"Les Européens sont persuadés que Poutine a atteint une telle démesure qu'il pourrait s'en prendre à eux"
Habituellement entravés par leurs divisions, les 27 pays européens ont montré, en quelques jours à peine, une solide cohésion. Notamment sur le front des sanctions, censées faire de la Russie un paria économique. Pour la première fois de son histoire, l'Union européenne fournira des armes à un pays en guerre. Un basculement majeur surtout pour l’Allemagne, qui a aussi fait le choix de se réarmer massivement, avec un budget de la défense porté à 100 milliards d’euros. Berlin met fin à un tabou depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
"Les Européens, les Allemands en particulier, ont compris la menace russe. Et ils sont persuadés que Monsieur Poutine a atteint maintenant un degré de démesure tel qu'on ne peut plus exclure qu'il s'en prenne aux États européens eux-mêmes", analyse Michel Duclos, ancien ambassadeur de France en Suisse et auteur de "La France dans le bouleversement du monde", invité dans l'émission Géopolitis.
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Nouvelles orientations stratégiques
Avec Emmanuel Macron, la France a beaucoup investi la scène européenne. En endossant depuis janvier la présidence du Conseil de l’Union, le président français a plaidé d'emblée pour une défense européenne commune. En 2019, il jugeait déjà l’OTAN en état de "mort cérébrale".
Emmanuel Macron défend cette idée depuis le début de son quinquennat. Mais jusqu'à présent - hormis notamment la présidente de la Commission Ursula Von der Leyen - il faisait plutôt cavalier seul. La guerre en Ukraine pourrait bien changer la donne. "C'est l'événement qui crée l'obligation pour les Européens de changer complètement leur politique, et il faut reconnaître que ça valide les propositions du président Macron", souligne Michel Duclos, convaincu que la "préparation idéologique" de la France a été déterminante dans ce tournant européen et allemand.
En ramenant la guerre en Europe, Vladimir Poutine a obtenu le contraire de ce qu'il espérait, estime la présidente géorgienne interrogée sur France Inter. "Je pense qu'il est en train de découvrir qu’il a accouché d’un monstre. Il a créé l’Europe-puissance qu'il n’a jamais eue sur le continent européen. Tout ce qu'il craignait, c’est-à-dire d’avoir à côté de lui, sur ses frontières, des Etats non pas séparés, mais qui soient unis et forts militairement, il va l’avoir", résume Salomé Zourabichvili.
Dans sa dernière allocution télévisée, Emmanuel Macron a réitéré cette ambition de concrétiser une nouvelle défense européenne. Il a annoncé un sommet spécial dédié réunissant les chefs d'Etat européens à Versailles les 10 et 11 mars prochains.
Macron-Poutine, entre séduction et rapport de force
Versailles était aussi le premier lieu où Emmanuel Macron a invité Vladimir Poutine en France. A peine élu, il s’emploie à être un partenaire privilégié de Moscou. Il incarne volontiers cette voie, française, de l’apaisement et du dialogue. Emmanuel Macron a souvent vanté une "relation spéciale" avec le maître du Kremlin. Ces dernières semaines, il avait redoublé d’activisme diplomatique pour éviter le pire en Ukraine. Quelques jours avant de déclencher la guerre, le président russe laissait encore planer l’espoir d’une réussite de la médiation française.
"Vis-à-vis de la Russie, le président Macron a appliqué des idées qui sont celles de la classe politique française", explique Michel Duclos. Cette idée qui présuppose que "si on discute avec Vladimir Poutine, on va pouvoir essayer de le raisonner. J'ai personnellement toujours pensé que c'était une illusion", poursuit le diplomate. Il cite sur ce point Tony Blair qui dit que "tout président, ou tout Premier ministre en arrivant au pouvoir, croit qu'il peut relancer le dialogue avec la Russie. Donc je ne stigmatiserais pas le président Macron. Il a fait, je crois, ce que tout président de la République aurait fait."
"Un duel à mort"
Après le revers diplomatique, la France a promis de livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. Mais Emmanuel Macron reste déterminé à entretenir le dialogue avec Vladimir Poutine. Il estime néanmoins que "le pire est à venir" en Ukraine, après son dernier échange téléphonique avec le président russe. Poutine lui aurait fait part de "sa très grande détermination" à poursuivre son offensive.
Michel Duclos ne se montre pas très optimiste sur les scénarios de sortie de crise. "Je crains la continuation d'une sorte de duel à mort avec le régime poutinien", dit-il. Alors que la Russie agite la menace nucléaire, le diplomate français invite à garder son sang-froid et à ne pas alimenter l'escalade. Et de conclure sur une célèbre formule du général de Gaulle en réponse à l'ambassadeur de l'Union soviétique à Paris, qui menaçait d'employer l'arme atomique dans les années 60: "'Eh bien, Monsieur l'ambassadeur, nous mourrons ensemble!', ça doit être ça notre réponse à Poutine."
Mélanie Ohayon
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