Ils sont des dizaines de milliers à fuir chaque jour l’Ukraine en guerre. Vers la Pologne principalement, mais aussi vers la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie. Les déplacés sont souvent face à un dilemme: aider le pays en restant sur place ou mettre leur famille à l’abri en fuyant? La RTS s'est rendue aux frontières roumaines et polonaises pour recueillir les témoignages des réfugiées et réfugiés et des nombreux bénévoles venus sur place pour les aider.
Chapitre 1
Contexte
RTS - Cédric Guigon
Plusieurs centaines de milliers de réfugiés fuyant l'invasion de l'Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine ont afflué depuis le début de la guerre dans des pays frontaliers, selon les chiffres du HCR.
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Par des trains bondés, en voiture et parfois à pied avec de maigres bagages, femmes et enfants essentiellement - les hommes en âge de se battre n'ont pas le droit de quitter l'Ukraine - sont pris en charge une fois la frontière traversée.
La Pologne, qui a déclaré son soutien indéfectible à l'Ukraine, accueille de très loin le plus grand nombre de réfugiés qui arrivent en flots continus depuis le début de l'invasion russe, selon le décompte du HCR. Les autres pays limitrophes, à savoir la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Moldavie, ouvrent également leurs portes.
Chapitre 2
Fuir les combats
RTS - Benjamin Ribout
"Nous avons fait 24 heures de route avant d’atteindre la frontière. Il y avait tellement d’enfants et de femmes sur la route. Ce n’était pas facile. Ça nous a pris beaucoup de temps", raconte Denis, un habitant de Kiev d'origine serbe.
"Certaines personnes ont attendu plus de trente heures à la frontière. Pour moi, ça m’importait peu. La seule chose que je voulais, c’était de mettre ma famille en sécurité. Les hommes laissent leurs femmes et enfants à la frontière et retournent faire la guerre."
Comme Denis, les déplacés doivent souvent faire un choix draconien: aider le pays ou mettre leur famille à l’abri. En raison de la mobilisation générale, les gardes-frontières ne laissent pas sortir d'Ukraine les hommes en âge de prendre les armes.
Mais certaines femmes font aussi le choix de rester au pays. "Je veux que ma fille et mon petit-fils aillent chez ma sœur, qui vit en Bulgarie. Mais moi je retourne en Ukraine. Parce que je ne peux pas abandonner mon mari et mon gendre. Il faut que je rentre", explique ainsi Ivana, qui après avoir mis sa famille en sécurité en Roumanie va retourner à Tchernivtsi pour aider.
Je me sens coupable d'avoir quitté ma maison, de ne pas être restée pour aider là-bas... Mais ici, à la frontière, je peux aider
Pour celles qui partent, il faut parfois lutter contre un sentiment de culpabilité. "Mon mari est là-bas, en Ukraine, pour aider l'armée. Je ne connais personne ici, en Roumanie", explique Anastasia, une jeune Ukrainienne rencontrée à la frontière roumaine. Elle a dû fuir deux fois: Donetsk en 2014 et Tchernivtsi aujourd’hui. Elle perdu son oncle il y a deux jours, et s’est réfugiée en Roumanie, avec sa fille.
"Je me sens coupable d'avoir quitté ma maison, de ne pas être restée pour aider là-bas... Mais ici, à la frontière, je peux aider, notamment en traduisant de l'ukrainien vers l'anglais", précise-t-elle.
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Toutes les nationalités concernées
La fuite ne concerne pas seulement les personnes de nationalité ukrainienne. Deux étudiants nigérians ont par exemple fui le pays quand la ville d’Ivano-Frankivsk, à 200 kilomètres de la frontière roumaine, a été bombardée. Pour eux et pour tous les autres, la route a été longue, la nuit dans les voitures, glaciale. "J’ai besoin d’un hôtel. Je n’ai pas dormi depuis 2 jours. Après, je veux rentrer au Nigeria."
Chapitre 3
Aider sur place
RTS - Cédric Guigon
"Nous essayons d'aider autant de personnes que nous pouvons. Pour certains, quelques mots suffisent. D'autres ont besoin de nourriture, d'interprètes ou encore des meilleurs itinéraires pour aller à l'aéroport ou quitter cet endroit. J'ai vu des femmes et des enfants en pleurs, ils étaient choqués", témoigne Daniel, un volontaire à la frontière roumaine de Siret.
Si, ici, une centaine de volontaires peuvent faire autant pour des milliers de réfugiés ukrainiens, imaginez ce que l'Europe tout entière pourrait faire!
Il en appelle à l'unité de l'Europe: "Si, ici, une centaine de volontaires peuvent faire autant pour des milliers de réfugiés ukrainiens, imaginez ce que l'Europe tout entière pourrait faire! L'Europe doit rester forte, faire tout ce qui est en son pouvoir pour stopper Poutine, pour mettre un terme à cette folie."
Comme lui, nombreux sont les bénévoles à s'être rendus à la frontière pour accueillir les réfugiés au poste-frontière de Siret, situé le long d'une route toute droite, au milieu d'une steppe désolée de Roumanie. De part et d'autres, des centaines de voitures et de bus venus gratuitement prendre en charge ces personnes.
