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L'Europe censure les médias prorusses, une décision controversée

Les médias RT et Sputnik sont bannis de l'Union européenne. [Reuters - Gonzalo Fuentes]
RT banni de l'UE, censure? / Tout un monde / 5 min. / le 1 mars 2022
En réaction à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, l'Union européenne a décidé d'interdire certains médias acquis à la cause du Kremlin, tels que Russia Today (RT) ou Sputnik. Mais pour certains spécialistes, cette censure envoie un mauvais message et peut même s'avérer contre-productive.

Financée par le Kremlin, la chaîne de télévision d'information en continu RT émet sur plusieurs continents en russe, mais aussi en français, en anglais, en espagnol, en arabe ou encore en allemand. Jusqu'à très récemment, elle était diffusée dans l'Union européenne. Mais dimanche, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonçait son interdiction sur sol européen, tout comme l'agence Sputnik.

Les fausses informations propagées par ces médias prorusses dérangent l'Union européenne (UE), qui dénonce une "désinformation toxique et nuisible". Mais l'idée d'interdire pour "favoriser la vérité" est critiquée par plusieurs acteurs de la branche et spécialistes des médias.

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L'interdiction déplace le problème

En France, le syndicat national des journalistes s'est opposé à la mesure. Dans un communiqué, il affirme que l'on "ne défend jamais la liberté en attaquant les journalistes" et rappelle qu'il ne faut pas confondre le travail d'une rédaction avec la politique du pays qui la finance. La mesure est critiquée également par le média Newsguard, qui lutte contre la mésinformation en ligne, qui craint que cela ne fasse que transférer cette propagande vers d'autres plateformes moins identifiées comme étant prorusses.

"Le Kremlin pourra continuer de diffuser ses récits, mais peut-être sur des sites plus officieux", affirme sa rédactrice en chef Chine Labbé. "Et ça sera plus coûteux pour les personnes qui luttent contre la désinformation de comprendre les liens entre ces sites et le Kremlin, qui seront peut-être mieux cachés. Il faudra refaire des enquêtes", explique-t-elle.

Biais de confirmation

Par ailleurs, la censure contribue souvent à renforcer le message des médias qui en sont victimes auprès de leur public, en leur permettant de se poser en victimes. "Certaines franges radicales du complotisme sur internet en Europe sont proches de ces médias russes et risquent de vivre cette censure comme une preuve qu'on essaie de leur cacher quelque chose", prévient Chine Labbé.

Par conséquent, Newsguard favorise sa propre solution. Il souhaite étiqueter les contenus en ligne de sorte à ce que l'audience soit dûment informée des différents liens et affiliations des médias. Ainsi, si une ligne éditoriale est en partie dictée par un pouvoir politique, le public en serait conscient en consommant ses contenus.

Mesure inédite en "temps de paix"

L'UE, quant à elle, a choisi l'approche plus radicale, celle de l'interdiction. Or, cela détonne dans l'histoire récente de l'Europe. Les rares interdictions de diffuser mises en place depuis la Seconde Guerre mondiale ont été prononcées dans des contextes particuliers: la France a utilisé cet outil pendant la guerre d'Algérie, et l'Allemagne de l'Ouest avait également interdit des publications communistes.

Selon l'historien français Fabrice d'Almeida, spécialiste des médias et de la propagande, cette pratique existe rarement en temps de paix. "Ce type de mesures, ce sont celles qu'on prend quand on est vraiment en guerre. Quand on a des troupes engagées, on rentre dans un système où la liberté d'expression n'a plus lieu d'être", déclare le chercheur. Or, explique-t-il, l'UE n'a pas proclamé l'"état de siège", qui est la mesure technique qui permet de censurer directement les journaux et de surveiller l'information.

En interdisant à ces médias russes de diffuser, l'Union européenne se comporte donc comme en temps de guerre alors que, formellement, elle n'est pas engagée dans ce conflit. "C'est un peu étrange en termes de pure légitimité", estime Fabrice d'Almeida.

Une "balle dans le pied"?

Et même sur le front de la guerre de l'opinion et de la communication, dans laquelle l'Europe semble engagée, Bruxelles se tire peut-être une balle dans le pied avec cette décision, avertit l'historien français. Car le risque de représailles du côté russe pourrait également avoir des effets néfastes.

"Si on interdit RT en Europe occidentale, il est vraisemblable que du côté russe, on interdise des médias occidentaux comme France24 ou Deutsche Welle. C'est dommageable car ce sont ces médias autour desquels se rassemblent ceux qui cherchent de la vraie information et qui essaient de lutter contre la propagande du Kremlin depuis l'intérieur de la Russie", rappelle Fabrice D'Almeida.

Le directeur général de Reporters sans Frontières (RSF) Christophe Deloire partage ces craintes, concernant notamment les journalistes en Russie. Il redoute des mesures de rétorsion qui les empêcheraient de travailler correctement. Pour l'instant toutefois, Moscou n'a pas annoncé de sanction envers les journalistes qui travaillent en Russie.

Philéas Authier/jop

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