Publié

Claudia Major: "Il faut se préparer à un avenir où l'Europe doit se positionner contre la Russie"

L'invasion russe en Ukraine est en train de transformer l'Allemagne à vitesse accélérée en faisant sauter tous les verrous qui jusqu'ici encadraient sa politique en matière de défense et de diplomatie. [KEYSTONE - CLEMENS BILAN]
Comment l'Europe peut-elle faire face à la crise en Ukraine? Interview de Claudia Major / Tout un monde / 6 min. / le 28 février 2022
L'invasion russe en Ukraine est en train de transformer l'Allemagne à vitesse accélérée en faisant sauter tous les verrous qui jusqu'ici encadraient sa politique en matière de défense et de diplomatie. Dans l'émission Tout un monde lundi, la spécialiste des questions de sécurité au centre de recherche SWP de Berlin Claudia Major estime qu'il s'agit d'un "changement fondamental" pour l'Allemagne.

"Nous vivons un changement d'époque. Et cela signifie que le monde d'après n'est plus pareil que le monde d'avant. Au fond, il s'agit de savoir si la force peut transgresser le droit. Si nous permettons à Poutine de remonter les horloges jusqu'au temps des grandes puissances du XIXe siècle. Ou si nous trouvons l'énergie d’imposer des limites aux fauteurs de guerre comme Poutine. Cela présuppose d'avoir soi-même de la force."

Dans un discours historique, le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé une nette augmentation des dépenses militaires de l'Allemagne dans les années à venir, devant les députés réunis dimanche en séance extraordinaire.

Il a promis une enveloppe immédiate de 100 milliards d'euros (105 milliards de francs) pour moderniser son armée, notoirement sous-équipée. Et "nous allons à partir de maintenant, d'année en année, investir plus de 2% de notre Produit intérieur brut dans notre défense", a-t-il ajouté, ce qui va donc au-delà de l'objectif que se sont fixé les pays de l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique nord), à savoir tendre vers 2% du PIB national.

"Notre devoir d'assistance"

"Mesdames et Messieurs, le troisième grand défi est d'empêcher que la guerre de Poutine ne s'étende à d'autres pays d'Europe. Cela signifie que nous assumons pleinement notre devoir d'assistance au sein de l'Otan", a déclaré Olaf Scholz. "C'est ce que j'ai dit à nos alliés d'Europe centrale et orientale, qui craignent pour leur sécurité."

Nous assumons pleinement notre devoir d'assistance au sein de l'Otan. C'est ce que j'ai dit à nos alliés d'Europe centrale et orientale, qui craignent pour leur sécurité

Olaf Scholz, le chancelier allemand

Selon Claudia Major, spécialiste des questions de sécurité au centre de recherche Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP), il faut arrêter de faire la différence entre l'Otan et les Etats européens. "Car ce sont des Etats européens qui investissent dans leurs forces armées, dans leur économie pour se défendre."

Elle souligne que l'Otan a fait ce qu'il fallait faire, en augmentant la présence de ses forces et en augmentant la surveillance maritime et aérienne. "Tous les pays européens, sauf la France, ont toujours considéré l'Otan comme leur assurance-vie, notamment dans les pays proches de la frontière", ajoute-t-elle. Claudia Major juge toutefois qu'aucun Etat européen ne peut remplacer la force militaire conventionnelle nucléaire et le pouvoir politique des Etats-Unis.

La fin d'une ère politique

Le tournant pris par l'Allemagne est un "changement fondamental", inimaginable il y a encore cinq jours, estime Claudia Major. "Il faut se préparer à un avenir où l'Europe doit se positionner contre la Russie, contre un Etat qui utilise sa force militaire pour changer l'ordre en Europe, les frontières."

Selon Claudia Major, la situation actuelle était prévisible. "Beaucoup d'alertes" avaient été émises: la guerre en Géorgie en 2008, l'annexion de la Crimée en 2014 ou encore l'implication de la Russie dans la guerre en Syrie.

Retour de l'Europe dans le jeu

L'Europe "revient dans le jeu", estime la spécialiste des questions de sécurité au SWP. Militairement, l'Europe est moins forte que la Russie. Mais les sanctions économiques devraient contrebalancer le déséquilibre.

>> Lire aussi : Chute du rouble, filiales de banques russes en faillite: les conséquences des sanctions occidentales

"Ne nous faisons pas d'illusions: Poutine ne changera pas de cap du jour au lendemain. Mais très bientôt, les dirigeants russes sentiront le prix élevé qu'ils paient. Rien que la semaine dernière, les valeurs boursières russes ont chuté de plus de 30%. Cela montre que nos sanctions sont efficaces.Et nous nous réservons le droit de prendre d'autres sanctions, sans nous interdire d'envisager quoi que ce soit", a dit Olaf Scholz.

>> Le suivi de la guerre en Ukraine : L'Ukraine va exiger un cessez-le-feu "immédiat" lors des pourparlers avec Moscou

Propos recueillis par Blandine Levite/vajo

Publié