Des tentes sont installées le long de la route, par des organisations comme la Croix-Rouge, mais aussi par les municipalités de villes environnantes ou des églises. Mais il y a aussi beaucoup de familles et de retraités venus prêter main fort, touchés par la misère qui s'abat sur leurs voisins ukrainiens. Ils proposent de la nourriture, des conserves, des couches pour bébés.
Les réseaux sociaux se révèlent précieux pour coordonner cette aide. Le millionnaire Stefan Mandachi offre un hébergement d’urgence dans son hôtel de Suceava. "J’ai 230'000 personnes qui me suivent sur Facebook. Comme un média, c’est une caisse de résonance pour communiquer avec les réfugiés. Ma communauté partage l’info et me tient au courant des besoins en permanence", détaille-t-il.
Difficile d'aider tout le monde
Plus au nord, en Pologne, dans les couloirs de la gare de Chemichli, des femmes, des enfants, des personnes âgées ont les yeux hagards. La majorité d'entre eux ont mis des dizaines d'heures pour arriver. A l'extrême fatigue s'ajoutent le stress et la peur.
La gare s'est transformée en centre d'accueil pour les réfugiés qui arrivent par milliers depuis le début de l'invasion. Des membres d'ONG assurent la distribution d'eau et de nourriture. Et de nombreux Polonais se sont portés volontaires pour leur venir en aide. Comme Lucasz avec son panneau prêt à les emmener dans sa voiture. "Je me suis dit que ces gens avaient besoin de moi. Alors je suis venu de Varsovie ici pour les aider et je propose de les emmener où ils veulent en Pologne."
Maintenant, ce sont de plus en plus des réfugiés qui n'ont aucun point de chute, ce qui va compliquer la situation
Mais cet élan de solidarité risque de ne pas suffire pour accueillir tous les nouveaux arrivants. "Au début, c'était principalement des gens qui avaient de la famille ou des amis ici, donc ils savaient où ils allaient. Mais maintenant, ce sont de plus en plus des réfugiés qui n'ont aucun point de chute, ce qui va compliquer la situation", relate Mariusz Sidul, coordinateur des bénévoles.
Selon l'Union européenne, le conflit pourrait pousser à l'exil plus de 7 millions de personnes. L'accueil solidaire des pays voisins de l'Ukraine pourrait donc ne pas suffire.
Chapitre 4
La Suisse se mobilise
Keystone - Wojtek Jargilo
Ne pas être un pays directement frontalier de l'Ukraine n'empêche pas la Suisse de venir en aide aux personnes qui quittent le pays en guerre. Certains font même le trajet jusqu'en Ukraine pour récupérer de la famille. C'est le cas d'Oksana, qui a fait 16 heures de route depuis Sion pour rejoindre Medyka, en Polgone. Son objectif, aller chercher sa nièce et sa soeur à Kiev.
"Je ne pouvais pas rester en Suisse à pleurer pendant deux jours, je suis plus utile ici. Ma famille ne peut pas conduire, je vais les amener de Kiev jusqu'à la frontière", explique-t-elle, en évoquant la peur de l'inconnu pour la suite de son périple en zone de guerre.
L'accueil en Suisse
"La Suisse se montrera solidaire lorsqu'il s'agira de défendre les valeurs démocratiques et la liberté, ainsi que pour l'accueil des réfugiés", a déclaré la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter. Elle pourrait accueillir 2000 réfugiés ukrainiens.
"Normalement, les réfugiés se rendent dans les pays dans lesquels ils ont leur famille et leurs amis. Les Ukrainiens ont davantage de proches dans les pays limitrophes, en Pologne, en Hongrie", explique Jean-Daniel Gerber, l'ancien directeur de l'Office fédéral des réfugiés, devenu le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM). "La Suisse ne doit donc pas s'attendre à un afflux massif de réfugiés." Quoi qu'il arrive, l'ancien directeur de l'Office fédéral des réfugiés juge que notre pays a les capacités d’accueil.
La Commission fédérale des migrations estime d'ailleurs qu'une réglementation "rapide et généreuse" de l'accueil des réfugiés ukrainiens en Suisse est nécessaire. A ses yeux, les conditions sont réunies pour une application rapide du statut de protection S.
Ce dernier accorde un accueil collectif et un droit de séjour à vue. Il permet de "protéger des personnes aussi longtemps qu'elles sont exposées à un danger général grave, notamment pendant une guerre ou une guerre civile ou lors de situations de violence généralisée", détaille la CFM dans un communiqué.
La Chaîne du bonheur lance un appel
Face à l’ampleur de la crise humanitaire qui se profile en Ukraine, la Chaîne du Bonheur appelle par ailleurs à la solidarité envers la population suisse. Elle lance un appel aux dons.
Les contributions sont possibles en ligne sur www.bonheur.ch ou sur le compte postal 10-15000-6, mention "Crise en Ukraine".