"Pendant qu'on débat de la morale et des comportements privés des hommes politiques, on ne débat pas de leurs idées, de leurs projets et de leurs actions", explique Chloé Morin.
La spécialiste de l'opinion publique salue les progrès "importants" effectués depuis une dizaine d'années, notamment en France, pour améliorer la transparence en politique. Mais elle dénonce l'envie des électrices et des électeurs de tout connaître - de l'école des enfants à la marque de voiture, en passant par les éventuelles aventures extra-conjugales - de leurs élus.
"Les politiques sont devenus des people comme les autres", déplore-t-elle. Pour elle, la seule manière d'en sortir est d'en prendre conscience. Car si les politiques et les médias jouent ce jeu, c'est parce que cela fonctionne sur l'opinion publique. Pour elle, nous avons donc tous notre part dans l'effondrement démocratique actuel.
"Si j'écris 'on a les politiques qu'on mérite', c'est d'abord parce que nous sommes en démocratie et qu'on peut librement choisir nos dirigeants. Nous avons tendance à l'oublier et à nous dire qu'il y a une clique qui confisque le pouvoir et qui s'entretient elle-même. Chaque citoyen est dépositaire de la vitalité démocratique", souligne-t-elle. La guerre en Ukraine pourrait, par exemple, faire prendre conscience du prix de la démocratie (lire encadré), selon elle.
Le "risque" populiste
Chloé Morin s'inquiète également de la progression des forces populistes. "Certes, elles jouent le jeu démocratique, mais elles promeuvent des valeurs qui sont sans doute incompatibles avec le libre exercice des droits et libertés nécessaires à la démocratie."
Pour elle, il n'est pas impossible que l'une de ces forces arrivent au pouvoir: "A force d'alerter, de dire que ce n'est pas possible, un jour cela le deviendra". "Les idées de Marine Le Pen, par exemple, se banalisent. Elle est entrée dans le jeu politique de manière plus acceptable et acceptée que son père. Le plus grand enjeu pour la démocratie est notre manque de vigilance."
Propos recueillis par David Berger/vajo
"On a les politiques qu'on mérite", Chloé Morin, Editions Fayard, 324 pages
La guerre en Ukraine bouscule la campagne présidentielle
Vendredi sera la date limite pour le dépôt des listes de parrainages des candidats à l'élection présidentielle. Emmanuel Macron n'aura donc plus le choix d'officialiser sa candidature. Mais la guerre en Ukraine vient jouer les trouble-fêtes.
Alain Rebetez, correspondant à Paris, écrit lundi dans 24 heures qu'Emmanuel Macron pourra annoncer sa candidature "dans les circonstances probablement les plus favorables qu'il pouvait imaginer".
De son côté, la politologue et associée à la Fondation Jean Jaurès Chloé Morin, invitée lundi dans La Matinale, y voit le risque qu'un certain nombre de sujets "très importants pour l'avenir de la France" ne soient pas débattus correctement.
Certains candidats fragilisés
"Tous les autres sujets du débat public sont évacués. On parle moins de pouvoir d'achat, d'insécurité...", estime-t-elle. "On risque donc d'avoir à nouveau des conflits sociaux, car des questions politiques n'auront pas été réglées dans les urnes."
Selon elle, le contexte international va prendre beaucoup de place et "pénaliser" un certain nombre de candidates et candidats. Le candidat écologiste Yannick Jadot, par exemple, aura plus de mal à imposer le sujet du climat.
Emmanuel Macron mène actuellement les affaires "d'une manière qui est assez peu contestée par l'opinion publique", observe Chloé Morin. "Par contraste, certains de ses adversaires ont pu paraître assez légers ou inconséquents dans leur manière d'aborder Vladimir Poutine."
>> Le suivi de la guerre en Ukraine : Jean-Daniel Gerber: "La Suisse ne doit pas s'attendre à un afflux massif de réfugiés ukrainiens"