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L’oligarque Alicher Ousmanov, visiteur régulier de Lausanne, dans la tourmente

Les oligarques russes proches de Vladimir Poutine subissent la foudre des sanctions économiques jusqu'aux bords du lac Léman
Les oligarques russes proches de Vladimir Poutine subissent la foudre des sanctions économiques jusqu'aux bords du lac Léman / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 6 min. / le 7 mars 2022
Depuis 13 ans, Alicher Ousmanov régnait sur l’escrime mondial, depuis Lausanne. L’oligarque russe, dont la fortune est estimée par Forbes à 14,8 milliards de francs, a développé son empire bien au-delà de la Russie. Des conquêtes aujourd’hui mises à mal par les sanctions. L’émission TTC a suivi sa trace.

En novembre 2021, Alicher Ousmanov avait été réélu par acclamation à la tête de la Fédération internationale d’escrime (FIE), dont le siège se trouve dans la capitale vaudoise. Le milliardaire de 68 ans avait effectué, pour l’occasion, une visite sur les bords du Léman. Un déplacement opéré avec son gigantesque avion privé, un Airbus A340 estimé à plus de 310 millions et habitué au tarmac de Genève puisque présent 4 fois par an en moyenne.

Allers-retours en Suisse

À Lausanne, Alicher Ousmanov ne rechignait pas à une certaine publicité, au point que certains lui prêtaient une résidence dans le canton. Contacté par la RTS, les autorités le réfutent catégoriquement. Alicher Ousmanov n’a jamais élu résidence en terres vaudoises et n’a même jamais détenu de permis de séjour. La semaine passée, il s’est même retiré de ses fonctions à la tête de la FIE.

D’après des informations recueillies par l’émission TTC, il avait pourtant envisagé l’achat d’un appartement à plusieurs millions non loin de Morges en 2019. Credit Suisse et Julius Baer le comptaient parmi leurs gros clients. Au total, de 2012 à 2017, 700 millions de dollars auraient circulé entre ses comptes dans les deux établissements, selon les données des FinCEN Files.

Aujourd’hui, l’homme d’affaires russe est devenu un sujet sensible. Sa proximité avec le Kremlin lui vaut d’être sanctionné par l’Occident. Il figure sur les listes rouges suisse, européenne et américaine. Anastasia Kirilenko, journaliste d’investigation indépendante, détaille ses liens avec le pouvoir: "Depuis quelques années, Ousmanov a assumé quelques tâches que l’on peut considérer comme des mandats du Kremlin, explique-t-elle. Par exemple, il a racheté VKontakte, c’est l’analogue russe de Facebook. Il existe des soupçons que ce réseau social partage des données avec les services russes, alors que c’était auparavant un lieu de réunion des opposants. Ousmanov a aussi racheté le journal Kommersant qui était critique par rapport au pouvoir. Mais depuis le rachat, il n’est plus critique et publie beaucoup de propagande du Kremlin."

Biens saisis ou bloqués

Ces liens avec la Suisse n’ont, pour l’instant, pas révélé de biens à saisir. Dans d’autres pays, son patrimoine est en revanche menacé, et il est conséquent, comme le raconte le journaliste économique Marat Shargorodsky. "En Grande-Bretagne,  il a deux propriétés valant 280 millions de livres. Il a aussi des propriétés en Sardaigne. Son yacht Dilbar, du nom de sa mère, vaut 600 millions de dollars. Il faut 100 membres d’équipage pour le faire fonctionner et il possède 20 cabines de luxe pour les invités. C’est un des plus gros au monde. Il est richissime!". Sa villa à Arzachena, petite ville sarde dont il est citoyen d’honneur, a été saisie.

Son yacht est actuellement bloqué dans le port de Hambourg. Avant de l’autoriser à partir, les autorités allemandes cherchent à établir clairement qui est propriétaire du "Dilbar". Le navire est en effet enregistré au Îles Caïmans et détenu par une holding.

Business international affecté

Originaire d’Ouzbékistan, où il a passé 6 ans en prison pour corruption dans les années 80, Alicher Ousmanov a bâti sa fortune dans l’industrie métallurgique et minière soviétique. Il a également travaillé pour le géant russe du gaz Gazprom.

Tout comme ses biens privés, ses affaires ont largement débordé les frontières de la Russie. "Il s’est beaucoup diversifié depuis 2008 surtout dans les nouvelles technologies, dans la téléphonie mobile. Il a gagné énormément d’argent, en investissant très tôt dans Facebook, Zynga, Spotify, des sociétés qui sont devenues des majors", explique Marat Shargorodsky. Ces actions Facebook lui auraient, par exemple, permis d’encaisser un milliard de dollars lors de l’entrée en bourse du réseau social, selon Reuters.

En 2012, Alicher Ousmanov a pris le contrôle du géant russe de la téléphonie MegaFon, dont la valeur était estimée à 20 milliards de dollars. Il a également investi dans le football anglais. Il détenait 30% des parts du club d’Arsenal, qu’il a depuis revendus. Avant la guerre en Ukraine, MegaFon était le sponsor principal d’Everton.

Ses affaires internationales connaissent maintenant d’importants revers. Le contrat de 400 millions qui le liait au club anglais d’Everton a été résilié, selon le Daily Mail.

Au Luxembourg, l’administrateur unique de sa filiale MegaFon, un avocat néerlandais, a quitté le groupe le 1er mars, 5 jours après le début de l’invasion russe en Ukraine. Et la société fiduciaire qui l’hébergeait a résilié son contrat de domiciliation.  Ces événements révèlent le vent de panique qui souffle aujourd’hui sur les intérêts russes à l’étranger.

Yann Dieuaide, avec Tybalt Félix

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