vitreux et portant une barbe de trois jours, il se trouve dans un autre centre, destiné aux hommes. Ici aussi, le froid règne en maître et les patients dorment à 30 par chambre.

"Le processus de rétablissement est très difficile mais je reste patient. Cela fait maintenant 4 jours que je suis ici. Jusqu'à présent, personne de ma famille n'est venu me voir (...) peut-être qu'ils ont eu un empêchement", explique-t-il.

Des talibans passifs

Deux jours après leur retour au pouvoir, les talibans avaient déclaré que le groupe lutterait contre le trafic de drogue. C'est d'ailleurs ce qu'ils avaient fait lors de leur première prise de pouvoir dans les années 1990. Mais face à la crise économique et humanitaire qui frappe actuellement le pays, les nouveaux dirigeants ont fait marche arrière. D'après eux, ce n'était pas le moment de priver une partie de la population de son gagne-pain.

Mais sans s'en prendre aux racines du fléau, le problème de l'addiction risque de perdurer, même si les talibans ont opté pour une politique agressive envers les toxicomanes, qu'ils n'hésitent pas à rafler sous les ponts de la ville pour les envoyer de force dans des centres. Des établissements désormais pleins à craquer mais avec beaucoup moins de moyens, depuis que les financements internationaux ont été coupés.

Peu de perspectives pour les filles

Pour Zeinab, la situation semble s'améliorer, mais cela n'est peut-être qu'un répit. Cinq jours après la fin de son traitement, elle réside actuellement avec sa famille dans un petit appartement d'un quartier résidentiel de la capitale. Malgré l'absence du père, elles se débrouillent avec l'argent que leur envoie une de leur soeur qui vit aux Etats-Unis.

Zeinab présente les lieux. "Voici ma chambre", "la salle de bain" et ici, "c'est la cuisine (...). La vue est magnifique, n'est-ce pas?", s'exclame-t-elle, avant que la réalité ne la rattrape: "Mais juste là, en bas, ils vendent de l'héroïne, c'est pour ça que nous avons l'intention de quitter le quartier".

Quitter le quartier, Zeinab le pourra peut-être, mais quid de ses rêves ? La jeune fille, qui espère un jour devenir docteure, aura encore bien des obstacles à franchir, l'éducation étant sans doute le premier d'entre eux. Les talibans ont en effet suspendu l'enseignement secondaire pour les filles du pays. A l'heure actuelle, Zeinab n'a donc tout simplement pas le droit d'aller à l'école.

Wilson Fache

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