Le parlement russe vient d'adopter une loi qui prévoit jusqu'à quinze ans de prison pour la diffusion de fausses informations sur l'armée. Plusieurs médias internationaux ne travaillent d'ailleurs plus actuellement avec les journalistes sur place, pour ne pas leur faire courir de risque.
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"On a aujourd'hui des médias d'opposition et des médias indépendants qui ont cessé de couvrir cette invasion", confirme Sergei Fediunin, docteur en sciences politiques à l'Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco) à Paris.
Interrogé mardi dans La Matinale de la RTS, il souligne que plusieurs médias continuent tout de même encore à publier, tout en évitant de s'exposer aux peines encourues.
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Forte opposition sur les réseaux sociaux
Une petite partie de la population russe, elle, continue malgré tout de protester. "On a vu descendre des milliers et des milliers de personnes dans la rue vraiment partout à travers la Russie", confirme Sergei Fediunin.
Et une forte opposition s'est manifestée aussi sur internet malgré les restrictions et les blocages de certains réseaux dont Facebook et Twitter. "Ces oppositions se manifestent notamment des hashtags comme '#nonàlaguerre' (en russe) qui circule beaucoup", souligne le chercheur. "On a vu aussi des échanges entre Russes et Ukrainiens, parce qu'il ne faut pas oublier que les deux pays sont apparentés. Beaucoup de Russes ont des amis, de la famille en Ukraine et vice-versa".
Sondages officiels largement favorables à l'invasion
Globalement, il reste très difficile d'estimer la part de la population russe qui adhère à la vision de l'Etat et des médias officiels ou alignés. "Les sondages réalisés par les institutions officielles, publiques, financées par l'Etat, disent que jusqu'à 60% des Russes soutiendraient cette invasion", précise Sergei Fediunin.
Mais il faut se méfier, avertit le docteur en sciences politiques. "D'une part, cette opération n'est pas appelée 'guerre' dans ces sondages, c'est un mot banni du langage officiel en Russie. D'autre part, les générations plus âgées soutiennent plus activement cette invasion. Les jeunes beaucoup moins, et notamment ceux qui ont un meilleur accès à internet et aux sources différenciées d'information".
La population entre peur et conformisme
Il ne faut pas oublier, rappelle-t-il, que "les gens ont peur d'aller manifester en Russie, d'exprimer leur réel avis sur les événements, d'être confrontés aux forces de l'ordre, de perdre leur emploi, d'être renvoyés de l'université, etc. Et il y a aussi bien sûr une part de conformisme chez une partie de la population russe qui préfère se réfugier dans son quotidien".
Reste à voir quelles seront les conséquences des sanctions occidentales sur la population en Russie. "Il y aura certainement une prise de conscience plus générale suite aux effets qui commencent déjà à se ressentir avec une hausse des prix et des pénuries de certains produits de première nécessité qui commencent à être rationnés", estime Sergei Fediunin.
Et une émigration des "cerveaux", des spécialistes dans certains domaines, se profile. Enfin, il y aura surtout le coût humain, les pertes humaines côté russe. "Et ces pertes renverront directement aux guerres de Tchétchénie et d'Afghanistan, dont l'objectif n'était pas compréhensible aux yeux de beaucoup de Russes".
Propos recueillis par Valérie Hauert/oang